Dans la cathédrale, les animaux rejouent la lutte du Bien et du Mal

Sculptés dans la pierre, des dragons, des agneaux et quelques lions s’affrontent depuis des siècles à la cathédrale de Lausanne. Le bâtiment religieux abrite un véritable bestiaire, auquel ne manquent ni l’escargot, ni la laie. Que signifient ces créatures? Visite guidée.

En cette belle journée d’été, les touristes sont nombreux à découvrir la cathédrale de Lausanne, qui reçoit 30 à 40 000 personnes par mois. Le rendez-vous avec la pasteure Jocelyne Müller est donné devant l’entrée. Cette passionnée d’histoire de l’art, qui a monté une exposition sur le bestiaire de l’édifice en 2012, désigne les détails du portail Montfalcon, réalisé au tournant du XXe siècle dans un style gothique. Cette œuvre présente une série d’animaux, dont quelques escargots sur la droite (B, voir le plan à télécharger). Jocelyne Müller aime «ce symbole de la résurrection. En hiver, il s’enferme dans sa coquille et se fabrique un opercule calcaire. Une protection qu’il brise au printemps, quand il sort de son hibernation. Cette image rappelle le Christ qui sort du tombeau.»

Une fois le portail franchi, notre guide s’arrête à côté d’une curieuse sculpture du début du XVIe, où l’on voit trois lièvres courir les uns derrière les autres (E). Même si l’on ne voit que trois oreilles au total, chacun en possède… deux. Ces trois êtres distincts partagent un élément commun. Pour la pasteure, il s’agit d’une représentation de la Trinité. Une hypothèse également avancée dans La cathédrale Notre-Dame de Lausanne, un ouvrage récent auquel ont collaboré plusieurs chercheurs de l’UNIL.

Professeur honoraire, Gaëtan Cassina souligne que «très tôt, les animaux jouent un rôle dans le christianisme. Ils se voient attribuer des fonctions.» Cela peut aller jusqu’au jeu de mots ou au code: le poisson est associé à un acrostiche basé sur le nom du Christ en grec (Ichtus, pour Iêsoûs Khristòs Theoû Huiòs Sôtêr). La tortue évoque le Tartare, soit l’enfer. «Mais le hic, c’est que ces symboles évoluent au fil du temps, ajoute l’historien de l’art. Certaines créatures considérées comme bénéfiques deviennent mauvaises, et vice-versa.» De plus, dès la fin du Moyen Age, les aspects purement décoratifs entrent en concurrence avec la métaphore, ce qui complique l’interprétation.

Jocelyne Müller observe l’iconographie du portail peint de la cathédrale. Du XIIIe au XVIe siècle, pèlerins et paroissiens entraient dans l’édifice par cet accès. Figés dans la pierre, des prophètes, apôtres et évangélistes se tiennent debout sur des consoles. Certains surplombent des êtres maléfiques, comme le basilic, hybride de coq et de serpent (F, sous Jean). «Ne croisez pas son regard!» conseille la pasteure. Car il possède la faculté de pétrifier ses victimes. Heureusement, la position humiliante de ces monstres prouve qu’ils ont été vaincus.

Ce portail présente plusieurs agneaux, l’animal sacrificiel par excellence. Dans Jean 1:29, Jean-Baptiste reconnaissant le Christ dit: «Voici l’Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde.» La statue de l’ascète porte justement cette créature sans défense (D, à l’ouest), également représentée en position privilégiée, au sommet de la voussure, accompagnée de la croix et de l’étendard de la victoire.

Quand on quitte ces lieux pour se diriger vers le chœur, il faut lever le nez pour admirer un lion (C) dans la voûte. Ce fauve est ambigu: dans l’Ancien Testament, Samson le tue à mains nues. Mais il sert également d’emblème à la tribu de Juda, l’une des douze tribus d’Israël. Il évoque la royauté et la puissance au Moyen Age. Trois d’entre eux ornent le tombeau d’Othon Ier de Grandson (5).

Pécheurs, vous êtes avertis
«Venez, je vous emmène en enfer», souffle Jocelyne Müller. Dans le bras sud du transept, le visiteur aperçoit Abraham tenant les Justes en son sein, dans l’attente de la résurrection. On aperçoit un évêque nu, reconnaissable à sa mitre. Au-dessous, séparé par une nuée, se tient le Diable, sous la forme d’une tête de bouc (A). Cette synthèse saisissante de la menace qui pèse sur les pécheurs pouvait servir d’avertissement. «Mais dans la composition, c’est le salut qui domine», nuance la pasteure.

Une œuvre peu connue possède une fonction similaire, juste en face, dans le bras nord du transept. Au dessus et à droite du tombeau baroque de la princesse Orlow, un chapiteau montre une femme qui se fait mordre le sein par un maléfique dragon (H), au sommet d’une colonne. Cette sculpture, qui évoque les dangers de la luxure, se trouve au-dessus d’une porte que franchissaient les chanoines lors de processions.

Pour conclure la visite, Jocelyne Müller présente les stalles de la chapelle des Martyrs thébéens, situées dans la tour Nord, et fermées hélas au public pour protéger cet ensemble réalisé au début du XVIe siècle. Une commande de l’un des personnages phare de la cathédrale, l’évêque Aymon de Montfalcon. Les miséricordes, soit les petites consoles fixées à la partie inférieure du siège rabattable d’une stalle, cachent de nombreux animaux. Comme par exemple une laie qui joue de la cornemuse (G). «Il s’agit d’un instrument populaire, dans le sens négatif du terme: l’art médiéval représente des fous qui en jouent. Le luth, au contraire, est alors associé au divin et aux choses de l’esprit», remarque Brigitte Pradervand, historienne de l’art indépendante et chargée de cours à l’UNIL. L’outre à vent possède même une connotation sexuelle. Quant au sanglier, il incarne la brutalité.

Ailleurs, on découvre des dragons et une sirène aux formes généreuses, sculptés dans le bois. Tout cela sent le soufre, dans un lieu qui accueillait des religieux. Rien d’étonnant pour Brigitte Pradervand: «Les animaux, les travaux des champs ou des scènes triviales, voire vulgaires, de la vie quotidienne sont courantes dans les stalles et les miséricordes. Les chapiteaux de l’église de Grandson en comportent plusieurs exemples.» La décoration de ces sièges, réservés à une élite, permet la dénonciation du mal, mais également une mise à distance, voire un humour au second degré.

Le bestiaire de la cathédrale, avec sa symbolique mouvante, reste parfois hermétique. Mais il éveille l’imagination des visiteurs. Et tout comme le singe figuré à hauteur d’homme dans le portail occidental, cette faune sculptée reflète des qualités et des travers très humains.

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La cathédrale Notre-Dame de Lausanne. Sous la dir. de Peter Kurmann. La Bibliothèque des Arts (2012), 323 p.
La cathédrale Notre-Dame de Lausanne. Sous la dir. de Peter Kurmann. La Bibliothèque des Arts (2012), 323 p.

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