jean francois bert 1226

L’historien qui interroge les savoirs

Fidèle à la Faculté de théologie et de sciences de religions depuis 2012, Jean-François Bert a été nommé professeur titulaire en 2024. Sa spécialité ? L’histoire des savoirs, qu’il enseigne à l’EPFL et dans sa faculté.

Félix Imhof © UNIL

jean francois bert 1226

L’historien qui interroge les savoirs

Fidèle à la Faculté de théologie et de sciences de religions depuis 2012, Jean-François Bert a été nommé professeur titulaire en 2024. Sa spécialité ? L’histoire des savoirs, qu’il enseigne à l’EPFL et dans sa faculté.

La circulation des savoirs, plus particulièrement des savoirs « savants », scientifiques, intellectuels, lettrés, est au cœur de son enseignement. « Je démarre avec Galilée et Copernic, au moment où on invente l’expérimentation, où on adopte un langage, des outils et des pratiques scientifiques dont les effets remettent en question les explications basées sur les textes bibliques et certaines observations de l’Antiquité », décrit l’historien. Cette révolution copernicienne, qui remplace le géocentrisme par l’héliocentrisme, au XVIe siècle, ne s’opère pas immédiatement contre la religion – Copernic était un chanoine soucieux de rendre compte des desseins divins – mais sera le point de départ dans l’histoire occidentale d’une séparation de plus en plus nette (et périodiquement remise en question) entre la religion d’un côté et la science et la politique de l’autre.

Savoir reconnaître des propos étayés et basés sur l’établissement de la vérité, savoir distinguer les résultats obtenus par des méthodes comme le calcul, la classification, la comparaison, la critique, le processus d’accumulation du savoir s’apprend, notamment à l’université. « Hélas, l’épistémologie ne trouve plus sa place dans nos écoles », regrette Jean-François Bert. L’histoire de chaque discipline ne suffit pas, selon lui, à apporter cet éclairage transversal indispensable sur la production des savoirs, souvent relégué de nos jours aux seuls éthiciens. « Je constate que les étudiants ont de la peine à défendre un point de vue, dans des thèses par ailleurs brillantes qui montrent leur connaissance du domaine », précise-t-il.

Autres époques, autres cultures

Cette capacité de discernement est pourtant essentielle pour résister aux caricatures, aux mensonges et aux idéologies. Surtout à l’heure des réseaux sociaux, des fake news, de l’intelligence artificielle. « Il devient difficile de reconnaître les types de discours et de réfléchir sans se laisser aller au suivisme et à la facilité », esquisse l’historien. L’Occident n’ayant pas le monopole de la connaissance, Jean-François Bert se fait aussi anthropologue pour étudier la production des savoirs dans d’autres époques et d’autres cultures.

« L’angle comparatif est pour moi essentiel car il y a eu des pratiques savantes ailleurs, par exemple en Afrique ou en Chine. On peut parler d’une émergence de l’astronomie au Moyen-Orient ou des mathématiques en Inde », décrit-il.

Professeur Jean-François Bert

L’historien ajoute que les spiritualités orientales comme le bouddhisme, l’hindouisme ou le taoïsme demandent d’écrire une autre histoire vis-à-vis des sciences. Il n’y a pas eu, comme en Occident, un conflit souvent frontal. Dans ses travaux, Jean-François Bert revient aussi sur des trajectoires savantes parfois étonnantes, comme celle de Charles Darwin, qui voulait être pasteur mais qui s’est éloigné de ce projet au fil de ses observations sur le terrain, au point de considérer l’athéisme comme un prérequis à l’élaboration d’une méthode scientifique efficace.

L’antiscience, nouvel enjeu « démocratique »?

Parmi les dérives actuelles, l’historien constate comment certains régimes politiques font de l’antiscience un nouvel enjeu, par exemple avec le gouvernement Trump aux États-Unis. « On avait l’habitude de voir ça dans les systèmes théocratiques ou autoritaires, en Inde, en Turquie ou dans certains pays arabo-musulmans. Darwin y est régulièrement interdit et les académiques sont sous surveillance, mais on s’aperçoit désormais que même les démocraties sont menacées par cette forme de révisionnisme qui brouille sciemment la notion de vérité, nie et / ou pervertit les constats scientifiques, jetant ainsi le discrédit sur la science, de même que sur les médias. » De ce point de vue, encore une fois, l’épistémologie peut être d’une aide précieuse. Cette approche permet en effet de distinguer des types de discours, des formes d’argumentation, des styles de raisonnement et d’être ainsi bien plus à même de repérer des élucubrations, des bricolages fantaisistes, et surtout des instrumentalisations. – NR