Le profil socio-professionnel du Parlement fédéral (2015-2019)

Par Andrea Pilotti, Karim Lasseb & Roberto Di Capua, Université de Lausanne

Préambule

La nouvelle composition du Parlement à la suite des derniers 2èmes tours du 24 novembre 2019 se caractérise par un important renouvellement du Parlement fédéral. On ne compte pas moins de 79 nouvelles et nouveaux élu·e·s, à savoir 32,5% des sièges de l’Assemblée fédérale, dont 68 au Conseil national et 11 au Conseil des États[1]. Ce taux de renouvellement est particulièrement élevé pour deux raisons : d’une part, cela est tributaire d’un certain nombre de sortant·e·s qui ont décidé de ne pas se représenter (49, dont 29 au Conseil national et 20 au Conseil des États) et, d’autre part, en raison d’un nombre élevé de non réélu·e·s (30, dont 27 au Conseil national et 3 au Conseil des États). Relevons par ailleurs que les élections fédérales 2019 ont vu 12 membres sortant·e·s du Conseil national être élu·e·s au Conseil des États, ce qui représente une nouveauté par rapport au passé. Depuis 1999 au moins, jamais un nombre autant élevé d’ancien·ne·s député·e·s sortant·e·s avait réussi le passage direct de la Chambre basse à la Chambre haute.

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1. Importante féminisation

À l’issue des élections fédérales du 24 novembre 2019, on assiste à une importante féminisation du Parlement fédéral. En effet, la proportion de femmes élues passe de 29,3% en 2015 à 38,6% en 2019 (+9,3%). Le parlement progresse ainsi vers une parité homme-femme (Figure 1). La féminisation a eu lieu autant au Conseil national qu’au Conseil des États, même si les proportions varient sensiblement : de 32,5 à 41,5% à la Chambre basse et de 15,2 à 26,1% à la Chambre haute.

Figure 1 : Proportion de femmes et d’hommes au Parlement fédéral (2015-2019)

En observant les néo-élu·e·s, on constate que cette féminisation du parlement concerne presque tous les principaux partis : plusieurs délégations partisanes, à l’exception du PDC et de l’UDC, comptent parmi leurs nouveaux·elles élu·e·s une composition hommes-femmes soit paritaire (Verts’libéraux) soit avec une majorité de femmes (Verts, PLR et PS) (Figure 2). Le PDC compte cinq élues femmes sur ses 11 néo-parlementaires (45,5%), tandis que l’UDC affiche quatre élues femmes sur ses dix néo-élu·e·s (40%). Toutefois, en chiffres absolus c’est le succès électoral des Verts qui conduit le plus à féminiser le Parlement fédéral avec 14 nouvelles femmes vertes sur les 43 nouvelles (7 du PS, 6 du PLR, 5 des Verts’libéraux, 5 du PDC, 4 de l’UDC, 1 EàG et 1 PEV). Autrement dit, presque 1/3 des néo-élues sont issues des Verts.

Figure 2 : Proportion de femmes néo-élu·e·s au Parlement fédéral, par parti (2019)

À l’issue de ces élections, les délégations partisanes présentant les plus importantes proportions de femmes au sein du nouveau parlement fédéral sont donc les formations de centre-gauche. Ainsi, 63,6% des élu·e·s des Verts sont des femmes, 54,2% au PS et 50% chez les Verts’libéraux. Les autres délégations affichent des taux loin de la parité homme-femme : 29,3% des élu·e·s PLR sont des femmes, 28,9% au PDC et 23,7% à l’UDC (Figure 3).

Figure 3 : Proportion de femmes au Parlement fédéral, par parti (2019)

2. Légère académisation

Alors que le taux d’universitaires siégeant au Parlement fédéral n’avait cessé de diminuer depuis les années 1990 en raison du succès de l’UDC (notamment au Conseil national), pour la première fois la proportion d’élu·e·s possédant un titre universitaire augmente. En effet, le Parlement fédéral s’académise avec 61,4% d’élu·e·s possédant un titre universitaire à l’issue de ces élections contre 57,3% en 2015 (Figure 4). Tout en augmentant, ce pourcentage reste à titre de comparaison plus bas que celui de 1980, où le Parlement fédéral comptait 69% de diplômés universitaires. Relevons que cette académisation s’avère plus importante, comme dans le passé par ailleurs, au Conseils des États par rapport au Conseil national. Dans la Chambre des cantons, l’augmentation du taux des universitaires est plus significative (de 58,7% en 2015 à 65,2% en 2019), alors que dans la Chambre du peuple l’augmentation est moins marquée (de 57 à 60,5%).

Cette nouvelle tendance issue des élections fédérales de 2019 s’explique par la forte proportion d’universitaires chez les néo-élu·e·s parmi lesquel·le·s 67,1% possèdent un titre universitaire. En terme partisan, cette tendance s’exprime davantage chez les Verts’libéraux où chez les 10 néo-élu·e·s, 9 sont universitaires (90%) ; mais aussi chez les Verts avec 77,3% d’universitaires (17 sur 22 néo-élu·e·s) ou encore au PS avec 11 néo-élu·e·s universitaires sur les 13 et le PDC (6 néo-élu·e·s universitaires sur 11). Cette tendance est moins marquée à droite où l’UDC élit 4 universitaires sur ses 10 entrant·e·s et le PLR 5 universitaires sur ses 10 néo-élu·e·s (Figure 5).

Figure 4 : Proportion d’élu·e·s au Parlement fédéral titulaire d’un titre académique (2015-2019)

 

Figure 5 : Proportion de néo-élu·e·s universitaires au Parlement fédéral, par parti (2019)

Dès lors, la délégation partisane au Parlement fédéral présentant la plus importante proportion d’universitaires est en 2019 celle des Verts’libéraux où 87,5% des élu·e·s sont universitaires ; suivi de près par les Verts et les PS avec des délégations à 81,8% et 81,3% composées d’élu·e·s possédant un titre universitaire ; viennent ensuite le PDC avec 65,8% et le PLR avec 58,5% ; seul l’UDC continue à présenter une délégation avec une minorité de diplômés universitaires, soit 33,9% des élu·e·s (Figure 6).

Figure 6 : Proportion d’universitaires au Parlement fédéral, par parti (2019)


3. Changement du profil professionnel du Parlement fédéral

Le profil professionnel de l’Assemblée fédérale reste assez stable. Le Parlement fédéral reste principalement composé en 2019 de parlementaires professionnel·le·s, fonctionnaires d’association, journalistes et secrétaires de parti (29,7%, incluant très largement les deux premiers groupes), d’élu·e·s exerçant une profession libérale (25,2%) et d’entrepreneurs (19,9%) (Annexe 1).

Nous pouvons toutefois relever trois légers changements, bien que dans l’ensemble nous n’assistons pas à d’importants bouleversements.

Premièrement, une progression des élu·e·s avec un statut de salarié·e·s qui passent de 14,2% en 2015 à 18,7% en 2019 (Figure 7). Cette progression se réalise notamment par une augmentation des enseignant·e·s qui passent de 2% en 2015 à 6,1% en 2019 (Annexe 2). En terme partisan, ce sont surtout les néo-élu·e·s Verts, Verts’libéraux et PS, mais aussi UDC qui renforcent cette tendance avec en moyenne 1/3 de néo-élu·e·s ayant le statut de salarié·e·s (Figure 8).

Figure 7 : Répartition des élu·e·s au Parlement fédéral selon leur statut professionnel (2015-2019)

Deuxièmement, on observe un léger déclin des indépendant·e·s qui occupaient 48,8% des sièges en 2015 et passent à 45,1% en 2019 (Figure 7 ci-dessus). Ce déclin a été atténué par l’arrivée de néo-élu·e·s issu·e·s des partis de droite et de centre-droit possédant le statut d’indépendant (Figure 9). En effet, celui-ci s’élève à 50% parmi les néo-élu·e·s UDC et PLR, 40% chez les Verts’libéraux, 36,4 % au PDC, alors qu’ils ne représentent que 23,1% au PS et 22,7% chez les Verts. Le succès électoral des Verts contribue ainsi à diminuer le nombre d’indépendant·e·s et à renforcer le nombre de cadres du secteur public (22,7% des néo-élu·e·s Verts – voir Annexe 3). 

Figure 8 : Proportion de néo-élu·e·s salarié·e·s au Parlement fédéral, par parti (2019)

Figure 9 : Proportion de néo-élu·e·s indépendant·e·s au Parlement fédéral, par parti (2019)

Troisièmement, on assiste à une tendance stable d’un parlement composé par des politicien·nne·s professionnel·le·s (du moins considéré comme tel avant cette élection), 37% en 2015 et 36,2% en 2019 (Figure 7 plus haut). Cette tendance s’explique également par le succès des Verts où 45,5% des néo-élu·e·s exercent une profession politique (Figure 10), soit 10 sur 22 entrant·e·s (citons à titre d’exemple Nicolas Walder, membre de l’exécutif de la ville de Carouge, Sophie Michaud-Gigon, directrice de la Fédération romande des consommateurs, FRC, et Delphine Klopfenstein-Broggini secrétaire des Verts du canton de Genève ainsi que députée). Cette catégorie professionnelle s’élève à 46,2% au sein du PS, 45,5% au PDC, 30% au PLR et chez les Verts’libéraux et seulement 20% à l’UDC.

Figure 10 : Proportion de néo-élu·e·s au Parlement fédéral exerçant une profession politique, par parti (2019)

Les deux Chambres continuent à se caractériser par une composition et une évolution du profil professionnel assez distinctes. Ainsi, la présence des chefs d’entreprises diminue de la moitié au Conseil des États (de 13 à 6,5%), alors qu’au Conseil national leur taux reste stable entre 2015 et 2019 (de 15,5 à 15%). Le taux d’avocats croît sensiblement à la Chambre des cantons (de 23,9 à 30,4%), tandis qu’à la Chambre du peuple il est beaucoup plus faible et recule même (de 9,5 à 7,5%). Les salariés du secteur public (enseignants et cadres du public) restent plus nombreux au Conseil national (de 5,5 à 8,5%) qu’au Conseil des Etats (de 2,2 à 6,5%). Enfin, les parlementaires professionnels continuent à être plus nombreux à la Chambre haute, même s’ils reculent sensiblement (de 39,1 à 28,3%), par rapport à la Chambre basse où leur taux reste très stable (de 21 à 21,5%)[2].

Conclusion

Le profil socio-professionnel du Parlement fédéral ne change que peu à la suite des élections fédérales du 24 novembre 2019. On peut toutefois souligner la féminisation importante du législatif fédéral, un renforcement de son académisation, la relative augmentation des salariés du secteur public, notamment des enseignant·e·s, et une présence constante des professionnels de la politique qui éloignent désormais de plus en plus le Parlement fédéral d’un dénommé parlement de milice. En terme partisan, ces quatre tendances s’expliquent notamment par le succès électoral des Verts et des Verts libéraux (respectivement + 21 et +9 sièges), par la stabilité du PDC (-2 sièges) et par le déclin du PLR (- 5 sièges) et de l’UDC (-11 sièges). L’avancée des écologistes compense le recul du PS (-7 sièges).

En termes de représentativité, le Parlement fédéral est loin d’aboutir à une identité gouvernants-gouvernés attendue à travers l’idéal du système de milice. En effet, si on assiste à un réel progrès en termes de représentativité des femmes, le Parlement suisse reste un organe socialement très sélectif qui se compose essentiellement d’universitaires, d’entrepreneurs, de professions libérales ou de politiciens professionnels ; toutes des catégories minoritaires au sein d’une société suisse en majorité composée de salarié·e·s.

[1] Le nombre de nouvelles et nouveaux élu·e·s au Conseil des Etats est en réalité plus élevé, à savoir 23. Cependant, parmi ces néo-sénateurs·trices on compte un nombre important aussi d’anciens membres sortants du Conseil national qui en tant que tels nous n’avons donc pas considérés comme étant des nouvelles et nouveaux parlementaires fédéraux.

[2] Le taux de parlementaires professionnels pour le Conseil des États devrait néanmoins être relativisé. Ce dernier sera probablement à revoir à la hausse, dès le moment que certains élu·e·s cumulant leur mandat à Berne avec un mandat comme membre d’un gouvernement cantonal abandonneront celui-ci au profit de leur activité comme sénateur·trice. De même, certain·e·s nouveaux·elles à la Chambre haute travaillant comme cadres du secteur privé et/ou public pourront faire le même choix juste après avoir commencé la nouvelle législature.

Annexes

Annexe 1 : Professions des élu·e·s du Parlement fédéral en 2019

 

Annexe 2 : Répartition des élu·e·s du Parlement fédéral selon la profession (2015-2019)

Annexe 3 : Proportions de néo-élu·e·s salarié·e·s du public au Parlement fédéral, par parti (2019)