Faut-il repenser le modèle d’acquisition des Big Tech?

Le problème

Au cours des dernières décennies, la proportion de startups actives dans le secteur des logiciels qui ont été rachetées plutôt que de devenir publiques a augmenté. Les Big Tech et autres grandes entreprises qui disposent de larges réserves de trésorerie, achètent des entreprises plus petites dans le but d’acquérir de l’innovation ou du capital humain, de réduire la concurrence ou de maximiser la croissance. Pour de nombreuses startups financées par du capital-risque, cela est désormais considéré comme une stratégie de sortie viable.

Ces acquisitions sont-elles bonnes pour la santé du marché des logiciels ? Favorisent-elles l’arrivée de nouveaux acteurs ou au contraire, étouffent-elles des innovateurs·trices prometteurs·euses ? Les startups prometteuses devraient-elles être autorisées à prospérer pour devenir publiques un jour ? Faudrait-il bloquer les Big Tech qui intensifient ce problème?

Meta, Google, Apple et Amazon, entre autres, ont souvent acheté des nouveaux innovateurs pour rester en avance. La dernière vague qui cible l’intelligence artificielle générative (IA) ne fait pas exception. Pourtant, il n’existe aujourd’hui que peu de recherches sur le sujet qui pourraient nous aider à comprendre le défi

C’est pourquoi Luise Eisfeld, Professeure Assistante de Finance à HEC Lausanne, a collecté de nouvelles données et développé un modèle dynamique d’entrée de startups, avec le working paper « Entry and Acquisitions in Software Markets », qui façonne désormais la manière dont les académicien·enne·s et les décideur·euse·s pensent la concurrence dans la sphère numérique.

En appliquant le modèle aux données qui comprenaient 20’000 entreprises, Luise Eisfeld a découvert que si toutes les acquisitions de startups étaient totalement bloquées, l’entrée de nouvelles startups pourrait diminuer de 20 %. Ce sont les résultats préliminaires mais cela s’explique par le fait que les capital-risqueurs et les investisseurs sont plus susceptibles d’investir s’ils pensent que l’entreprise sera achetée pour un profit. La recherche montre également que le blocage des fusions entre des acteurs établis de l’industrie et des startups plus matures pourrait augmenter les entrées sur le marché. En effet, les investisseurs se sentiraient moins susceptibles d’être entravés par les Big Tech.

Pourquoi c’est important

Les régulateurs aux États-Unis et en Europe ont intensifié leur lutte contre les comportements anticoncurrentiels des géants de la technologie. La Commission européenne a déjà ouvert une enquête sur le comportement d’Apple, Alphabet et Meta. Cela survient à la suite de la loi sur les marchés numériques de l’UE, une nouvelle loi ambitieuse visant à garantir une concurrence loyale dans l’industrie technologique de l’UE. La grande question est maintenant de savoir s’il devrait y avoir une révision des fusions ou un régime réglementaire plus strict qui contrôle plus généralement le comportement du marché.

Ce que dit la professeure

La grande majorité des startups, en particulier dans l’UE, sont maintenant rachetées et très peu deviennent publiques. Beaucoup anticipent sur le fait qu’elles seront rachetées à l’avenir. Cela les motive à entrer sur le marché, ce qui motive également les capital-risqueurs à les financer.

Le modèle montre que si ce sont les Big Tech qui rachètent les startups, cela peut dissuader l’entrée. Alors que les acquisitions en général, qui peuvent également être faites par des entreprises plus petites, encouragent l’entrée. Les politiques de fusion doivent équilibrer ces deux effets opposés. Un examen au cas par cas des acquisitions est donc essentiel avec une grande attention sur l’activité des Big Tech.

Conclusion

La recherche a attiré beaucoup d’intérêt de la part des décideurs·euses politiques, y compris de la Competition and Markets Authority au Royaume-Uni, soulevant de nombreuses questions. En tant que société, voulons-nous que davantage de startups soient rachetées par les Big Tech, avec seulement quelques nouvelles entreprises cotées en bourse? Ou voulons-nous un écosystème de startups plus large, avec beaucoup plus d’entreprises ayant le potentiel de croître et de faire des introductions en bourse (IPOs)? Si nous souhaitons cette dernière option, nous devons alors réduire les barrières réglementaires auxquelles les startups sont confrontées lorsqu’elles veulent devenir une entreprise cotée en bourse, et aussi soutenir les startups pour qu’elles croissent beaucoup plus rapidement et de manière plus importante.