A quelle énergie carbureront les Suisses en 2049 ?

Illustration Jehan Khodl
Illustration Jehan Khodl

La transition énergétique ne concerne pas seulement les ingénieurs et les industriels. Elle touche aux modes de vie, aux logements, aux déplacements et aux loisirs. Afin de la rendre plus vivante, l’UNIL propose quatre versions d’un jour dans nos vies en 2049, sous l’angle de l’énergie. Ces scénarios seront soumis au vote lors d’un événement public, le 9 février prochain.

En 2011, le Parlement et le Conseil fédéral ont pris une décision de principe : la Suisse va sortir du nucléaire. Ce qui signifie que les cinq réacteurs du pays seront mis hors service les uns après les autres. Même si l’exploitation de certains d’entre eux pourrait être prolongée, celui de Leibstadt devrait être le dernier à tirer la prise, en 2044. Il faudra donc petit à petit se passer des 25 TWh produites par ces installations, c’est-à-dire de plus du tiers de notre consommation électrique actuelle. En parallèle, la Suisse s’est engagée à réduire ses émissions de CO2. Comme le nucléaire ne produit pas ce gaz, les solutions de remplacement ne devront pas le faire non plus. Autant dire que dans les prochaines décennies, notre système changera de manière importante, ce que le Conseil fédéral a formalisé dans sa Stratégie énergétique 2050.

Diminuer la consommation de ressources fossiles, mettre l’accent sur le renouvelable, réduire le gaspillage sans toucher à notre niveau de vie, c’est ce qu’on appelle la transition énergétique. Aujourd’hui, cette dernière est perçue comme un problème technique. «Or, il s’agit d’un projet de société, qui touche donc à nos modes de vie et à nos comportements», expose Nelly Niwa, cheffe du projet Volteface. Cette plateforme est née d’un partenariat entre l’UNIL, Romande Energie et le canton de Vaud. Prévue pour durer trois ans, elle cherche justement à traiter les facettes culturelles et sociales de la transition énergétique.

Sciences humaines

«L’essentiel du discours sur le sujet est tenu par les spécialistes et les industriels, constate Benoît Frund, vice-recteur de l’UNIL en charge de la durabilité et du campus, et président du comité de pilotage de Volteface. Au niveau académique, la question est portée par des hautes écoles comme les EPF et les HES. Leur contribution est importante, mais les sciences humaines ont également clairement un rôle à jouer.» Ainsi, la plateforme soutient 13 projets de recherche lancés récemment (voir ci-dessous).

Mais au-delà du travail scientifique, fût-il mené en lien étroit avec la société, il faut que le débat naisse dans la population elle-même. Or, des sondages récents montrent que les Suisses se préoccupent beaucoup des migrations, du franc fort ou des relations avec l’Union européenne, mais très peu des questions énergétiques. Pourtant, ces dernières vont prendre de l’ampleur, à court terme. En effet, le réacteur nucléaire de Mühleberg sera mis hors service dans trois ans seulement.

Nelly Niwa Cheffe du projet Volteface. Nicole Chuard © UNIL
Nelly Niwa
Cheffe du projet Volteface.
Nicole Chuard © UNIL

L’imagination au pouvoir

Comment procéder pour donner vie à la transition énergétique ? En faisant appel à une ressource renouvelable, l’imagination. Quatre visions de notre vie quotidienne en 2049 sont proposées dans cette édition d’Allez savoir !. «Les scénarios sont des instruments précieux pour comprendre les enjeux, identifier les marges de manœuvre, puis servir de moteur à l’action, explique Nelly Niwa. La complexité des relations au sein du secteur de l’énergie ne permet pas de construire facilement une vue d’ensemble de la question.» Pour rendre les choses tangibles, il a été décidé de partir des modes de vie, c’est-à-dire de la vie quotidienne, au travers du logement, de la mobilité, du travail, de la consommation et des loisirs.

Les quatre récits, qui ont été présentés sous la forme d’une votation fictive au public lors de Solutions COP21 le 6 décembre 2015 à Paris, seront soumis au vote à l’événement Volteface du 9 février prochain. «Nous assumons bien entendu l’idée qu’aucune de ces projections ne se réalisera telle quelle, note Benoît Frund. Mais ces outils prospectifs vont créer le débat, nous permettre de comprendre ce que les participants à la soirée souhaitent (ou ne souhaitent surtout pas) pour l’avenir.» Ils vont bousculer une routine bien installée: la croyance que nos modes de vie ne vont jamais changer.

L’UNIL fait-elle en douce la promotion du retour à la bougie ? «Les ressources naturelles sont limitées, c’est évident, explique Benoît Frund. De plus, le lien entre le réchauffement climatique et l’utilisation d’énergies fossiles, grandes productrices de CO2, fait l’objet d’un large consensus dans la communauté scientifique. Que gagnent des chercheurs, sur les plans personnel et économique, lorsqu’ils remettent en question l’idée de croissance illimitée ?» Pour l’institution, il s’agit bien d’accompagner les débats importants qui traversent la société, sans dicter sa conduite à qui que ce soit. «Le rôle de l’université consiste à se mettre au service de la société, à lui fournir des outils d’analyse, ainsi qu’à jouer le rôle de poil à gratter», remarque Benoît Frund.

Extraction des scénarios

Ces quatre scénarios ne tombent pas du ciel. Ils ont été élaborés à l’occasion du World Knowledge Dialogue 2015 (WKD). Cet évènement annuel «réunit des chercheurs de tous domaines – dont de nombreux jeunes – et des experts de la société civile autour de questions importantes», décrit Philippe Moreillon, vice-recteur en charge de la recherche et des relations internationales et membre du Comité scientifique et d’organisation du WKD. L’optique choisie est résolument interdisciplinaire. La transition énergétique, qui touche aussi bien les sciences humaines et sociales que l’ingénierie et les sciences de base, se prête particulièrement bien à l’exercice.

Comme exemple typique des passionnantes surprises que réserve l’évènement, Philippe Moreillon cite une conférence de Mathieu Arnoux, professeur à l’Université de Paris-Diderot Paris-VII (disponible en vidéo sur https://www.unil.ch/wkdialogue/programme). Cet historien signale que la révolution industrielle française a beaucoup utilisé… l’hydraulique. Alors que d’autres pays, comme l’Angleterre, se sont basés sur le charbon. Mais devait-on vraiment passer par là ? Le chercheur en vient même à se demander si nous ne pourrions pas vivre actuellement une brève parenthèse «fossile» dans une histoire longue basée sur le renouvelable.

Dans une autre présentation, Philippe Fouquet (Université François-Rabelais de Tours) a montré de nombreux exemples de la façon dont, de nos jours, les occupants résistent de manière créative aux contraintes qui leur sont imposées par les bâtiments performants en termes énergétiques. «C’est un leurre de croire que l’on peut radicalement changer les comportements», constate ce sociologue.

L’exercice prospectif n’est pas très aisé pour des chercheurs, normalement habitués à avancer prudemment des hypothèses fondées sur des bases solides. Comme l’a rappelé l’anthropologue Yoann Moreau, «la science ne joue pas les prophètes. Mais si nous ne proposons pas des imaginaires, d’autres le feront à notre place, notamment dans le domaine du religieux ou des croyances.»

Contourner l’apocalypse

Lâchant la bride à leur fantaisie, les participants au WKD ont donc produit des scénarios très contrastés pour 2049. Deux d’entre eux, Smart City et Transitons ensemble, ont émergé de tous les groupes de travail ou presque (lire l’article). Ils partent de l’idée que la transition énergétique est en cours, que la décarbonisation est effective et que les modes de vie sont devenus plus durables. Mais l’impulsion est venue dans le premier cas des grandes entreprises du secteur privé, qui misent sur la technologie. Et dans l’autre des citoyens eux-mêmes, regroupés en coopératives. Selon les sensibilités, ces deux visions de l’avenir peuvent prendre des airs de paradis ou de dystopies.

Le troisième scénario est plus sombre, puisque c’est une crise internationale qui provoque une transition énergétique forcée. Au passage, les participants au WKD ont écarté le tentant scénario apocalyptique à la Mad Max ou The Day after Tomorrow. Très divertissants au cinéma, ils ont l’inconvénient d’ajouter de la peur au débat sur le climat, assez anxiogène en soi.

Le dernier scénario, largement rejeté par le public de Solutions COP21, est le plus subversif peut-être, puisqu’il s’agit du Business As Usual. Rien ne change ou presque. La transition énergétique n’a non seulement pas eu lieu, mais la consommation de produits fossiles en tous genres, y compris le gaz de schiste, augmente. Les prix restent bas et l’individualisme règne. Par contre, la qualité de vie est excellente en Suisse.

Laquelle de ces visions de l’avenir proche suscitera le plus d’intérêt auprès du public ? Réponse le 9 février, lors de la deuxième soirée Volteface.

Article suivant: Quel scénario pour 2049 ?

Les chercheurs passent à l’action

Depuis l’automne dernier, treize projets de recherche soutenus par la plateforme Volteface sont en cours. Tous en lien direct avec des experts de l’énergie, des associations, des entreprises ou des communes en Suisse romande, ils explorent les aspects sociaux de la transition énergétique.

L’un d’eux est consacré à l’épineuse question de la conciliation des intérêts des propriétaires et des locataires. Ces derniers n’ont aucun pouvoir en ce qui concerne l’efficacité énergétique des bâtiments qu’ils occupent. Un autre travail s’intéresse aux volets spirituels et religieux de la transition, notamment en termes de valeurs et de rapport à la nature. Enfin, dans les années 70, suite aux chocs pétroliers, de nombreuses démarches avaient été entamées par des experts. Pour sortir ces savoirs de l’oubli, un groupe d’étudiants va mener des entretiens avec les acteurs de l’époque.

Ces trois exemples montrent la variété des études en cours. Elles seront présentées le 9 février 2016, lors du deuxième rendez-vous Volteface.
Détails : www.volteface.ch/les-projets

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