La consommation de « Milk Tea », et plus particulièrement de « Bubble Tea » – boisson venue de Taïwan et à base de thé au lait– gagne en popularité dans le monde entier et particulièrement chez les jeunes. Un article récent de Qu et al. (2023) postule l’existence d’une « addiction » au thé au lait sur la base d’une enquête menée en Chine auprès d’un échantillon de jeunes universitaires. Une lecture approfondie de cet article, menée par des chercheur·euse·s du Laboratoire d’Etude des Processus de Régulation Affective et Cognitive (CARLA) de l’Institut de psychologie de l’UNIL, a permis de mettre en lumière des inconsistances méthodologiques importantes.
L’article, publié par Qu et ses collègues (2023), a bénéficié d’une couverture médiatique importante, disséminant ainsi à large échelle et internationalement des constats et recommandations inquiétantes concernant la consommation de Milk Tea et de Bubble Tea. Les auteur·e·s de l’étude vont même jusqu’à considérer la consommation de thé au lait comme un problème de santé publique croissant en Chine.
L’analyse des chercheur·euse·s du CARLA1 a pu notamment mettre en évidence que le message d’alerte véhiculé par les auteur·e ·s, qui a copieusement été repris par la presse, dépassait largement ce qui pouvait être affirmé par les résultats de ladite étude. Suite à leur analyse, une réponse (Hugues et al., 2024)2 a été proposée et publiée dans la revue scientifique ayant publié l’article en question afin d’alerter sur les problèmes méthodologiques et de modérer certaines affirmations de l’article original.
Tout d’abord, sur le plan méthodologique, Qu et al. (2023) ont adapté des questions initialement développées pour mesurer la dépendance à l’alcool dans l’objectif de d’évaluer l’ « addiction au thé au lait ». Dans une telle perspective, qui considère à priori la consommation de thé au lait au prisme de l’addiction, le simple fait de boire un thé dès le matin au réveil est interprété comme le reflet potentiel d’un symptôme de manque ou de sevrage. Ce type d’approche induit un risque de pathologiser des conduites non-problématiques, comme souligné récemment par les chercheur·euse·s du CARLA dans une correspondance publiée dans la revue Nature.
L’étude menée récemment en Chine présente également un problème majeur en termes d’échantillonnage, à savoir le fait que les personnes sélectionnées pour participer à l’étude ne sont pas des grand·e·s consomateur·trice·s de thé au lait, ce qui présente un réel problème lorsqu’il s’agit de mener une étude visant à investiguer une potentielle « addiction » au thé au lait. Parmi les participants, seul 0.03% consommaient plus de trois thés au lait par jour ! Il apparaît dès lors tout à fait cavalier – voir clairement abusif – de tirer des conclusions en termes d’addiction.
Finalement, le risque de pathologiser les conduites du quotidien est palpable dans un contexte où il existe des tensions géopolitiques croissantes entre la Chine et Taïwan. En fait, certain·e·s jeunes panasiatiques utilisent le thé au lait et ses nombreuses variations culturelles dans un contexte d’activisme anti-régime et de soutien à Taiwan, comme en témoigne le mouvement « Milk Tea Alliance ».
À la lumière de ces critiques, l’étude de Qu et al. (2023) est, selon les chercheur·euse·s du CARLA, susceptible de contribuer à la pathologisation de certaines conduites prisées par les adolescent·e·s panasiatiques et pourrait même être instrumentalisée dans une optique de régulation excessive de la consommation de thé au lait et de « Bubble Tea » en Chine et ailleurs.
Joël Billieux, Juan Carlos Hugues (CARLA, Institut de psychologie) et Cora von Hammerstein (chercheuse associée au CARLA).
1 Juan Carlos Hugues est étudiant de première année en master de psychologie sociale et interculturelle et travaille comme assistant-étudiant de recherche au Laboratoire d’étude des processus de régulation affective et cognitive (CARLA) avec la Dr. Maèva Flayelle et le Prof. Joël Billieux.
2 Référence : Hugues, J.C., Nogueira-López, A., Flayelle, M., von Hammerstein, C., & Billieux, J. (2024). Spilling the tea about milk tea addiction – A reply to Qu et al. (2024). Journal of Affective Disorders, 346, 133-134. https://doi.org/10.1016/j.jad.2023.10.155