Préparation d’une requête de PRN: une mise au concours exigeante

Fin novembre 2023, le FNS a publié la 6e mise au concours de Pôle de recherche nationaux (PRN) sur mandat de la Confédération. Une chercheuse et un chercheur de la Faculté se sont lancé·e·s dans ce travail de longue haleine, sur lequel elle·il reviennent plus en détails. Les Prof. Eléonore Lépinard (ISS) et Fabrizio Butera (IP) ont ainsi pu déposer deux projets de recherche, le premier intitulé « Gender + Justice : Social Change Towards Sustainable Democraties » et le second « TRANSFORM – Social-Ecological Transformation towards a Sustainable Switzerland ».

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Le dépôt d’un projet de recherche PRN est un travail pour le moins conséquent, qui mobilise toute une équipe de chercheuses et chercheurs au niveau de l’université et des partenaires envisagés. Quelles ont été les grandes étapes pour la soumission d’une telle requête ?

EL : Dans une première phase il s’agissait d’articuler une mise en réseau interne – entre l’ensemble des collègues de l’UNIL expert·e·s sur les domaines ciblés par le projet – avec une mise en réseau externe, soit avec nos partenaires dans plus d’une dizaine d’universités et hautes écoles suisses, selon des axes de collaboration scientifique innovants et prometteurs. Concrètement cela veut dire beaucoup de réunions zoom ! C’était une étape passionnante puisque nous avons rencontré de nombreux·ses collègues et qu’il n’y a rien de plus captivant que d’échanger à propos des façons dont les collègues perçoivent les grands enjeux scientifiques et sociaux dans leur domaine de spécialisation et de trouver des ponts, parfois inattendus, souvent originaux, permettant de renouveler les perspectives sur un sujet. C’est ce qui fait l’intérêt et la plus-value de l’interdisciplinarité. Une fois que la cohérence, les axes scientifiques et les collaborations ont été stabilisées, les différentes équipes ont travaillé de leur côté pour affiner leur réflexion. Nous avons alors bénéficié du très grand professionnalisme des collègues et de leur enthousiasme communicatif.

FB : Nous étions déjà en effervescence, car nous étions en train de travailler sur le projet STRIVE, duquel le projet TRANSFORM est issu. Une fois que l’idée de lancer un PRN est devenue une réalité, le noyau de collègues autour de STRIVE a commencé à constituer un groupe de scientifiques qui partageaient les mêmes préoccupations et objectifs, aussi bien à l’UNIL qu’ailleurs en Suisse. Beaucoup de discussions passionnantes s’en sont suivies, qui nous ont accompagné·e·s à travers le développement de la déclaration d’intention d’abord et de l’esquisse après, jusqu’à la soirée de fin de dépôt au Perchoir !

Pouvez-vous présenter votre projet en quelques lignes ?

EL : Le concept de justice au cœur de notre projet propose de repenser la question des inégalités en déployant un nouveau vocabulaire théorique qui s’intéresse à quatre dimensions de la justice sociale : la redistribution, la reconnaissance, la représentation et la réparation. Cette matrice des 4R comme nous l’avons appelée permet de développer des questionnements innovants aussi bien sur les demandes de justices qui traversent nos sociétés (et qui sont également contestées) que sur les réponses qui y sont apportées. Elle offre une approche particulièrement adaptée à une perspective interdisciplinaire car la justice est un enjeu aux multiples dimensions, individuelles et collectives, économiques, sociales, historiques et politiques. Ainsi notre projet réunit des collègues en économie, droit, sciences sociales, sciences politiques, histoire, démographie, psychologie, études culturelles ou encore socio-linguistiques. Le connecteur « + » nous permet de lier la justice au concept de genre comme une dimension centrale des enjeux de justice sociale et il indique aussi que nous concevons le genre comme « gender+ » à savoir dans une perspective intersectionnelle qui tient toujours compte du fait que le genre est un rapport social qui n’est pas isolé des autres rapports sociaux – tels que la classe, la sexualité, la race ou l’âge – mais au contraire est façonné par eux.

FB : La recherche scientifique a largement démontré le dépassement des limites planétaires dans plusieurs domaines (changements climatiques, biodiversité, …), ainsi que des limites sociales (santé, paix, …). Les activités humaines, telles qu’elles sont organisées aujourd’hui, ne permettent pas une existence sûre et juste de façon durable. La question est donc pourquoi nos sociétés ne se transforment-elles pas de façon à pouvoir permettre une existence durable à l’humanité et aux écosystèmes auxquels nous appartenons ? TRANSFORM a mis ensemble 44 chercheur·euse·s de 35 disciplines des sciences humaines et sociales ainsi que beaucoup de partenaires de terrain dans la société civile, les institutions publiques et l’économie pour avoir une masse critique capable de traiter de façon systémique la question de la transformation de la Suisse vers une société durable.

Vous avez des collaborations interdisciplinaires et interuniversitaires extrêmement larges. Comment avez-vous mobilisé de tels réseaux ?

EL : Le montage de ce très large projet a été un peu particulier dans notre cas puisqu’au départ, la proposition d’une soumission d’un projet sur le genre émanait de l’association suisse en études genre (SSEG), ce qui impliquait une dimension nationale et inter-institutionnelle au cœur du projet. Les discussions très en amont au sein de la SSEG ont amené le Centre en études genre (CEG) de la Faculté des SSP à prendre le leadership de cette soumission en proposant un concept et un cadre théorique interdisciplinaire forts pour fédérer et innover. Nous étions aussi très avantagé·e·s par la plateforme interfacultaire en étude genre, la PlaGe qui nous a permis d’identifier très rapidement toutes et tous les collègues susceptibles de contribuer au projet au sein de l’UNIL avec qui nous avions en général déjà pu mener des collaborations. Bien sûr nous avons aussi fédéré au-delà de ces réseaux déjà en partie constitués. Il y a alors une forme de « serendipity », d’intuition et de pari qui entre en jeu également : lors de discussion une thématique émerge, un article d’un·e collègue nous revient en mémoire, le nom de la même personne est mentionné par plusieurs interlocuteur·ice·s, bref des connections se font qu’on n’avait pas anticipées et qui enrichissent le projet.

FB : C’est l’avantage d’un grand projet avec de grandes ambitions : tout le monde veut participer ! Le plus important pour nous était de créer un réseau coopératif aussi inclusif que possible, avec les sept facultés de l’UNIL et autant d’institutions suisses que possible. En effet, la transformation écologique et sociale est souvent vue comme une question d’oppositions idéologiques ; nous voulons en faire une question de coopération globale.

Enfin, pourquoi l’UNIL est si bien placée pour diriger ces futurs PRN ?

EL : En sciences sociales il est clair que l’expérience de la Faculté des SSP avec le NCCR LIVES constitue un atout majeur. La densité des recherches en études genre à l’UNIL, dans les différentes facultés et bien évidemment en SSP, constitue un terreau particulièrement fertile pour ce projet. Le soutien de l’UNIL aux différentes initiatives pour institutionnaliser les études genre, via une unité de recherche, le CEG, puis une plateforme interfacultaire, ont donc créé des conditions idéales pour élaborer un tel projet. Ambitionner d’accueillir un PRN c’est une suite logique au regard du développement que l’UNIL a soutenu dans ce domaine de recherche.

FB : Le plan d’intentions de l’UNIL prévoit deux orientations stratégiques qui sont au cœur du projet TRANSFORM : la transition écologique et l’impact et la place des sciences. De plus, vu que les questions de transformation écologique et sociale sont une longue tradition de l’UNIL, la concentration de collègues formidablement pertinent·e·s pour le projet TRANSFORM est impressionnante.