Le 1er août 2024, Clara Devlieger a rejoint le Laboratoire d’anthropologie culturelle et sociale de l’Institut des sciences sociales (ISS) en tant que Professeure associée en anthropologie de la santé. Quel est son parcours et quels sont les axes de recherche qu’elle développera au sein de la Faculté ? Rencontre.
Quelles ont été les étapes marquantes de votre parcours pour devenir chercheuse ?
J’ai commencé mes études universitaires en langues (anglais et néerlandais), et l’un de mes cours préférés était un cours sur la littérature mondiale. J’étais fascinée par la façon dont la littérature peut offrir une fenêtre sur les machinations de la société, mais j’avais envie d’une analyse plus directe. C’est ce qui m’a conduit à la discipline de l’anthropologie et, en fin de compte, au désir de faire moi-même du travail de terrain et de la recherche. Ma première véritable expérience de la recherche a été pour mon master en anthropologie sociale et culturelle, un projet sur l’idéologie des frontières d’un mouvement politico-religieux dans la région du Bas-Congo en République Démocratique du Congo (RDC). J’étais tellement captivée par la manière dont les frontières imposées par la colonisation continuent de façonner la vie sociale que j’ai axé mon projet de doctorat autour de certaines de ces questions.
Quels sont vos domaines de recherche en une phrase ?
Mes travaux sont centrés sur le handicap, les moyens de subsistance en milieu urbain, le care, la justice sociale, la santé et la sécurité sociale.
Quels sont les axes de recherche que vous privilégiez depuis votre arrivée à l’ISS ?
Je prépare actuellement deux nouveaux projets de recherche portant sur l’(im)mobilité, le temps et la politisation de l’intégration sociale. Dans le premier projet, je vais examiner les controverses autour du handicap en RDC, où la nouvelle législation sur le handicap peut parfois entrer en contradiction avec la vie collective dans les « centres pour handicapés ». Dans le second projet, je vais m’interroger sur la notion de « vieillissement réussi » pour les migrant·es africain·es résidant en Suisse, qui représente la première génération d’Africain·es à atteindre l’âge de la retraite dans le pays.
Qu’attendez-vous de vos recherches ?
Avec mes deux nouveaux projets, j’aimerais explorer et examiner des visions alternatives de l’inclusion, de l’intégration, les temporalités de la vie en commun.
Dans le cadre de mon premier projet, j’aimerais découvrir comment la prise en charge des uns par les autres permet d’envisager d’autres avenirs. L’étude de la vie dans les « centres » pour personnes handicapées nous aide à atténuer le contraste habituel entre les soignant·es et les soigné·es. Avec plus de personnes valides que de personnes handicapées, ces centres soulèvent également des questions importantes sur la manière dont nous concevons l’inclusion et l’intégration.
Dans mon deuxième projet sur le vieillissement en Suisse pour les retraité·es africain·es, je m’intéresse à la remise en question des idées courantes sur la bonne vie ou le vieillissement actif. Bien que les retraité·es africain·es s’engagent certainement dans certaines de ces idées, j’ai l’impression que leur vision d’un vieillissement réussi met davantage l’accent sur les relations d’interdépendance et du care que sur le fait de rester indépendant ou actif le plus longtemps possible. Dans le même ordre d’idées, j’aimerais savoir comment ils vivent les institutions biomédicales.
Quelles difficultés éprouvez-vous dans le travail de recherche ?
La recherche ethnographique repose sur des relations à long terme ; les anthropologues commencent généralement leur carrière en vivant au moins un an parmi les personnes avec lesquelles ils et elles travaillent. Il est donc essentiel d’être sensible aux besoins de ses interlocutrices et interlocuteurs tout en réfléchissant à sa propre position et en réfléchissant soigneusement à la manière de présenter les participant·es à la recherche. Je suis toujours en train de réfléchir à ces questions et à la meilleure façon de m’engager avec les communautés avec lesquelles je travaille.
Quels sont les talents cachés qui vous aident à surmonter ces difficultés ?
Je ne suis pas sûre d’avoir des talents cachés, mais j’essaie généralement d’être aussi perspicace et sensible que possible. Je constate aussi que les gens apprécient vraiment l’effort de passer du temps avec eux et d’apprendre leur langue (au sens littéral comme au sens symbolique), en particulier lorsqu’il est difficile de trouver du temps pour la recherche dans le cadre d’autres responsabilités.
Qui serez-vous dans 10 ans ?
Au cours des dix prochaines années, j’espère avoir apporté des contributions majeures aux domaines de l’anthropologie, des études africaines, du handicap et du vieillissement. J’aimerais avoir terminé au moins une autre monographie et avoir développé un projet FNS majeur sur la migration et le vieillissement. À long terme, je souhaite que mon intérêt pour les villes se déplace vers des environnements écologiques de plus en plus divers, en me demandant comment les différentes constructions de la vulnérabilité peuvent être comprises comme des sites de contestation politique et d’innovation par le biais d’interactions incarnées avec divers environnements construits et « naturels », et de voyages à travers ces environnements.