Série Sciences Actuarielles: Comment assurer les phénomènes climatiques extrêmes?

Le changement climatique, la pauvreté et le vieillissement de la population peuvent créer des risques considérables pour la société et le secteur des assurances. Dans une nouvelle série, nous examinons comment la recherche en science actuarielle peut aider à relever ces défis.

Les catastrophes naturelles, en particulier celles qui sont provoquées par le changement climatique, sont une source de préoccupation croissante pour le secteur de l’assurance. Les pertes assurées ayant atteint, au niveau mondial, 80 milliards de dollars américains au premier semestre 2025. Cela représente près du double de la moyenne sur 10 ans, et marque la cinquième année consécutive où les pertes ont dépassé 50 milliards de dollars américains pour cette période (selon le Swiss Re Institute1).

Ces pertes reflètent l’impact financier croissant du changement climatique, qui pose des défis au secteur de l’assurance.

« Les grandes questions sont les suivantes : qui doit payer ? Ce risque est-il assurable ? C’est là que le travail des actuaires est crucial. Comme les primes peuvent ne pas suffire à couvrir les mauvaises années, quel capital supplémentaire est nécessaire pour maintenir la viabilité des solutions d’assurance ? Les actuaires évaluent la probabilité et la gravité de ces pertes afin de répondre à ces questions.», explique Hansjörg Albrecher, professeur de mathématiques actuarielles à HEC Lausanne.

« Afin de déterminer le montant prévisible des sinistres, le montant des primes à facturer et le capital nécessaire pour faire face à des événements plus extrêmes, il faut pouvoir s’appuyer sur des modèles précis. Ceux-ci nous indiquent comment mettre en place un système qui permet de verser des indemnités en cas de catastrophe, tout en restant suffisamment attractif pour les investisseurs.».

Contrairement à de nombreux autres types de sinistres, les catastrophes naturelles ont pour particularité d’entraîner des pertes colossales simultanées. L’évaluation de ces probabilités est compliquée par le changement climatique, car le passé n’est pas un indicateur suffisant de l’avenir, étant donné que les émissions rejetées dans l’atmosphère sont de plus en plus importantes, ce qui entraîne des événements extrêmes plus fréquents et plus importants.

Une équipe interdisciplinaire composée de scientifiques, de climatologues, de géologues, d’hydrologues, de mathématiciens et d’actuaires est nécessaire. C’est là que le travail du Centre d’expertise pour les extrêmes climatiques (ECCE) de l’Université de Lausanne, dont le professeur Albrecher est l’un des membres fondateurs, est essentiel.

« À l’avenir, nous voulons continuer à offrir une couverture d’assurance contre les catastrophes climatiques sans mettre les compagnies d’assurance en faillite. Aucun particulier ni aucune entreprise ne souhaite être inassurable. Mais comment rendre ce type d’assurance attractif pour les investisseurs ? », s’interroge-t-il.

Grâce à la modélisation mathématique, le professeur Albrecher et son équipe ont identifié des stratégies de dividendes optimales pour un assureur, qui montrent qu’il peut être avantageux pour les actionnaires d’investir dans l’assurance contre les catastrophes naturelles.2  Il s’agit d’un résultat prometteur, à un moment où les réassureurs sont réticents à couvrir de tels risques.

« Nous avons démontré qu’avec une bonne compréhension des probabilités d’événements, les actionnaires peuvent utiliser ces connaissances à leur avantage », note-t-il.

Cette conclusion reste valable même lorsque des points de basculement climatiques sont à prévoir, c’est-à-dire des moments où les conditions se détériorent de manière irréversible, entraînant une augmentation de la fréquence et de la gravité des catastrophes. Cependant, les primes doivent être ajustées de manière équitable une fois qu’un tel point de basculement est atteint.3

Les recherches suggèrent qu’une plus grande variabilité climatique ne rendra pas nécessairement l’assurance contre les catastrophes peu attrayante pour les actionnaires, les investisseurs ou l’industrie dans son ensemble.

« De tels résultats indiquent que l’assurance peut rester viable. Mais une autre question se pose : qui doit supporter le coût de l’augmentation des primes à mesure que les risques climatiques s’intensifient ? Est-il acceptable que les particuliers assument seuls cette charge, ou les gouvernements doivent-ils intervenir avec des subventions financées par l’impôt ? Notre objectif est de construire des modèles transparents qui peuvent aider les universitaires, l’industrie et les décideurs·euses politiques à comprendre et à calibrer les risques climatiques, afin que les assureurs – et la société – puissent relever efficacement ce défi. », conclut le professeur Albrecher.

Références :

  1. Des incendies hors saison provoquent des pertes catastrophiques supérieures à la tendance au premier semestre 2025, Swiss RE Institute, 5 août 2025.
  2. Stratégies de dividendes optimales pour un assureur catastrophe, Hansjoerg Albrecher, Pablo Azcue, Nora Muler, Frontiers in Mathematical Finance 3. N° 2, 2024
  3. Dividendes optimaux pour un assureur NatCat en présence d’un point de basculement climatique, Hansjoerg Albrecher, Pablo Azcue, Nora Muler, The Canadian Journal of Statistics, à paraître