Une autrice chez le maharadjah
En ce moment, elle travaille sur un manuscrit à première vue sans prétention, sans ornement, mais fascinant car rédigé lors du règne (1667-1689) du maharadjah Ram Singh par une femme de sa cour dont on ne connaît rien hormis ce texte signé du nom de Mohan Rai. «Elle appartenait sans doute à cette catégorie de femmes lettrées que l’on trouvait dans toutes les cours du nord de l’Inde, et qui maîtrisaient la plume, le chant, la danse. Je tente de faire surgir ce monde féminin à partir d’indices rares, en croisant ce manuscrit avec d’autres déjà connus et en cherchant ce qui, dans cet ensemble de poésies brèves décrivant des événements relatifs au maharadjah et à son entourage, en particulier féminin, peut nous faire accéder à l’imaginaire et peut-être à la réalité de ces femmes à la fois poétesses et courtisanes», esquisse Nadia Cattoni.
Elle traduit en français et en anglais ces poèmes, dont la moitié sont dédiés à des femmes, entre figures littéraires stéréotypées et personnages historiques. L’un d’eux présente Ram Singh comme une déclinaison princière du dieu Krishna, divinité centrale de l’hindouisme. La poétesse évoque l’anniversaire du maharadjah, né durant le mois de Krishna, d’un père qui rappelle celui du dieu ; l’homme est vêtu pour l’occasion des mêmes parures que son modèle et s’entoure, comme Krishna, d’un groupe de jeunes danseurs qui se jettent de la poudre rouge en guise d’amusement divin…
La beauté d’un prince… ou d’un jardinier
Dans un autre extrait, Mohan Rai décrit une jeune fille qui enchante ses proches mais doit les quitter pour s’unir au maharadjah ; son appréhension est palpable, cependant les réjouissances peuvent commencer car le futur marié semble fort beau : «Just by his gaze, you will faint», conclut la poétesse. Mais Nadia Cattoni cherche ce qui, dans ce texte littéraire consacré au roi, peut évoquer la vie des femmes appartenant à sa cour. Par exemple ce poème adressé à une «chère amie», dont l’amour apparemment déçu pour un jardinier touche l’autrice qui s’en afflige. Voici un extrait : «Tu souffres comme si tu étais au soleil, ton souffle est très chaud, jour après jour, ton cœur est consumé par ta respiration. Lorsqu’un si tendre amour est en train de germer, comment tolérer une telle souffrance ?»
Épouser les études indiennes
Ce manuscrit conservé dans la ville de Jaipur (capitale du Rajasthan) est rédigé en devanagari, une écriture devenue majoritaire en Inde, notamment pour le hindi contemporain, mais qui fut d’abord celle du sanskrit religieux. Nadia Cattoni enseigne le hindi et le braj, une forme beaucoup plus rare de hindi classique. Elle donne également un cours sur l’hindouisme suivi par des étudiantes et étudiants en lettres, SSP et sciences des religions. Ainsi que des cours thématiques, par exemple, en ce moment, sur les traditions théâtrales du sous-continent…
Comment cette diplômée en sociologie, devenue assistante sociale, mère de deux garçons (aujourd’hui âgés de 21 et de 16 ans), en est-elle arrivée à embrasser les études indiennes ? «L’envie de reprendre des études mais hors du périmètre européen et méditerranéen», confie la professeure de tout juste 47 ans. Or l’Asie l’attire davantage qu’un autre continent. À l’UNIL, elle va rencontrer Maya Burger (aujourd’hui professeure honoraire), qui dirigera sa thèse sur Dev (un maître de la poésie courtoise indienne) et qu’elle remplace donc depuis quelques mois. – NR