Deux pionnières de la psychiatrie infantile à la croisée des sciences et de l’humanitaire

Le projet franco-suisse Engagements humanitaires et scientifiques en faveur des enfants retrace les parcours de la médecin d’origine polonaise Françoise Minkowska et de la psychologue suisse Marguerite Loosli-Usteri. Mené dans le cadre du Partenariat Hubert Curien « Germaine de Staël », il éclaire, à partir d’archives inédites, leur rôle dans la protection de l’enfance et dans la diffusion des savoirs médico-pédagogiques au début du XXe siècle.

psychiatrie infantile
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Derrière les noms de Françoise Minkowska (1882-1950) et de Marguerite Loosli-Usteri (1893-1958) se dessinent deux trajectoires exceptionnelles, à la fois scientifiques et profondément engagées dans la cause des enfants. Le projet de recherche franco-suisse qui leur est consacré, porté par Camille Jaccard (Institut de psychologie, UNIL) et Samuel Boussion (IHTP-Paris8/CNRS), mobilise des sources variées : articles, traités, correspondances, notes de travail, dossiers cliniques et documents administratifs conservés dans des institutions publiques et privées des deux pays.

Formée à la faculté de médecine de Berne, Minkowska entame sa carrière au Burghölzli de Zurich, haut lieu de la psychiatrie, où le psychiatre Hermann Rorschach est alors en train de mettre au point son fameux test psychologique qui utilise des taches d’encre pour explorer les processus psychiques et les traits de personnalité. Loosli-Usteri, diplômée de l’Institut Jean-Jacques Rousseau à Genève, effectue, elle aussi un passage au Burghölzli, avant de s’impliquer dans la Consultation médico-pédagogique et d’enseigner à l’Université de Genève. Toutes deux jouent un rôle central dans la diffusion du test de Rorschach, mais également dans l’étude des dessins d’enfants.

Leur engagement dépasse le champ académique. Loosli-Usteri s’implique dans les réflexions sur le placement des enfants et dans les « Semaines pour l’enfance victime de la guerre ». Minkowska, au sein de l’Œuvre de secours aux enfants (OSE), se consacre à l’aide aux enfants juifs persécutés. Dans leurs vies privées, elles partagent ces idéaux avec leurs compagnons : le médecin et philosophe Eugène Minkowski, et l’écrivain et journaliste Carl Albert Loosli.

L’étude de leur héritage permettra de mieux comprendre la construction des savoirs en psychiatrie infantile et les réseaux transnationaux, tels que la Société Rorschach internationale présidée par Loosli-Usteri dès 1949. Porté par une équipe franco-suisse mêlant historiens de l’éducation (Samuel Boussion et Mathias Gardet, IHTP-Paris8/CNRS) et spécialistes de l’histoire et de l’épistémologie des sciences du psychisme (Camille Jaccard et Rémy Amouroux, Institut de psychologie de l’UNIL), le projet croise histoire sociale, histoire des sciences et mémoire humanitaire, pour redonner toute leur place à ces deux figures majeures et peu connues. 

Camille Jaccard, Première assistante à l’Institut de psychologie et membre du Centre de recherche sur la famille et le développement (FADO) 

Jaccard, C. (2025). Comment protéger les enfants ? De l’éducation à l’exploration de leur psyché : parcours de formation de la psychologue Marguerite Loosli-Usteri (1893-1958). Revue suisse d’histoire, n° 75(2), 236–249, DOI: 10.24894/2296-6013.00172

Boussion, S. et Jaccard, C. (2023). Former des élites médico-pédagogiques : Le cours de perfectionnement des semaines internationales d’études pour l’enfance victime de la guerre, Lausanne (1946-1949). An anthology on child psychiatry and psychology in Switzerland in the 20th century (M. Janett, U. Germann & U. Hafner dirs.). Itinera. Supplément de la Revue suisse d’histoire, 50, 151-165