«Les nouvelles sont mauvaises, d’où qu’elles viennent…» chantait Stéphane Eicher il y a trente ans déjà. Force est de constater que la situation n’a guère évolué depuis. Les défis qui nous attendent sont de plus en plus grands et l’urgence d’agir face aux enjeux sociaux et climatiques se fait désormais sentir avec une acuité accrue. Et pourtant, comme certain·e·s d’entre vous l’ont peut-être entendu lors de notre Dies academicus, je souhaite vous convaincre que nous devons faire preuve d’optimisme. Pas une insouciance aveugle à la marche effrénée du monde, non, mais une confiance solide, étayée par ce que je vois autour de moi. Ça et là germe en effet une multitude d’idées dont l’objectif est de repenser un « système » à bout de souffle pour construire de nouveaux modèles de société. Des initiatives en ce sens ont lieu quotidiennement sur le campus de l’UNIL. Nombreuses sont celles qui m’ont touché, enthousiasmé, inspiré, et j’aimerais vous en présenter quelques-unes aujourd’hui.
J’ai récemment eu la chance d’assister à la journée conclusive du cours de Bachelor en sciences sociales Grands enjeux sociaux contemporains, organisé par André Berchtold, Francesco Panese et Laetitia Della Bianca. Cet enseignement pas comme les autres a invité cette année 193 étudiant·e·s à développer des solutions pragmatiques à des problèmes de fond qui les préoccupent dans les domaines «environnement et durabilité», «sécurité, discrimination, prévention», «bonne santé et bien-être», «économie, salariat, travail décent» et «communication, information, désinformation». Ce cours s’inscrit dans une dynamique progressive : après un apport théorique proposé par ses organisateurs et des interactions avec des expert·e·s issu·e·s du monde académique et de la société, les participant·e·s sont invité·e·s à collaborer au sein de groupes tirés au sort. Chaque équipe identifie alors un problème social qui la préoccupe, adopte une méthodologie, étudie la littérature existante, se rend sur le terrain, rencontre des personnes directement concernées, puis conçoit une innovation réalisable qu’elle doit présenter par oral et au moyen d’un poster avant de revenir sur sa démarche dans un bilan réflexif. L’énergie des étudiant·e·s m’a particulièrement marqué, ainsi que la diversité et la pertinence des problématiques relevant des sciences humaines et sociales, qui sont à mes yeux d’une complexité considérable. De la prévention contre l’exposition au GHB à l’accès aux établissements publics par les personnes en situation de handicap, en passant par la lutte contre le cyberharcèlement, la précarité estudiantine, l’endométriose, la transformation du maraîchage pour prévenir les suicides d’agricultrices et d’agriculteurs soumis·e·s à des pressions environnementales croissantes, ou encore la valorisation des friperies pour combattre la fast fashion, l’éventail de ces thématiques donne espoir que nos étudiant·e·s s’inscrivent à l’UNIL avec l’envie de construire un avenir meilleur. Il vient en outre faire écho au nouveau plan d’intentions de la Direction, ce qui ne peut que me réjouir. Les atouts d’un tel cours sont nombreux : outre l’échange de compétences et de connaissances, il permet de développer la créativité et socialité, d’appréhender des situations concrètes qui seront le lot d’un grand nombre de nos futur·e·s diplômé·e·s, d’offrir des outils formateurs à toutes et tous (qu’elles/ils souhaitent ou non poursuivre une carrière académique) et de promouvoir l’innovation sociale, soit la transformation du social par le social sans résolutionnisme technologique.
L’innovation sociale, c’est aussi la spécialité de Jeffrey Petty et d’Anne Headon, responsables du HUB Entrepreneuriat et Innovation de l’UNIL. Cette dernière souligne à son tour la nécessité de dissocier le concept «d’innovation» de sa facette strictement tech-centered. Notre posture vis-à-vis de l’économie doit changer : il ne s’agit plus de valoriser uniquement les avancées technologiques, mais de réconcilier le low/no-tech et l’entrepreneuriat en soutenant la mise en œuvre de projets locaux ancrés dans des communautés, plus écocentrés et collaboratifs, afin de leur assurer une pérennité financière et de pouvoir ensuite implémenter leur modèle dans d’autres régions. Pour contribuer à cette évolution des mentalités, le HUB accompagne des projets à impact social et/ou environnemental comme ceux issus du cours Grands enjeux sociaux contemporains, notamment grâce à UCreate. Programme phare du HUB, celui-ci s’articule en trois volets, qui viennent se greffer à différents stades du développement d’un projet. UCreate1 propose un «guichet» qui convie chaque personne affiliée à (ou diplômée de) l’UNIL à venir discuter d’une idée, quel que soit son degré de maturité, puis l’oriente dans l’écosystème existant. UCreate2 (module d’exploration court sur cinq ateliers) permet aux participant·e·s de «révéler» leur concept ainsi que leur potentiel entrepreneurial. UCreate3 sélectionne quant à lui huit équipes par semestre qui désirent transformer leur idée en réalité. Leurs projets, technologiques ou non, doivent être compatibles avec les valeurs de durabilité du HUB. Ils sont dotés d’un soutien financier et épaulés par une expertise sur mesure qui les aide à réaliser un prototype, le mettre à l’épreuve du terrain, construire leur réseau et réduire le risque d’échec (si vous avez assisté au Dies academicus, vous avez pu découvrir deux initiatives qui ont bénéficié du soutien de UCreate3, Musée à l’emporter, qui amène des œuvres dans les écoles rurales, et Low impact food, qui revalorise la biomasse alimentaire pour la transformer en nourriture de vers de farine destinés à fabriquer une poudre ultraprotéinée, dont la production est moins polluante et gourmande en eau que la viande). En collaboration avec les facultés, le HUB donne également des cours interdisciplinaires d’innovation sociale pour permettre aux étudiant·e·s d’acquérir les bases de l’entrepreneuriat et d’apprendre à travailler ensemble dans des groupes interfacultaires qui permettent d’échanger les expertises et de déconstruire les préjugés. Toutes ces activités, dont la liste n’est ici pas exhaustive, ont pour buts de stimuler l’esprit d’entreprendre des jeunes diplômé·e·s de l’UNIL, d’accélérer leur parcours professionnel et de faciliter leur insertion dans le milieu du travail non académique.
La transition vers l’emploi, voilà une des préoccupations majeures du Dicastère «Egalité, diversité et carrières» dirigé par la Vice-Rectrice Liliane Michalik, qui chapeaute d’ailleurs le HUB. Elle aussi se montre optimiste au vu du nombre important de projets précurseurs qui fleurissent à l’UNIL. Attention toutefois à ne pas confondre innovation sociale et philanthropie ! Même si elle troque une politique de profit contre un engagement utile à la population, l’innovation sociale s’appuie malgré tout sur de sérieux modèles d’affaires à impact, qui permettent aux entreprises de devenir rentables une fois le coup de pouce de départ absorbé. L’argent investi ponctuellement dans les jeunes start ups n’est donc pas une subvention ou un don renouvelable, mais l’assurance qu’elles puissent se montrer autonomes rapidement grâce à des bases solides. Selon Liliane Michalik, modifier nos modes de fonctionnement passe aussi par la construction de ponts entre l’expertise pluridisciplinaire présente sur le campus de l’UNIL et les actrices et acteurs de la société, qui se confrontent chaque jour à des problématiques pratiques. En ce sens, le projet Interact encourage les collaborations entre l’Université et la Ville de Lausanne. Des rencontres thématiques sont organisées autour de sujets choisis par les deux institutions (égalité, diversité, inclusion lors de sa dernière édition) et des équipes créées entre des chercheuses et chercheurs de l’UNIL et des employé·e·s de la Ville. Leur travail conjoint reçoit un accompagnement méthodologique qui débouche sur des actions concrètes en réponse à des questions spécifiques (par exemple, comment l’animation socioculturelle lausannoise contribue à la réalisation de l’égalité entre femmes et hommes, ou de quelle manière la réalité des préaux scolaires véhicule des biais de genre). De même, la plateforme Volteface, rattachée au Centre de compétences en durabilité, soutient des projets de recherche-action sur les aspects sociaux de la transition énergétique qui réunissent des chercheuses et de chercheurs de l’UNIL et des actrices et acteurs de la société civile (administrations, entreprises, associations). Tant l’entrepreneuriat que de telles initiatives assurent un transfert et un dialogue des savoirs issus de la recherche et du terrain, qui sont fondamentaux pour l’élaboration de modèles de société réellement adaptés aux défis d’avenir.
Le plan d’intentions 2021-2026 de la Direction de l’Université de Lausanne, désormais consultable en ligne, a pour titre Préparer demain. L’enjeu est clair : il devient impératif d’inverser notre point de vue et de réfléchir au système dans lequel nous opérons afin de le transformer de l’intérieur. L’innovation sociale est un facteur clé de ce changement économico-politique essentiel. L’UNIL, par l’expertise historique qu’elle s’est construite en sciences humaines et sociales, peut et doit se positionner comme pionnière de ce changement en mettant ses compétences à la disposition de la société et en donnant à ses étudiant·e·s les outils et les moyens nécessaires pour pouvoir agir avec conscience à leur niveau. Comme je l’ai affirmé lors du Dies academicus, je crois que nous pouvons changer le monde si nous le faisons ensemble. Alors commençons par vos idées. Ici. Et maintenant.