Construire des savoirs issus de l’expérience à l’ère de l’Evidence-Based Medicine : Une enquête anthropologique auprès de sages-femmes indépendantes en Suisse romande
Patricia Perrenoud est sage-femme et titulaire d’un Master en Sciences de l’éducation (UNIGE). Enseignante à HESAV Lausanne dans la filière sage-femme, elle interroge l’accompagnement contemporain de la naissance à partir d’un regard anthropologique. Elle a défendu sa thèse de doctorat en sciences sociales, dirigée par le Prof. Ilario Rossi (ISS), le 13 juin 2016.
S’intéressant à la construction des savoirs professionnels dans le champ de la santé et de la naissance, cette thèse interroge, dans un premier temps, plusieurs enjeux sous-tendant le développement du mouvement social que constitue l’Evidence-Based Medecine (EBM). L’EBM, conçue pour réguler des problèmes récurrents en médecine fait l’objet de critiques en sciences sociales. Ce modèle qui valorise les méthodes de recherche quantitatives, déconsidère notamment les savoirs issus de l’expérience des professionnel·le·s de la santé.
Le cœur de la thèse consiste par conséquent à se pencher sur ces savoirs déconsidérés et à questionner ce que leur mise à l’écart implique pour l’accompagnement de la naissance. A partir d’une enquête ethnographique, conduite auprès d’une communauté de pratique de sages-femmes indépendantes, comportant des observations de consultations postnatales à domicile, les processus et les contenus participant à la construction de savoirs sont identifiés.
Le regard porté, inspiré d’une anthropologie des habiletés, intéressée par les détails et les circonstances de l’activité, révèle une grande diversité de sources communautaires, contextuelles, socioculturelles et personnelles participant à l’interprétation et à l’intervention des praticiennes autour de la naissance. Les sages-femmes partagent une praxis et un ethos communautaires caractérisés par la temporalité centrée sur les besoins et par la tonalité affective de leur accompagnement. La situation écologique de leur activité, exercée au domicile des familles, dévoile en particulier comment la naissance s’inscrit dans la vie et ses contraintes et est parfois entachée d’une souffrance sociale. Pour répondre aux détresses conséquentes, les praticiennes, prises dans les aléas de fonctionnement du réseau interprofessionnel, en partie impuissantes, sortent de l’obstétrique ordinaire et réinventent leur rôle au quotidien, tout en questionnant ses nouvelles limites.
Au final, la mise en miroir des savoirs issus de l’EBM et de l’expérience, détaille la dimension non standardisable de l’accompagnement, intervenant notamment dans les situations de souffrance sociale.