L’énigme Benjamin Constant
Son métier, il sait le raconter, avec un enthousiasme contagieux. Professeur associé en Section d’histoire, à la Faculté des lettres, Léonard Burnand incarne parfaitement le dynamisme qu’il perçoit dans sa branche. Pour lui, être historien s’apparente davantage à la profession de détective qu’à une discipline poussiéreuse. «Chasse au trésor», «trouver de la documentation inédite», «assembler des pièces de puzzle», nul doute que l’auteur de la biographie de Benjamin Constant – parue en mars 2022 aux éditions Perrin – sait choisir les mots qu’il faut pour rendre sa discipline vivante. Le confirme d’ailleurs le titre choisi pour l’introduction de son ouvrage : L’énigme Benjamin Constant. Voilà qui donne le ton, de même qu’un bref indice sur son auteur.
On devine que le petit garçon rêveur qu’il a été autrefois, fasciné par les châteaux, la Révolution française et les films historiques, est encore présent au fond du chercheur qu’il est devenu. Pour ce féru d’histoires – avec un grand ou petit « h » – le récit est un art pleinement compatible avec la science : «Être historien, c’est aussi savoir raconter et donner envie de lire la mise en récit du passé.» Le doyen de la Faculté des lettres s’exprime avec aisance, habitué, on le sent, à l’exercice de l’interview. Il aime la scène, parler en public et ne s’en cache pas. Il le confesse sans théâtralité, d’une sincérité telle qu’elle balaie d’emblée tout soupçon de suffisance.
Il était une fois un historien
Léonard Burnand se souvient avoir reçu à l’âge de six ans une Histoire de France illustrée et du déclic qui s’en est suivi. «Je connaissais ce livre par cœur, confie-t-il. Littéralement par cœur. Je me souvenais de tous les rois de France et faisais même des quiz à mon entourage.» Lors du bicentenaire de la Révolution, il avait 12 ans et il se souvient avoir suivi l’événement avec beaucoup d’intérêt. La lecture et l’écriture sont très tôt devenues partie intégrante des loisirs du futur historien, enfant solitaire et rêveur. «J’écrivais des scénarios de films, des histoires et même des chansons.»
C’est à l’UNIL que son intérêt prononcé pour l’Histoire s’est confirmé et concrétisé. «La voie académique permet de concilier l’enseignement, la recherche et la médiation culturelle», relève-t-il. Pour ce passionné des Lumières, ce dernier point est essentiel. Opposé à l’idée d’une «tour d’ivoire», il souhaite partager le savoir avec le plus grand nombre. «Ce qu’on fait au sein d’une institution comme l’UNIL, on le fait avec de l’argent public. On se doit donc de rendre au public le fruit de nos recherches.» Aujourd’hui, Léonard Burnand se définit comme un «pur produit de l’UNIL». Lorsque la porte du décanat s’est ouverte à lui, c’est donc sans hésitation qu’il a décidé de la franchir, d’abord comme vice-doyen en 2018, puis doyen depuis 2021. Une manière de rendre à son institution une partie de ce qu’elle lui a apporté.
Acte de naissance de notre modernité
De Jacques Necker à Germaine de Staël, son parcours d’historien l’a conduit petit à petit à devenir un véritable spécialiste de Benjamin Constant. En 2012, il est même nommé directeur de l’institut éponyme à l’UNIL. Pourquoi Constant et pas Charlemagne ou Cléopâtre ? Outre son statut de précurseur de la liberté et sa ferveur à défendre des valeurs dans lesquelles Léonard Burnand se retrouve, «Benjamin Constant est idéal pour comprendre et reconstituer le tournant des Lumières», une époque qui, depuis très jeune, fascine l’historien. «Nous sommes les enfants de cette période-là, explique-t-il. Et je pense qu’une société ne peut pas savoir où elle va, si elle ne sait pas d’où elle vient.» Les Lumières incarnent donc une sorte «d’acte de naissance de notre modernité».
De nombreuses distinctions
Sensible à la profondeur chronologique des lieux qui l’entourent, Léonard Burnand est aussi un Lausannois pure souche. Il fait partie de ceux qui n’ont jamais ressenti le besoin de partir loin pour se trouver, mais qui aspirent plutôt à savoir et comprendre ce qu’il s’est passé ici «avant». C’est d’ailleurs, en partie, ce qui l’a lié à Benjamin Constant, né à Lausanne en 1767. «Ma région était aussi la sienne et c’est un personnage qui permet de faire le lien entre le Léman et le monde, considère-t-il. Ici, on ne se rend pas toujours compte de sa renommée, mais Benjamin Constant est une figure intellectuelle internationale et Lausanne porte aujourd’hui encore son empreinte.»
C’est en parallèle de son mandat au décanat que les éditions Perrin ont approché Léonard Burnand pour lui proposer d’écrire une biographie de Benjamin Constant. «J’ai accepté de me lancer dans cette aventure car je venais de découvrir des archives inédites relatives à sa jeunesse.» Par ailleurs, «sa vie, pleine de rebondissements, avait assurément un potentiel romanesque remarquable». Celui qui a toujours adoré raconter l’Histoire l’admet, il ne s’attendait ni à ce que son livre rencontre un tel succès, ni à ce qu’il intéresse tant les médias. Outre le prix de l’Académie française, le professeur s’est vu remettre plusieurs distinctions. Lauréat du Grand Prix de la Fondation Napoléon et de celui de la Société littéraire de Genève, Léonard Burnand a également été finaliste du Goncourt et du Grand Prix de la biographie politique. Un bel aboutissement, passé par l’obtention du Prix de l’UNIL lors du Dies academicus 2024.
Un texte paru initialement dans L’uniscope – GM