«En tout cas, j’espère que tu ne vas pas faire généraliste»

Morgane Chave et David Ruchat. Etudiants en médecine à l’Université de Lausanne. Ils déplorent l’image négative dont souffrent les médecins de famille. Nicole Chuard © UNIL
Morgane Chave et David Ruchat. Etudiants en médecine à l’Université de Lausanne. Ils déplorent l’image négative dont souffrent les médecins de famille. Nicole Chuard © UNIL

Mal connu, le métier de médecin de famille apparaît comme moins prestigieux que celui de chirurgien. Les obstacles n’effraient pourtant pas la forte minorité d’étudiants qui se destine à cette spécialisation. Allez savoir! a mené l’enquête auprès des premiers concernés.

Près de 4000 nouveaux médecins de famille à plein temps seront né­cessaires à l’horizon 2025 pour combler les manques. La Confé­dération a décidé de lutter contre cette pénurie en mettant à disposition la somme de 100 millions de francs, en vue d’augmenter le nombre de personnes en formation. L’UNIL, tout comme d’autres hautes écoles, participe à cet effort général (lire l’article). Mais si les institutions sont conscientes du problème, qu’en pensent les premiers concernés? Les étudiants veulent-ils emprunter cette voie? Quel regard portent-ils sur ce métier?

Mal perçu

«Nous n’avons pas forcément une très bonne vision de ce qu’est un généraliste (2) en commençant la médecine. Le choix de cette spécialisation mûrit lentement pendant les six années d’étude, alors que certains savent dès le début qu’ils veulent devenir cardiologues ou chirurgiens», soulève David Ruchat, qui vient de terminer sa 3e année à l’UNIL. «Quand je demande à mes camarades qui ne veulent pas devenir généralistes ce qu’ils en pensent, ils me répondent que c’est un peu “plan-plan”. On est derrière son bureau, et puis voilà», complète le président de l’Association des étudiants en médecine de Lausanne pour l’année 2015-2016.

L’information sur la médecine de famille commence en 4e année avec le module «Généralisme», qui se prolonge en 5e. L’année suivante, un stage obligatoire d’un mois en cabinet (en pédiatrie ou avec les adultes) figure au programme. Lors d’une séance de débriefing le 30 juin dernier, les dix étudiants qui avaient effectué cette immersion s’exprimaient positivement sur cette expérience de terrain. Il est pourtant possible d’en faire davantage en montrant mieux «à quel point cette discipline est attractive. C’est un métier dans lequel on ne s’ennuie jamais», ajoute Thomas Bischoff, directeur de l’Institut universitaire de médecine de famille (IUMF) de 2009 à 2016. Le cursus universitaire se conclut par l’obtention d’un diplôme fédéral. Ensuite, les jeunes médecins peuvent choisir parmi un catalogue de 44 spécialisations. Cette partie, dite postgraduée, est pilotée par l’Institut suisse pour la formation médicale post­graduée et continue (ISFM).

Leurs semaines de cours débordant de sciences naturelles, les étudiants débutants interrogés par Allez savoir! n’ont pas une idée très claire de la médecine de famille. En revanche, les choses se précisent au fil du temps. «Les généralistes traitent les patients atteints de maladies chroniques au jour le jour, souligne Morgane Chave, qui a terminé sa 6e année. Ils gèrent aussi ce que nous appelons les petites urgences. C’est-à-dire tous les problèmes qui ont besoin d’attention médicale rapide, mais qui ne nécessitent pas une hospitalisation immédiate.» Et ils assurent le suivi de la population sur le long terme, ce que tous confirment.

Mal reconnu

C’est aussi un défaut de reconnaissance qui touche le métier. «Quand j’en parle autour de moi en dehors des auditoires, le généraliste souffre souvent d’une image de médecin bas de gamme. Ce qui est injuste, explique Damien Di Rocco, 5e année. Ils sont nécessaires dans la chaîne des soins.»

Les discours populaires dénigrants ont aussi un impact sur les choix futurs. Un facteur à prendre en compte, selon David Ruchat. «Prenons l’exemple classique d’une conversation avec un membre de la famille que nous n’avons pas vu depuis longtemps. Il commence par nous demander en quelle année on est, si on a réussi du premier coup, et dans quelle spécialisation on souhaite se lancer. A ce moment, c’est le commentaire ”En tout cas, j’espère que tu ne vas pas faire généraliste“ qui tombe. Même si je ne l’entends pas à chaque fois, c’est un choix à défendre, bien plus que si j’annonçais mon intention de devenir cardiologue.»

Mal payé

La différence de traitement financier figure aussi au rang des obstacles signalés par les étudiants. Dans le Bulletin des médecins suisses de 2012, le dernier qui soumettait au public les revenus des praticiens, la valeur salariale médiane annuelle pour la médecine de famille s’élevait à 197500 francs. Contre 345150 pour un ophtalmologue, ou 414650 pour un neu­rochirurgien. «Ces différences, de reconnaissance et de niveau de salaire, sont ressenties comme des injustices. Les efforts fournis au cours des études et de la formation postgraduée sont finalement les mêmes», soutient Morgane Chave.

Un point de vue que confirme Thomas Bischoff. «Un médecin de famille est moins bien payé et, en plus, assez dénigré. Dans la représentation générale, le chirurgien cardiaque apparaît davantage comme un héros que le médecin de premier recours. Dans la société, le salaire est l’appréciation par la population. Si un ophtalmologue ou un urologue gagne deux ou trois fois plus qu’un médecin de famille, c’est quand même un signe.» Alors, quelle serait la solution? Doubler la rémunération?

Bonne nouvelle toutefois: de leur propre aveu, les étudiants ne seraient que très peu nombreux à choisir une spécialisation selon le salaire. Car, bien que mal considérée, la médecine de famille attire toujours, surtout par son aspect humain. «Il y a quand même un côté ingrat avec ce manque de reconnaissance. Mais les personnes attirées par la médecine générale retirent leur satisfaction de l’aide qu’ils apportent aux patients, note Morgane Chave, qui se destine à la pédiatrie. Probablement davantage que dans certaines autres spécialités. Nous sommes présents au moment du diagnostic, pendant et après le traitement. Le médecin de famille a plus de recul et une vue d’ensemble.»

L’Association des étudiants en médecine de Lausanne a relayé un sondage inédit au sujet des projets de carrière des étudiants, concocté par Allez savoir! (lire ci-dessous). Il en ressort que la médecine de famille n’est de loin pas boudée par les premiers concernés, et que leur perception du métier évolue beaucoup au fil de leur cursus. Preuve qu’ils ne se laissent pas influencer par leur entourage et comptent plutôt sur leur expérience de terrain souvent décisive. De quoi rassurer un peu la Confédération et les universités qui s’engagent fortement pour former davantage de médecins.

En quelques chiffres

Allez savoir! a sondé les volées 2015-2016 des étudiants de 2e et de 6e année inscrits en Médecine afin de connaître le regard qu’ils portent sur la médecine de famille.

36% des répondants de 6e année disent vouloir devenir médecins de famille, contre 15% en 2e année.

80% des répondants de 6e année ont changé de choix de spécialisation au cours de leur forma­tion prégraduée, contre 46% en 2e année.

90% des répondants de 6e année disent avoir envisagé de devenir médecins de famille, contre 78% en 2e année.

56% des répondants de 6e année soulignent la diversité du métier de médecin de famille, contre 31% en 2e année.

Dans leur effort de revalorisation de la branche, l’IUMF, l’UNIL et le CHUV s’accordent sur le terme de «médecin de famille» ou «médecin de premier recours», qui inclut le pédiatre. Mais «généraliste» reste la dénomination la plus souvent employée par les étudiants et plus généralement par la population.

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