Réparer des cœurs, façonner des enfants. Trajectoires d’enfants béninois et togolais bénéficiant d’interventions chirurgicales en Suisse
Après l’obtention d’un Master en sciences sociales à l’UNIL en 2013, Carla Vaucher a collaboré au sein de différents projets de recherche mêlant sciences sociales, médecine et travail social, à la Haute école de santé de Neuchâtel (HE-Arc), à la Haute école de travail social de Fribourg (HETS-FR), à l’Université de Fribourg, à l’Institut de médecine sociale et préventive (IUMSP) et au sein du service de psychiatrie de liaison du CHUV. Dans le cadre de sa thèse de doctorat, débutée en 2017, elle a bénéficié d’une bourse UNIL-CHUV lui permettant de passer 12 mois au département d’anthropologie de l’Université de Toronto, au Canada (2021-2022). Elle a soutenu sa thèse le 9 juin 2023 sous la direction de Prof. Francesco Panese.
Les cardiopathies congénitales sont les malformations congénitales les plus répandues à la naissance à travers le monde. Les progrès spectaculaires de la chirurgie cardiaque depuis les années 1950 se limitent cependant aux pays dits industrialisés, 90% des enfants nés avec une cardiopathie congénitale vivant dans des régions ne possédant pas d’accès adéquat au diagnostic et aux soins. Visant à pallier ces inégalités de santé, certaines ONG mettent sur pied des programmes de « transfert médical » permettant à des enfants ouest-africains de voyager vers l’Europe en vue d’interventions chirurgicales salvatrices, également motivées par des logiques dépassant l’humanitaire.
Cette thèse porte sur l’expérience d’enfants béninois et togolais souffrant de cardiopathies congénitales et voyageant seuls vers la Suisse dans le cadre de leur prise en charge par un tel dispositif. À travers une ethnographie itinérante, sensorielle et impliquée d’une durée de 18 mois, j’ai suivi et accompagné 81 enfants âgés de deux mois à 16 ans à une ou plusieurs étapes de leur trajectoire en Suisse, au Bénin et au Togo. Ce travail explore la manière dont les profondes inégalités d’accès à la santé ainsi que les représentations des relations entre pays du « Nord » et pays du « Sud » façonnent le type de soins dont ces enfants bénéficient. Cette thèse permet de valoriser le travail – pratique, émotionnel, de care – des acteur·trice·s impliqué·e·s dans la trajectoire des enfants. Elle documente la participation active, bien que souvent silencieuse, discrète et peu reconnue, des enfants – y compris des bébés – à leurs soins et à ceux d’autres enfants. Questionnant certaines représentations générationnelles, culturelles et de genre, elle souligne ainsi la coexistence, chez la totalité des acteur·trice·s, de vulnérabilités et de capacités d’agir, s’exprimant à des degrés divers selon les contextes.
Le fait d’accompagner les enfants à plusieurs étapes du dispositif permet de mettre en évidence leur façonnage biologique, identitaire et moral au fil de leurs déplacements à travers des espaces géographiques, institutionnels et moraux différents de ceux qu’ils connaissent. Cela permet également de souligner les effets inattendus et non-souhaités des politiques d’aide humanitaire, qui participent à maintenir des inégalités d’accès au cure et au care. La décision prise par l’ONG de se retirer du programme en 2022 et les tensions qu’elle génère témoignent finalement des questionnements en cours au sujet des valeurs qui animent le champ de l’aide humanitaire.