Dépenser un milliard par année pour baragouiner des langues étrangères, ça vous tente?

Dépenser un milliard par année pour baragouiner des langues étrangères, ça vous tente?

Les Européens sont-ils devenus fous ? La question vous traversera sans doute l’esprit, quand vous lirez, dans cet «Allez savoir!», que nos grands voisins dépensent chaque année un bon milliard d’euros pour rester un grand «pays» qui parle vingt-trois – oui, vous avez bien lu – 23 langues officielles différentes.

Vu de Suisse, où l’on cohabite depuis longtemps avec seulement quatre langues nationales – voire six, quand on compte l’allemand réellement parlé, c’est-à-dire le schwyzerdütsch, et l’anglais qui s’insinue dans les esprits –, on ne peut que hausser les sourcils devant cet investissement colossal, engagé dans une tentative apparemment désespérée. Du moins si l’on en juge par le petit nombre de Romands qui parlent volontiers l’allemand, malgré une décennie d’efforts à l’école.

Et si nous avions tort ?

Alors que la Suisse va bientôt réfléchir au destin de la langue française en accueillant le XIIIe sommet de la Francophonie, au terme d’une année 2010 où notre microcosme politique s’est à nouveau disputé à propos des places qu’il convient de réserver à l’anglais et au schwyzerdütsch, vous découvrirez sans doute avec surprise les idées développées dans ce magazine par la linguiste de l’UNIL Anne-Claude Berthoud.

A la tête d’un grand projet européen, la chercheuse tente de démontrer scientifiquement que la diversité linguistique nous enrichit. Au propre et au figuré. A l’entendre, on découvre que la maîtrise, même partielle, de plusieurs langues étrangères nous donne un avantage par rapport à nos amis anglo-américains qui n’en connaissent généralement qu’une seule.

Rassurons aussitôt ceux qui ont souffert sur les bancs de l’école: leur cas n’est pas désespéré. Car le plurilingue du XXIe siècle, ce n’est pas seulement une personne qui parle et qui lit sans gêne dans des langues étrangères. C’est aussi quelqu’un qui peut, «dans un contexte donné, se débrouiller avec des moyens limités, empruntés à plusieurs langues», précise l’experte de l’UNIL.

Tous ceux qui ont été dissuadés à vie de parler dans un autre idiome après avoir subi le martyre à l’école, en tentant désespérément de comprendre comment accorder leur vocabulaire de base à l’accusatif, au génitif ou au datif, salueront cette vision décomplexante qui fait de nous des polyglottes dès que l’on maîtrise les expressions étrangères rassemblées dans les dernières pages d’un guide de vacances Berlitz.

Loin de tout purisme, la voie dessinée par Anne-Claude Berthoud ouvre des perspectives libératrices. Elle nous propose ainsi d’imaginer une Europe multiple, où les habitants baragouinent plusieurs de leurs 23 langues officielles. Et se comprennent malgré tout. En tout cas, ils se parlent. Ce qui vaut toujours mieux que l’indifférence polie que nous, Romands, manifestons souvent envers nos concitoyens alémaniques. Du coup, le projet milliardaire de nos voisins ne semble plus si fou. Ou alors, il donne envie de partager sa folie.

Jocelyn Rochat

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