Eradiquer la vie, c’est impossible. Les ammonites l’ont prouvé

Interview de Jean Guex, professeur honoraire à la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’UNIL

Il y a 252 millions d’années, la Terre traverse la pire crise biologique de son histoire. 95% des espèces disparaissent. On sait cependant, grâce à un professeur de l’UNIL, que la vie, et surtout les ammonites, ont très vite retrouvé leur niveau de biodiversité d’avant la catastrophe. Les explications de Jean Guex.

«Allez savoir!»: Une ammonite, c’est bien l’ancêtre de la pieuvre?

Non. Biologiquement, c’est plus proche des calamars, même s’il n’y a pas de relation évolutive directe entre eux. On peut aussi comparer l’ammonite au nautile, qui a traversé toutes les crises de la biodiversité sans dommage, et qui nage encore aujourd’hui dans une zone très limitée en Nouvelle- Guinée. Ce qui n’est pas le cas des ammonites, puisqu’elles ont disparu à la même époque que les dinosaures.

Quel était leur mode de vie?

Les ammonites apparaissent il y a quelque 350 millions d’années. C’est une population importante, répandue dans toutes les mers de la fin de l’ère primaire. Elles devaient avoir un mode de vie assez comparable à celui des calamars. Certaines – très rares – existaient sous des formes géantes. Elles devaient vivre dans les profondeurs des océans. Pour le reste, ce sont des bêtes qui vivent entre la surface et -200 mètres. Elles portent une coquille spiralée où elles peuvent se dissimuler, et qui leur sert également de flotteur. L’ammonite peut enfin sortir la tête et les tentacules de sa coquille.

Il y a 252 millions d’années, les ammonites ont vécu la pire extinction de masse que la Terre ait connue. Que s’est-il passé?

Dans nos fouilles, nous trouvons des couches où quasiment aucun fossile n’est conservé. Cela prouve que la catastrophe a été bien pire que celle qui a touché les dinosaures, puisque 95% des espèces ont alors disparu. Heureusement, dans chacun des grands groupes existants, quelques espèces ont survécu et se sont rediversifiées après la crise. Des ammonites, des coraux, des foraminifères…

Qu’est-ce qui provoque cette apocalypse biologique?

Essentiellement du volcanisme en Sibérie. Mais cela n’a rien à voir avec les éruptions comme celle de l’Eyjafjallajökull, que nous avons suivie récemment en Islande. Les volcans qui menaçaient les ammonites n’étaient pas coniques. C’étaient de grandes fissures. A la limite entre le Trias et le Jurassique, quand la Pangée éclate, un volcanisme géant se met en place et des millions de kilomètres cubes de lave se déversent à la frontière entre les plaques africaine, européenne et nord- et sud-américaine. On pense que ces phénomènes ont duré de l’ordre d’un million d’années.

Sait-on ce qui a fait du mal aux ammonites?

Quand ces volcans s’épanchaient, ils touchaient des régions de la taille de cinq à dix fois la France. Et émettaient surtout des gaz tueurs (du soufre, du gaz carbonique) et des métaux lourds qui ont été expédiés dans l’atmosphère, la rendant très toxique. Ceci provoquait également des obscurcissements de l’atmosphère et pouvait générer des périodes très froides, équivalant à un hiver nucléaire.

Comment les ammonites ont-elles survécu?

Certaines ont réussi à se glisser dans de petites niches protégées, géographiquement très restreintes, qu’on appelle des isolats. Partout ailleurs, il n’y avait plus de vie. Elles n’ont pu recoloniser leur vaste environnement naturel marin que lorsque le gros de la crise est passé. Grâce aux fossiles, on sait comment les organismes marins recolonisent les océans, et on voit que les ammonites connaissent une véritable explosion évolutive.

Justement, vous avez montré dans un article publié dans la prestigieuse revue «Science», que les ammonites retrouvent très vite leur niveau de biodiversité d’avant la crise…

On a longtemps cru que cette reconquête avait duré des millions d’années, mais nos fouilles ont montré que les ammonites n’ont eu besoin que de quelques centaines de milliers d’années. D’autres espèces ont eu besoin de plus de temps. Les coraux ont mis 4 à 6 millions d’années pour retrouver leur niveau d’avant la crise.

Le volcanisme cesse et la vie repart?

Oui. Au début, les conditions restent mauvaises, mais supportables, et la vie repart à toute vitesse pour les ammonites. Sans doute parce que ce groupe évolue plus vite que d’autres. C’est à cause de leur capacité à muter que les ammonites ont pu se développer aussi rapidement. Mais elles ont quand même disparu à la limite crétacé-tertiaire.

Quand on regarde la manière dont la Terre traverse ces périodes d’extinctions de masse, on a l’impression que la vie est impossible à détruire. C’est aussi votre avis?

La vie est assurément difficile à supprimer. L’homme, en revanche, court un risque, même s’il n’est pas directement menacé à l’heure actuelle. Il faudra plus que du CO2 dans l’atmosphère pour supprimer l’humanité. Même une guerre nucléaire globale n’y arriverait peut-être pas. Après, c’est une question d’échelle. A l’échelle humaine, disons 100 ans, une catastrophe reste une catastrophe. Parce que nous n’avons pas le temps d’attendre que la Terre récupère. Mais à l’échelle de la planète, il n’y a pas de quoi dramatiser. La Terre, elle, a tout son temps. Elle a traversé des périodes bien pires que le XXIe siècle, et ces époques n’ont pas eu d’effets sur les faunes et les flores de l’époque. L’homme arrivera peut-être à se suicider, mais il ne pourra pas éradiquer la vie. Le soleil y parviendra quand il se transformera en supernova, mais cela arrivera dans des milliards d’années.

Pourtant, 99% des espèces qui sont apparues sur terre sont désormais éteintes…

Et l’homme s’éteindra un jour, comme l’ours blanc ou les phoques. Mais, comme par le passé, les espèces qui disparaîtront seront remplacées par d’autres. Et la vie poursuivra son cours.

Propos recueillis par
Jocelyn Rochat

One Comment on “Eradiquer la vie, c’est impossible. Les ammonites l’ont prouvé”

  1. Merci pour votre excellent article. Il apporte de l’eau à mon moulin, j’étudie depuis 8 ans l’impact climatique des volcans sur le vivant. J’ai examiné l’éruption de 54 volcans et à 80 % j’ai constaté à Rouen une surmortalité + ou – importante la 1e ou la 2e années suivant l’éruption.
    Par exemple l’éruption du Laki a provoqué en France une surmortalité sur 10 mois de 130’000 à 150’000 décès surnuméraire.
    L’éruption du Tambora en 1815 n’a pas été en reste. Il provoqua dans l’Est de la France ainsi qu’en Suisse, une véritable disette qui occasionna beaucoup de morts.

    Empedocle

Laisser un commentaire