Harro Maas est professeur ordinaire en méthodologie et histoire économique au Centre Walras-Pareto d’études interdisciplinaires de la pensée économique et politique (IEPHI), depuis le 1er janvier 2015. Avant de rejoindre l’UNIL, il a enseigné aux Pays-Bas, à l’Université d’Amsterdam d’abord, puis à l’Université d’Utrecht dans des facultés d’économie et de gestion.
Quel est le parcours qui vous a amené à devenir chercheur ?
Après avoir fini mes études en économie et philosophie, j’ai enseigné l’économie et la gestion dans un lycée durant environ treize ans. Au début des années nonante, la Faculté d’économie et de gestion de l’Université d’Amsterdam m’a sollicité pour donner un cours en méthodologie/philosophie des sciences sociales (on peut penser à la triade quasi-classique de Popper-Kuhn-Lakatos). Je m’y suis senti tellement bien que j’ai décidé de m’embarquer dans un travail de thèse sur l’un des fondateurs de la théorie marginaliste en économie, le polymathe Victorien Stanley Jevons. C’est la première fois que je faisais des recherches archivistiques et c’est une expérience qui a complètement changé ma vie. J’ai donc décidé que je voulais continuer à faire cela pour le reste de ma vie.
Votre domaine de recherche en une phrase ?
L’enjeu des économistes entre discours académiques, politiques et publics.
Et un sujet plus précis en quelques mots ?
J’ai un intérêt particulier pour la manière dont les outils développés par les économistes (taxonomies, diagrammes, formes mathématiques différentes, expériences de laboratoire) transforment non seulement l’espace académique, mais aussi l’espace politique et public. Par exemple, l’émergence des modèles macro-économiques dans l’entre-deux-guerres a créé la possibilité de dépolitiser des questions de politique socio-économique en les traduisant dans un espace quasi-neutre de chiffres et de causalité fixe – ce qui est devenu la manière dominante d’établir un consensus politique aux Pays-Bas, par exemple. Néanmoins, de tels modèles n’ont pas du tout le même statut dans d’autres contextes nationaux. L’un des éléments qui m’intéresse est de comprendre la tension entre, si l’on veut bien, la vie ontologique et sociale des modèles des économistes.
Pourquoi ce domaine de recherche ?
Je vais répondre à cette question en citant la conclusion du General Theory of Employment, Interest, and Money (1936), de John Maynard Keynes (quelqu’un qui, entre parenthèse, était très conscient de son rôle en tant qu’économiste dans la vie publique) :
“The ideas of economists and political philosophers, both when they are right and when they are wrong, are more powerful than is commonly understood. Indeed, the world is ruled by little else. Practical men, who believe themselves to be quite exempt from any intellectual influences, are usually slaves of some defunct economist.”
J’ajouterai que ce ne sont pas seulement les idées, mais peut-être surtout les outils des économistes qui nous guident (le terme d’ «esclave» utilisé par Keynes est un peu fort, et par ailleurs je ne qualifierais pas les économistes de «defunct») dans la vie publique.
Pourquoi être chercheur à la Faculté des SSP de l’UNIL ?
Avec le Centre Walras-Pareto, la Faculté des SSP a un centre unique au monde. Il y a bien des centres qui s’intéressent à l’histoire et à la méthodologie de l’économie (par exemple, le CNSS au LSE, Durham UK, Helsinki, Rotterdam, Duke University), mais il n’y en a aucun qui combine recherches historiques en économie et science politique. Je me sens donc privilégié de pouvoir contribuer au CWP et de me trouver dans une équipe enthousiaste et solide.
Qu’attendez-vous de vos recherches ?
Je souhaite en premier lieu pouvoir mieux comprendre la position de l’économie en tant que discipline parmi les autres sciences sociales, ainsi que la position des économistes dans la vie publique. Dans un deuxième temps, j’espère pouvoir en tirer des leçons pour l’économie politique, par exemple en ce qui concerne les questions de valorisation de recherche.
Quelles difficultés éprouvez-vous dans le travail de recherche ?
Les mêmes qu’avec la glace italienne : on en veut trop, mais on ne peut pas goûter tous les parfums dans le temps limité qui nous est donné.
Quels sont les talents cachés qui vous aident à surmonter ces difficultés ?
Malheureusement, ces talents restent toujours bien cachés pour moi aussi. Mon problème est celui du manque de temps – un problème que bien des économistes ont considéré (et considèrent encore) comme fondateur pour leur discipline – et de la nécessité de faire des choix.
Qui serez-vous dans 10 ans ?
Les incertitudes du temps ! D’une part, j’espère être toujours impliqué auprès des étudiants et collègues ici et, d’autre part, mieux comprendre (et intervenir dans) les interactions entre sciences sociales et société.