Récits croisés sur les pratiques d’excision : perspective critique et décolonisante entre la Suisse et l’Égypte
Yasmina Lotfi est psychologue et chercheuse en psychologie critique de la santé. Ce champ s’intéresse à la santé en tenant compte des dimensions sociales, culturelles, politiques et historiques, en questionnant les rapports de pouvoir qui construisent les expériences et les pratiques de soins. Elle a réalisé sa thèse sous la direction de la Professeure María del Río Carral (Institut de psychologie, Université de Lausanne). Son travail s’inscrit dans le champ de la psychologie critique discursive et mobilise une approche décolonisante pour interroger les récits, vécus et la prise en charge des femmes excisées, ainsi que les discours et pratiques des professionnel·les de santé. Elle a soutenu sa thèse le 12 mai 2025.
Cette recherche se penche ainsi sur les pratiques d’excision – interventions visant à modifier ou retirer une partie des organes génitaux externes féminins pour des raisons non médicales – profondément ancrées dans certaines traditions socioculturelles. Bien que souvent étudiées depuis un point de vue occidental et dans des contextes de migration, cette thèse choisit de croiser deux terrains contrastés : la Suisse, où les pratiques ne sont pas socialement normatives mais rencontrées dans le cadre migratoire, et l’Égypte, l’un des pays où elles sont les plus répandues et où leur médicalisation atteint un niveau record.
Ce choix de terrain égyptien permet d’analyser les vécus des femmes dans un contexte où ces pratiques sont socialement normées et largement réalisées par des professionnel·les de santé, offrant ainsi une perspective rarement documentée dans la recherche académique. Il ouvre la voie à une compréhension qui dépasse l’unique prisme occidental – centré sur la migration et la stigmatisation – pour saisir également la complexité des justifications, tensions et négociations autour de ces pratiques dans leur contexte de pratique. À partir d’entretiens individuels et collectifs avec des femmes excisées et des professionnel·les de santé, ainsi que d’observations ethnographiques, ce travail explore la manière dont les discours dominants, notamment biomédicaux, postféministes et postcoloniaux, façonnent les récits, les expériences identitaires et les positionnements des acteurs et actrices concerné·es.
En analysant à la fois les dynamiques de reproduction et de résistance à ces discours, la thèse de Yasmina Lotfi met en lumière les tensions entre pathologisation, impératifs normatifs sur les corps et sexualités des femmes et normes globalisées sur le genre et la santé. Elle contribue à déconstruire les stéréotypes attachés à « la femme excisée » et aux communautés de pratique et plaide pour une approche inclusive, respectueuse des subjectivités et des savoirs locaux, en interrogeant les implications éthiques et politiques des interventions médicales et sociales dans ce domaine.
