Le pluralisme médical
Nommée professeure ordinaire au 1er mars 2023, Laurence Monnais ne craint pas de s’implanter loin de sa ville, Nancy, quittée déjà tant de fois. Pour Paris, d’abord, où elle effectue sa thèse sur l’histoire de la médecine en Indochine française, puis pour Montréal, où elle réalise un postdoctorat en sociologie de la santé, jusqu’à occuper un poste professoral en histoire asiatique à l’Université de Montréal. L’Asie du Sud-Est reste d’ailleurs son terrain de recherche privilégié. Aujourd’hui installée à Lausanne, la Française a pris la succession de Vincent Barras à l’Institut des humanités en médecine.
«Je n’ai pas une idée restrictive de la médecine, comme s’il ne pouvait y en avoir qu’une seule dans le monde entier. Vous imaginez bien que ce n’est pas le cas, je suis donc une historienne non pas de la médecine, mais de la santé», esquisse cette spécialiste des XIXe et XXe siècles, qu’elle explore sous l’angle des conceptions de la santé et des pratiques que les individus malades ou non mettent en œuvre pour se soigner, en fonction des pays, des périodes, des savoirs et des traitements à disposition. Les médecins français en Indochine, par exemple, ont pu collaborer – non sans réticences – avec des soignants sur place dans une forme de «pluralisme médical» voulu par les circonstances…
Plusieurs livres en préparation
Laurence Monnais travaille en ce moment sur divers ouvrages, notamment un essai sur les manières dont on écrit l’histoire des maladies infectieuses, une réflexion sur la pandémie de Covid et une histoire mondiale de la rougeole. «En Afrique subsaharienne le problème est très répandu, si bien qu’il faudrait vacciner les bébés, mais en ce moment il n’existe aucun vaccin suffisamment efficace pour eux», précise-t-elle. Sur le plan mondial, elle estime que cette maladie, qui ressurgit régulièrement et qui est facilement associée au refus vaccinal, est particulièrement «intéressante à regarder». Pour rappel, «la rougeole, jusqu’ici oubliée des historiens, reste l’une des dix premières causes de décès dans le monde…»
Dans l’immédiat, elle s’apprête à accompagner la publication de sa première BD, réalisée avec une illustratrice pour évoquer en textes et en images l’expérience de la pandémie à Montréal et la question de l’accès à la vaccination dans les quartiers défavorisés. Des livres, Laurence Monnais en écrit (en français et / ou en anglais) et en édite, puisqu’elle est la nouvelle directrice des éditions BHMS, créées par son prédécesseur et rattachées à l’IHM. À paraître prochainement sous sa direction : une série d’articles oubliés et inédits de la grande historienne Roselyne Rey à l’intersection de la médecine et de la biologie (une sorte d’hommage à la FBM, qui vient de fêter ses 20 ans), une plongée historique dans l’écriture des rêves par Jacqueline Carroy et un ouvrage de Jessica Schüpbach sur l’art d’écrire à l’asile de Marsens. La professeure supervise en outre les activités de Libellus, tout nouveau bureau d’aide à l’édition de livres de la FBM.
Enseigner l’histoire en médecine
Côté enseignement, Laurence Monnais parcourt avec l’ensemble des étudiantes et étudiants de première année l’histoire de la médecine actuelle telle qu’elle émerge et se construit depuis le XIXe siècle. «J’évoque les influences de l’Antiquité, brièvement car ce ne sont pas des étudiants en histoire mais de futurs médecins, il faut s’adapter à son auditoire», précise l’historienne. Elle propose en outre un tutorial autour du patient, avec sa collègue Béatrice Schaad, intervient dans un cours sur l’allaitement (à destination des étudiants en médecine et élèves sages-femmes) piloté par la docteure Céline Fischer Fumeaux (Service de néonatologie, CHUV) et participe au tutorat santé communautaire des étudiantes et étudiants en médecine de troisième année travaillant sur un projet de recherche qualitative. Elle a également monté un séminaire doctoral avec la philosophe Brenda Bogaert (IHM) dont l’objectif principal est d’accompagner les doctorantes et doctorants dans leur cheminement en sciences humaines et sociales de la médecine et de la santé (faire une demande de subsides, écrire un article, parler dans une conférence internationale ou aux médias…).
Pour se ressourcer, elle s’adonne au yoga et reste bien sûr en contact avec sa famille, qu’elle soit au Québec, en Europe ou en Amérique du Sud. On pourra d’ailleurs à l’occasion écouter à Lausanne son mari, historien lui aussi, sinologue et retraité voyageur. Pour clore ce périple avec Laurence Monnais, il faut encore citer l’Atelier des histoires, un pôle interdisciplinaire rassemblant les chercheurs et chercheuses UNIL en sciences historiques issus des sept facultés. Pour la FBM, Laurence Monnais était tout indiquée, et gageons qu’elle ne fera pas de la figuration, elle qui n’est à Lausanne que depuis un peu plus d’une année maintenant. – NR