Le scénario chez Alain Tanner : discours et pratiques. Une approche génétique du récit filmique et des représentations de genre

Ce projet entend investiguer, sur la base principalement des archives personnelles d’Alain Tanner déposées à la Cinémathèque suisse et récemment inventoriées par cette institution, la genèse des dix-neuf longs métrages de fiction réalisés par le cinéaste suisse romand entre 1969 (Charles mort ou vif) et 2004 (Paul s’en va) en optant pour une méthodologie relevant de l’étude génétique des textes scénaristiques et en recourant à l’utilisation d’une base de données. Parallèlement à l’étude des archives de production qui nous renseignent sur les pratiques d’écriture, nous envisagerons le discours tenu à propos du scénario par Tanner, l’un des cinéastes suisses à avoir bénéficié d’une importante reconnaissance internationale et exercé un impact considérable sur la manière dont le cinéma a été conçu dans son pays.

Alain Tanner et l’actrice Karin Viard sur le tournage de Fourbi (1996), film coscénarisé par Bernard Comment. (Photo : Cinémathèque suisse)

Nous postulons que le « scénario » se situe au cœur de l’œuvre du cinéaste dans la mesure où ce dernier a constamment entretenu un rapport ambivalent à ce stade de la fabrication de ses films : alors qu’il n’a eu de cesse de relativiser le rôle de l’écriture au profit de la mise en scène, il a par ailleurs constamment problématisé, dans ses prises de position publiques et ses nombreux textes de réflexion sur sa pratique, la question de l’écriture, et ce jusque dans son ouvrage Ciné-mélanges paru en 2007. La constitution d’un historique de production de l’ensemble des longs métrages que Tanner a réalisés, (co)produits et (co)écrits, ainsi qu’une étude comparative des états et variantes de scénario entre eux et avec les différents films tels qu’ils ont été exploités seront ainsi corrélés à l’ensemble des discours sur le cinéma qui ont été émis par Tanner à travers divers canaux médiatiques, ainsi qu’avec la réception critique de ses films qui s’est fait l’écho de son discours et a commenté son travail. L’étude de ce corpus se prête à affiner l’approche génétique du scénario en l’adaptant au non-conformisme des pratiques de Tanner.

La genèse des scénarios de Tanner sera en particulier envisagée dans ce que leur étude apporte sur un plan méthodologique à la génétique des textes et dans la manière dont ceux-ci s’appuient sur du matériel antérieur (romans pour ses deux adaptations, journaux intimes, faits divers, photographies, cartes géographiques, etc.), programment différents aspects du film à venir (dialogues, mouvement d’appareil, montage, jeu d’acteur, bande-sons, etc.) et résultent d’une écriture collaborative. À ce titre, trois personnalités ayant travaillé successivement comme coscénariste sur des films de Tanner et stimulé sa réflexion sur le cinéma feront l’objet d’une étude : le critique d’art John Berger, l’actrice et chanteuse Myriam Mézières et enfin le romancier et figure du monde des lettres et des médias Bernard Comment. Les modalités de la création à quatre mains seront discutées dans une perspective double :

  1. une étude narratologique (la construction du récit et des personnages, le processus de l’adaptation, etc.) mettant l’accent sur l’articulation entre lieu de tournage et espace diégétique qui témoigne chez Tanner de son expérience dans la pratique documentaire ;
  2. une étude des représentations genrées.

Sur ces deux plans, nous montrerons, en dépit d’ambivalences diverses, combien le cinéma de Tanner se distingue de la production dominante et même du cinéma d’auteur francophone post-Nouvelle Vague par une originalité certaine qui demeure à ce jour trop peu discutée dans l’histoire du cinéma (suisse).

Direction du projet
Alain Boillat, Professeur ordinaire, Section d’histoire et esthétique du cinéma

Équipe de recherche
Jeanne Modoux, doctorante FNS
Vincent Annen, doctorant FNS

Durée du projet
2021-2026