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Mettre la science au cœur de la société

Vice-rectrice en charge de la recherche, Estelle Doudet nous guide dans l’univers des sciences ouvertes, dont l’un des enjeux est de restaurer la confiance dans le savoir scientifique.

Félix Imhof © UNIL

Estelle Doudet (Félix Imhof © UNIL)

Mettre la science au cœur de la société

Vice-rectrice en charge de la recherche, Estelle Doudet nous guide dans l’univers des sciences ouvertes, dont l’un des enjeux est de restaurer la confiance dans le savoir scientifique.

Les sciences ouvertes signifient l’ouverture des savoirs scientifiques entre chercheurs et chercheuses, et entre scientifiques et partenaires de la société intéressés par les résultats de la recherche, ou encore désireux de participer à l’élaboration de ces savoirs. Le domaine des sciences ouvertes recouvre les « données de recherche ouvertes », soit la mise en accès libre des données collectées et produites dans le cadre d’une recherche, la « publication ouverte » des résultats et les « sciences partenariales » ou « citoyennes », méthodes qui consistent à intégrer des partenaires non scientifiques à la production d’une recherche scientifique.

Il ne s’agit pas de disperser les données sans limites, car elles peuvent mettre en jeu l’intimité, les opinions, exposer, voire menacer la vie des personnes interrogées ou ayant accepté de céder des informations sur leur santé ou diverses activités. Les scientifiques savent anonymiser mais il faut aussi les aider, y compris à renoncer parfois à livrer certaines données. « Notre commission d’éthique de la recherche ou ses antennes facultaires peuvent vérifier la conformité éthique d’une recherche et conseiller les scientifiques. » Voilà pour le domaine de l’open research data.

Par ailleurs, il y a le domaine plus ancien des publications ouvertes (open access), qui touche non pas les données mais les résultats, « c’est-à-dire les interprétations, les expériences, les résultats d’expériences et les hypothèses que les chercheurs et chercheuses ont générés et qu’ils vont soumettre à la lecture de leurs pairs, mais aussi finalement au grand public », décrit Estelle Doudet, qui souligne la nécessité de donner un accès « aussi large que possible et aussi fermé que nécessaire ».

La science citoyenne fait partie de l’open science

Un autre aspect concerne les sciences dites citoyennes, partenariales, participatives ou collaboratives, donc une approche qui fait intervenir des membres de la société civile, non pas et uniquement en tant que sujets de la recherche, mais comme coconstructeurs à parts égales d’un savoir. Via une plateforme de financement nommée Interface, la Direction donne, sur concours, des soutiens financiers à des projets portés par des chercheurs et chercheuses et incluant des acteurs et actrices de la société. « Cela peut être des associations, des musées, des administrations publiques, des municipalités qui se posent des questions sur leur fonctionnement ou un aspect particulier de la gestion d’une ville, par exemple », résume Estelle Doudet. Elle cite en outre le ColLaboratoire, unité qui conseille et encadre les parties prenantes de ces projets.

Elle signale encore l’accueil à l’UNIL, les 5 et 6 juin 2025, de la Conférence suisse des sciences citoyennes. Le rassemblement Citizen Science in Action comprendra des invités nationaux et internationaux. « C’est l’occasion d’inscrire la Suisse romande dans cette dynamique et de réfléchir avec nos collègues de Suisse alémanique. » Car l’un des enjeux de la science citoyenne est celui de la langue. « On ne peut pas collaborer avec des non-académiques uniquement, ou même essentiellement, en anglais », conclut la Vice-rectrice.

Un nouvel outil et un nouveau métier

Depuis plusieurs années, l’UNIL participe, comme d’autres universités, à l’ouverture des savoirs en incitant ses scientifiques à mettre en ligne, mais aussi en leur donnant des outils, par exemple la possibilité de rendre les publications accessibles sur Internet, en les intégrant dans un dépôt sécurisé nommé Serval : un outil « très bien pensé pour notre institution mais qui a vieilli ». Encore plus sûr, le nouveau dépôt de publications en cours de préparation à l’UNIL se nommera Iris et permettra d’accéder non seulement à des publications, mais encore de communiquer de multiples informations.

« Dans le soutien à la recherche, il y a aussi des ressources humaines. Nous avons offert aux facultés des ressources pour se doter d’un nouveau métier avec des personnes compétentes en matière de curation de données. »

Professeure Estelle Doudet, Vice-rectrice Recherche

Il s’agit de traiter les données de manière à ce qu’elles soient réutilisables par d’autres scientifiques. Les chercheurs et chercheuses, s’ils et elles connaissent bien leurs propres données, sont parfois un peu perdus sur la manière de les présenter pour qu’elles soient réutilisées par une communauté, peut-être pas exactement la leur, et selon des normes internationales. Les data stewards, curateurs ou curatrices de données en français, sont formés dans cette science, qui est celle d’un nouveau métier de soutien aux scientifiques. L’UNIL a aussi ouvert, avec le soutien du FNS et de la Confédération, une formation CAS en data stewardship pour l’ensemble de la Suisse, qui permet à des personnes de monter en compétences et d’acquérir une formation professionnalisante. Une première volée en a déjà bénéficié.

Cultiver la confiance, susciter le désir

L’idéal de la Vice-rectrice ? « Ce serait que la transparence et la rigueur méthodologique que les chercheurs et chercheuses, ainsi que leurs institutions, s’efforcent d’atteindre puissent consolider et peut-être restaurer la confiance en la science. Comme on le sait, dans certains réseaux ou milieux, cette confiance s’est amoindrie. Il faut montrer que l’on travaille pour le bien public. Et, pour susciter la confiance dans ce bien commun, il faut cultiver l’envie de partager et d’avoir accès à des résultats étayés par des pratiques scientifiques claires, solides méthodologiquement. Je pense que les universités souhaitent donner de plus en plus accès aux processus de production de la science, montrer comment ce savoir se construit et en quoi il peut aussi être évalué de manière critique, réfléchie et dans une forme de confiance partagée. Pour moi, l’idéal serait donc de travailler d’une manière qui suscite la confiance des citoyens et citoyennes. En cultivant également notre confiance envers les personnes qui vont utiliser ces données. »

Sélectionner, archiver, gérer

Qu’en est-il de l’augmentation exponentielle des informations et des résultats de recherches ? « De ce point de vue, je pense que l’intelligence artificielle va être assez utile pour trier ces données qui peuvent atteindre des proportions énormes dans certains domaines. Je ne pense pas que ce sera un problème dans des disciplines où il y a 14 chercheurs dans le monde. Mais l’accessibilité des données signifie qu’elles sont archivées, stockées, ce qui ne veut pas dire tout garder. L’archive, c’est la sélection. Donc il faut mettre en place des procédures, apprendre aux chercheurs et chercheuses à ne pas tout conserver ni tout mettre en ligne. Nous sommes là devant un processus de formation et d’autoformation. » Sans oublier les coûts que cela engendre : « Il y a des générateurs, des processeurs de données qui occupent des hangars gigantesques et ont un coût énergétique délirant. On doit s’en occuper. » – MdV / NR