« Il n’y a pas de place pour les petites princesses »
Sociologie de l’engagement volontaire féminin dans l’Armée suisse
Stéphanie Monay a réalisé un Master de science politique à l’Université de Lausanne. Après un poste de chercheuse FNS junior sur le projet « SynEga – Les syndicats et l’égalité des sexes » (PNR60) dirigé par le Prof. Olivier Fillieule (IEP – UNIL), elle est engagée comme assistante diplômée à l’Institut d’Études Politiques de l’UNIL, et est rattachée au Centre de recherche sur l’action politique. Elle est, depuis septembre 2018, employée comme chargée de missions égalité LGBTIQ+ auprès du Service Agenda 21-Ville durable de la Ville de Genève. Elle a soutenu sa thèse le 7 octobre 2022, sous la direction de Philippe Gottraux, Maître d’enseignement et de recherche (IEP – UNIL), en co-direction avec la Prof. Marie-Carmen Garcia (STAPS – Université Lyon 1).
Comment l’institution militaire (re)produit-elle les dominations sociales ? Sur la base de cette question de départ, cette thèse s’intéresse aux femmes militaires engagées dans l’Armée suisse. Cet engagement, peu probable socialement du fait de l’inadéquation entre les caractéristiques sexuées des individus et celles de l’institution, pourrait soutenir une démarche « transgressive » vis-à-vis des normes et rôles de genre. Ces femmes pénètrent aussi un milieu marqué par une idéologie conservatrice : historiquement pensée pour et par les hommes, l’armée est identifiée comme une instance de socialisation aux dominations sociales, qui met en place des mécanismes par lesquels sont créé·e·s des dominant·e·s et des dominé·e·s. Cette thèse analyse les processus d’apprentissage des rôles et normes sociales, principalement de genre, des femmes engagées volontairement dans l’Armée suisse – a contrario des hommes qui sont astreints au service militaire. Ces femmes font face à un dispositif institutionnel, un régime de genre spécifique, qui les considère comme des éléments inadaptés, voire même des intruses. En croisant les niveaux d’analyse méso (régime de genre de l’institution) et microsociologique (propriétés et dispositions des individus), et à partir de méthodes qualitatives (observations ethnographiques, entretiens) et quantitatives (questionnaire), cette recherche explore comment les femmes s’approprient la culture militaire suisse et comment cette dernière participe à forger leur rapport politique au monde social. L’analyse montre comment ces appropriations sont différenciées et sont liées à la socialisation antérieure des individus, ainsi qu’à leur(s) position(s) au sein de l’institution. On constate que les femmes militaires présentent des profils et rapports au monde préajustés à l’armée ; le service militaire agit ainsi comme une instance de socialisation de renforcement de manières d’être, d’agir, de faire et de penser, marquées par les croyances en la méritocratie et en la séparation, la différenciation et la hiérarchisation des sexes.
How does the military institution (re)produce social dominations ? Based on this initial question, this thesis focuses on women soldiers engaged within the Swiss Army. This engagement, socially improbable because of the mismatch between the gendered characteristics of individuals and those of the institution, could support a “transgressive” approach to gender norms and roles. These women also penetrate an environment marked by a conservative ideology : historically thought for and by men, the army is identified as an authority of socialization to social dominations, and puts in place mechanisms by which the dominant and the dominated are created. This thesis analyses the learning processes of social roles and norms, mainly gender related, of women voluntarily enrolled in the Swiss Army – unlike men who are required to serve. These women face an institutional setting, a specific gender regime, which considers them as misfits or even intruders. By crossing the meso- (gender regime of the institution) and the microsociological (characteristics and dispositions of individuals) levels of analysis, and by using qualitative (ethnographic observations, interviews) and quantitative (questionnaire) methods, this research explores how women appropriate the Swiss military culture and how it contributes to forging their political relation to the social world. This analysis shows how these appropriations are differentiated and are linked to the prior socialization of individuals, as well as to their position(s) within the institution. I find that military women have profiles and worldviews preadjusted to the army ; military service thus acts as an authority of socialization who reinforces ways of being, acting, doing and thinking, marked by beliefs in meritocracy and in the separation, differentiation and hierarchy of the sexes.