Gouverner les “indésirables” par le bénévolat. Sociologie politique de la mise au travail gratuit
Agnès Aubry a réalisé un master en science politique à l’Université de Lausanne, puis a été engagée comme assistante diplômée à l’Institut d’Etudes Politiques de l’UNIL. En 2019-2020, suite à l’obtention d’une bourse de mobilité doctorale du FNS, elle a été chercheuse invitée au Graduate Center à la City University of New York. Elle est titulaire d’un doctorat en science politique depuis mars 2022, et travaille aujourd’hui comme chercheuse postdoctorante et collaboratrice scientifique à la Haute Ecole et Ecole Supérieure de Travail Social – HES-SO Valais. Elle a soutenu sa thèse le 21 mars 2022, sous la direction du Prof. Olivier Fillieule (IEP), en co-direction avec le prof. Sébastien Chauvin (ISS-CEG).
Dans un contexte de néolibéralisation des politiques d’accueil et d’assistance, cette thèse explore comment le bénévolat est actuellement mobilisé pour gouverner des migrant·es légalement et économiquement précarisé·es. Elle s’appuie sur une enquête ethnographique par observations et entretiens menée entre 2016 et 2019 auprès de deux organisations caritatives actives en Suisse romande.
La thèse investigue d’abord la délégation étatique d’un pan de l’assistance aux migrant·es non (encore) autorisé·es à ces organisations caritatives. Elle revient sur les différentes étapes conduisant à la sous-traitance d’une partie de ce travail de prise en charge – et des coûts moraux, politiques ou financiers qui lui sont associés – à différent·es travailleur·euses bénévoles, principalement situé·es aux marges de l’emploi. Parmi elles·eux, de nombreuses femmes blanches, issues des classes moyennes et populaires, sont amenées à déployer gratuitement des pratiques matérielles et émotionnelles du care.
La thèse met ensuite en lumière la façon dont des hommes migrants sont eux-mêmes conduits vers du travail non rémunéré dans des secteurs « utiles » au bon fonctionnement de la société, et incités à devenir les prestataires bénévoles de services desquels ils sont les destinataires. Elle montre que la mise au travail gratuit de ces migrants « indésirables » s’adosse à des techniques d’infériorisation, et à une « méritocratisation » de l’accès à un statut légal. Elle met enfin au jour les tactiques mobilisées par les hommes migrants rencontrés pour se détacher de la position minoritaire à laquelle ils sont assignés, et reconstruire leur respectabilité.