Mainmise sur l’Etat social. Mobilisation patronale et caisses de compensation en Suisse (1908-1960)
Pierre Eichenberger a été assistant diplômé à l’Institut d’histoire économique et sociale de 2010 à 2015. Depuis mars 2015, il est rattaché au Centre for Business History in Scotland de l’Université de Glasgow, dans le cadre d’une bourse Early Postdoc Mobility. Le projet de recherche qu’il y mène interroge le rôle de l’Organisation internationale des employeurs industriels dans la mobilisation du patronat européen de l’entre-deux-guerres aux années 1950.
Qui sait qu’en Suisse, les associations patronales mettent en œuvre l’Etat social ? Qui sait que ces associations organisent la majorité des caisses de compensation, dont la fonction principale est de collecter les cotisations et de payer les rentes de l’Assurance-vieillesse et survivants ? Qui connaît ces caisses par lesquelles transitent les milliards de l’Etat social ? L’objectif de cette thèse consiste à comprendre les raisons qui ont poussé le patronat helvétique à mettre en œuvre les politiques de protection sociale, dont il a pourtant toujours essayé de limiter le développement.
Résoudre ce paradoxe implique de se pencher sur près d’un siècle d’histoire associant patronat et politiques sociales. Ce travail retrace, sur la base d’archives privées et publiques souvent inédites, les raisons qui ont poussé les patrons à créer les premières caisses de compensation dans l’entre-deux-guerres, puis à imposer cette forme d’organisation pour l’aide aux soldats mobilisés (autour de 1940) et l’Assurance-vieillesse et survivants (autour de 1948). Il étudie également la façon dont les associations patronales sont parvenues à défendre leurs caisses jusqu’à aujourd’hui, contre ceux qui dénonçaient l’irrationalité de l’existence d’une centaine de caisses de compensation publiques et privées concurrentes pour mettre en œuvre un seul système d’assurances sociales.
Cette recherche amène deux grands résultats. D’une part, elle propose une histoire originale des politiques sociales en Suisse. Le prisme des caisses de compensation patronales contribue en effet à interroger notre compréhension de l’histoire des politiques de protection sociale, dans laquelle on sous-estime parfois l’importance des conflits pour fixer les frontières entre formes de protection publique et privée. D’autre part, ce travail présente une histoire inédite de l’action collective des patrons dans les régulations du travail au sens large. À travers les caisses de compensation, je me suis en effet attelé à réaliser une histoire de l’Union centrale des associations patronales suisses. Faute de parvenir à empêcher tout développement des politiques sociales, les patrons ont fait en sorte d’acquérir sur ces politiques une forme de mainmise. Entre histoire des politiques sociales et histoire du patronat, ce travail tente d’expliquer comment les caisses de compensation y ont contribué.