Les psychothérapies sont-elles vraiment efficaces?

Les psychothérapies sont-elles vraiment efficaces?

Superflues, longues et chères: les psychothérapies, surtout quand elles sont d’inspiration psychanalytique, n’ont plus franchement bonne presse. Voilà pourquoi Jean-Nicolas Despland, professeur à l’Université de Lausanne, a rédigé un «Petit manuel de survie à l’attention du psychothérapeute devant voyager au pays de la médecine basée sur les preuves». Démonstration.

Pascal Couchepin a semé le trouble dans le public comme chez les spécialistes au printemps 2005. Après les médecines douces, les psychothérapies pourraient être rayées des prestations de l’assurance de base, avançait Hans-Heinrich Brunner, directeur de l’Office Fédéral de la Santé Publique. Si au-jourd’hui ce risque est écarté, Berne songe tout de même à mettre de l’ordre dans le foisonnement des thérapies et pose donc la question de leur efficacité.

Spécialiste de l’évaluation des traitements des maladies psychiques, le professeur Jean-Nicolas Despland, responsable de l’Institut de Psychothérapie de l’Université de Lausanne (UNIL), est formel: oui les psychothérapies sont efficaces. Mais cela n’exclut pas une ré-flexion quant aux économies réalisables.

Une facture à 397 millions

Trois cent nonante-sept millions de francs, c’est ce que les assurances ont pa-yés en 2004 pour le remboursement des psychothérapies en cabinet privé. C’est beaucoup. Mais quand on sait qu’un Suisse sur deux souffrira d’un trou-ble psychique au cours de sa vie, on comprend mieux l’importance de ce chiffre.

Reste que les coûts de la santé, physique comme mentale, explosent, et qu’il est légitime de se demander comment les freiner. En psychothérapie, le premier soupçon qui pèse est celui des «abus». Et si des patients, tout sauf malades, profitaient de la clémence des psychiatres pour faire du développement personnel sur le dos de la LaMal?

Maladie ou désir de mieux se connaître?

La loi stipule en effet que seules les maladies sont prises en charge. D’où cette question délicate: entre «vraie» maladie et souffrance psychique, voire simple désir de «mieux se connaître», où mettre la barre? Sur les critères scientifiques qui définissent une maladie, les psychiatres et psychothérapeutes sont aujourd’hui d’accord. «Dans les années 80, nous avons énormément travaillé à la définition des maladies et à leur classification», précise Jean-Nicolas Despland.

Si, avant, les psys de différents pays et de différentes écoles débouchaient sur des diagnostics trop souvent divergents en analysant les symptômes d’un même malade, aujourd’hui deux «catalogues» très précis servent de référence au monde entier: celui de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), appelé CIM-10 («Classification internationale des troubles mentaux et des troubles du comportement»), et celui de l’association des psychiatres américains, le DSM-IV-R (Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Disorders).

Qui est malade?

Les médecins sont donc en mesure de définir plus clairement qui est malade, et l’on pourrait imaginer que la LaMal ne rembourse à terme que les patients souffrant d’une pathologie recensée dans l’un ou l’autre de ces catalogues – avec pour conséquence de laisser sans soins une personne dont la souffrance est réelle, mais qui n’entre pas dans ces définitions. Et c’est là que le choix devient politique et social, plus que médical.

Si cette option devait à terme être retenue, elle ne permettrait pas pour autant de sauver le système de santé suisse de choix difficiles à faire, tant pour les citoyens, les instances politiques que pour les médecins.

D’où l’idée d’explorer une autre voie: la loi précise en effet que pour être remboursé, un traitement doit être efficace. C’est ce critère qu’a utilisé Pascal Couchepin pour bouter cinq médecines douces hors de la liste des prestations payées par l’assurance. Mais cet argument ne tient pas dans le contexte des psychothérapies.

70% des malades réagissent favorablement

Leur évaluation est un domaine qui s’est beaucoup développé ces dernières années, et les résultats sont tous concordants: elles sont efficaces, parfois plus que certains traitements de la médecine somatique. Quelques chiffres pour étayer cette conclusion: si 15% des malades voient leur état s’améliorer sans aucun soin, et 30% avec un simple placebo, ils sont 70% à réagir favorablement à une psychothérapie.

Autre exemple: les dépressifs traités exclusivement par médicament ne vont ni mieux ni moins bien que ceux traités exclusivement par psychothérapie – le cumul des deux éléments étant toutefois le plus efficace. Bref, la psychothérapie a largement fait la preuve de son efficacité.

Comment choisir sa méthode

La psychothérapie, oui, mais laquelle? Depuis que Freud a lancé la première, la psychanalyse, les approches se sont multipliées et il est devenu difficile pour le profane de séparer les méthodes réellement thérapeutiques des outils de développement personnel, voire des théories franchement abracadabrantes.

Les études d’efficacité se penchent essentiellement sur trois grandes familles, précisément celles qui sont enseignées à l’Institut de psychothérapie de l’Université de Lausanne, et qui sont les plus reconnues au niveau international.

La première, dite psychanalytique ou psychodynamique, regroupe les héritières de Freud. La psychanalyse traditionnelle, bien sûr, qui dure généralement de nombreuses années à raison de quatre séances hebdomadaires en moyenne. Mais aussi des modèles moins astreignants, fondés sur les mêmes concepts théoriques, et adaptés à la fois dans la durée (deux-trois ans) et la fréquence (une à deux fois par semaine).

Des cures ultrabrèves

Certains psychothérapeutes mettent même au point des protocoles de thérapies ultrabrèves, de quatre à douze séances par exemple, réservées cependant à des situations cliniques très spécifiques. Choisir un praticien qui travaille avec la psychanalyse n’implique donc pas forcément une cure sans fin.

Deuxième famille, plus récente mais également reconnue, les approches systémiques. Ici, le but n’est plus de mettre à jour les conflits de l’inconscient du patient pour les résoudre, mais de considérer le malade comme un élément d’un système plus large, et ses symptômes comme le signe d’un dysfonctionnement du groupe (souvent le couple ou la famille).

Dernières venues enfin, les TCC (Thérapies Comportementales et Cognitives), qui visent à corriger les croyances erronées du patient (quant à lui-même, son fonctionnement, son environnement) et les comportements inadéquats qui en découlent.

Le «Livre noir de la psychanalyse»

Parmi ces trois écoles, que l’on considère comme les plus «médicales», l’une est-elle supérieure aux autres? Le débat fait rage sur la question en France. Il a toujours été animé et l’est plus encore depuis la parution à l’automne 2005 du «Livre noir de la psychanalyse», dossier à charge rédigé par les tenants des TCC, qui se battent pour imposer l’idée que leur approche est à la fois plus efficace et moins coûteuse que la psychanalyse – la systémique se trouvant épargnée par la polémique et par les deux parties en présence.

En Suisse, le conflit est beaucoup plus poli, voire résolu, par exemple à l’Université de Lausanne où les étudiants sont initiés aux trois approches et peuvent se perfectionner indifféremment dans l’une ou l’autre.

Vraiment plus efficace?

Jean-Nicolas Despland explique les origines du conflit: «La TCC se prête beaucoup plus facilement aux évaluations d’efficacité. Elles sont basées sur l’évolution des symptômes et ce sur une période assez courte, quatre à douze semaines. La psychanalyse a longtemps eu l’air moins performante parce qu’elle n’avait pas les bons outils pour mesurer ce type de paramètres.»

Les choses ont aujourd’hui bien évolué. Et les chercheurs spécialisés dans ce domaine sont désormais d’accord sur le fait qu’elles se valent: «Les différences que l’on peut déceler entre deux familles reconnues contribuent au maximum à 1% de la variance des résultats.» Autant dire très peu de chose.

Des économies possibles

Privilégier l’une ou l’autre famille sur le critère de l’efficacité s’avère donc scientifiquement peu intéressant. Du moins globalement. Car il est maintenant admis par un grand nombre de psychiatres psychothérapeutes que certaines thérapies sont plus adaptées que d’autres pour le traitement de certains troubles. Les sujets présentant un trouble obsessionnel compulsif répondent mal à la psychanalyse, par exemple.

Sans espérer établir une liste du type «phobie sociale égale thérapie cognitive et comportementale», qui ne serait guère crédible, des économies pourraient peut-être se faire en veillant davantage à l’adéquation entre certaines caractéristiques cliniques des troubles psychiatriques et certaines modalités des psychothérapies prescrites (fréquence, du–rée, participants, éventuellement type de psychothérapie).

Pronostiquer l’issue de la thérapie

Mais pour agir activement sur l’efficacité des soins psychothérapeutiques, les pistes tracées actuellement par la recherche, notamment à l’Université de Lausanne, sont certainement plus prometteuses que les déclarations hâtives de l’Office Fédéral de la Santé.

En effet, on l’a vu, les thérapies sont peu ou prou équivalentes: 1% de différence, c’est insignifiant. Les chercheurs ont par contre mis en évidence deux paramètres beaucoup plus importants: la qualité de l’alliance thérapeutique (la relation qui unit thérapeute et malade), et la qualité du psychothérapeute.

Des découvertes à la fois surprenantes et réjouissantes (on est toujours heureux de constater l’importance du facteur humain), mais qu’on peine pour l’heure à exploiter: les chercheurs peuvent, en analysant des entretiens filmés, pronostiquer assez précisément l’issue de la thérapie en fonction de la qualité de la relation, et ce dès les premières séances. Mais il leur est plus difficile d’en déduire des enseignements qui soient directement transposables dans le domaine clinique.

La revanche des analysés

Il a par exemple été démontré qu’enseigner aux psychothérapeutes l’art de nouer une bonne alliance pouvait avoir des effets négatifs. Cet effet négatif est probablement dû à la rigidification de la technique du psychothérapeute, qui perd souplesse et spontanéité dans son souci de trop bien faire sur le plan de l’alliance thérapeutique.

Pour l’instant, on ne peut donc ni reproduire à l’envi, ni a fortiori enseigner une marche à suivre pour que l’alliance thérapeutique soit systématiquement bonne.

Pour ce qui est des éléments qui font un bon ou un mauvais psychothérapeute, c’est encore plus compliqué, tant les paramètres sont nombreux. Et les observations difficiles à mettre sur pied: les chercheurs ne sont pas exactement face au groupe de population le plus enthousiaste à la perspective de se retrouver évalué, analysé, noté.

Mais face au poids de ce facteur dans l’efficacité d’un traitement, il faudra certainement que les thérapeutes se fassent à l’idée. Et ce sera alors la douce vengeance de tous les analysés qui ont souffert sur le divan de leur psy: enfin les rôles seront inversés.

Sonia Arnal

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