La journée internationale des droits des femmes a pour objectifs, d’une part, de commémorer les réalisations culturelles, politiques et socio-économiques des femmes et, d’autre part, d’attirer l’attention sur des questions telles que l’égalité des sexes, ainsi que la violence et les abus à l’encontre des femmes. Ces problématiques nous concernent bien évidemment toutes et tous, et font partie des axes prioritaires stratégiques de l’UNIL. Beaucoup de choses pourraient être dites. À titre personnel, ma participation comme Doyen à de nombreuses Commissions de nomination professorale m’a servi de révélateur, puisque j’y ai pris conscience des biais inconscients que nous avons toutes et tous en la matière, quelle que soit notre bonne volonté. Comme Recteur, j’ai également pu constater en co-concevant des objectifs pour l’égalité que ni les bonnes intentions, ni la bienveillance ne suffisaient. Tout le monde sera certes d’accord sur le principe, mais la mise en pratique d’une politique d’égalité ambitieuse suivie par chacun·e se révèle parfois difficile. Face à ce constat, comment procéder et par où commencer ? Je pense que nous devons utiliser l’expertise dont nous bénéficions à l’UNIL. Ainsi, je souhaite mettre en lumière quelques initiatives et points de vue de spécialistes de notre université.
Comme l’explique Marie Pasquier, chargée de missions au Bureau de l’égalité de l’Université de Lausanne, de nombreuses mesures ont déjà été prises pour faire avancer la question de l’égalité sur le campus : soutien aux carrières des femmes, préparation d’une enquête sur le bien-être au travail et aux études, subsides Tremplin pour l’accès des femmes aux postes professoraux, ateliers REGARD, modules de sensibilisation aux biais de genre et à la communication inclusive, création de la Fondation Accueil Petite Enfance EPFL-UNIL et de garderies supplémentaires, participation d’un·e délégué·e égalité aux Commissions de nomination, lancement d’un projet autour de l’égalité de genre et de la transformation numérique en collaboration avec l’EPFL et la HES-SO, installation de distributeurs de protections périodiques pour lutter contre la précarité menstruelle, les axes de travail, en place ou à développer, sont bien définis et polyvalents. Il reste cependant beaucoup à faire, explique la Vice-Rectrice « Egalité, diversité et carrières » Liliane Michalik, notamment pour booster le recrutement des femmes, modifier les mentalités dominantes et y intégrer des composantes intersectionnelles (c.à.d. la situation de personnes qui cumulent plusieurs types de discrimination à leur égard, comme l’identité de genre, la couleur de peau et l’orientation sexuelle). Si la Direction s’est lancé quelques défis y relatifs pour les années à venir, qu’en est-il des facultés ? Quelles sont les bonnes pratiques qui ont fait leurs preuves, leurs préoccupations et leurs désirs pour l’avenir ?
À l’Observatoire mondial pour les femmes, le sport, l’éducation physique et l’activité physique, Lucie Schoch, maître d’enseignement et de recherche, aide à mettre en place une expertise disciplinaire qui permette de faire avancer la question de l’égalité dans le sport. En Suisse, la participation aux pratiques sportives est répartie de façon équilibrée entre les genres. Ce n’est de loin pas le cas dans d’autres pays. Or, un accès facilité au sport permet non seulement de développer une meilleure santé physique et psychique, mais également d’acquérir une confiance en soi, des qualités interpersonnelles et un sens du leadership qui peuvent être transposés ailleurs. Lancé en 2021 en partenariat avec l’UNESCO, l’Observatoire mondial pour les femmes, le sport, l’éducation physique et l’activité physique se donne pour buts de mettre en réseau les plateformes existantes sur le plan international, de monitorer les chiffres des fédérations et d’identifier les types de fonctionnement susceptibles de servir d’exemple pour les gouvernements intéressés, notamment en termes de combat contre les abus sexuels dans le sport. Plus que la justice sociale, c’est donc l’autonomisation des femmes dans le monde qui est visée par cette lutte de terrain contre les inégalités de genre.
Du côté de la Faculté des HEC, c’est le recrutement professoral qui reste la pierre angulaire de l’égalité, confirme la Doyenne Marianne Schmid Mast, Professeure de comportement organisationnel. Parallèlement à un meilleur panachage femme-homme dans les commissions de nomination et à la conscientisation des biais intégrés, il lui semble nécessaire de procéder à des recherches actives de candidates. Une telle pratique permet à la fois d’augmenter le nombre de postulations féminines effectives et de découvrir des profils inattendus qui permettent d’autres collaborations – un « gain collatéral » à ne pas sous-estimer ! Elle souhaiterait par ailleurs maximiser l’attractivité de l’UNIL lorsqu’il s’agit de recruter des chercheuses à l’international. La Suisse offre en effet une excellente qualité de vie (notamment en ce qui concerne l’accès à l’école), qui est difficile à chiffrer sur le papier, mais qui serait susceptible de convaincre. Une perméabilité accrue entre vie professionnelle et vie privée pourrait également être bénéfique aux carrières féminines : aux Etats-Unis, par exemple, certains apéros de fin de journée sont ouverts aux chercheuses qui veulent venir avec leurs enfants. Ceux-ci jouent entre eux pendant que leurs mères réseautent – comme leurs collègues masculins.
La famille… Elle est logiquement au centre des débats en matière d’égalité, et ce quel que soit le domaine de recherche. Comme le souligne Liliane Michalik, c’est souvent autour des crèches que se construisent des réseaux de solidarité féminine. Le campus n’y fait pas exception. Elle trouve toutefois anormal que les chercheuses enceintes ressentent encore une angoisse à parler à leur supérieur·e. La pression et la culpabilité que les jeunes mamans ressentent au retour de leur congé maternité sont tout aussi problématiques et aboutissent parfois à des situations douloureuses comme des burn out. Il faut impérativement inverser le point de vue et considérer qu’une grossesse ne concerne pas uniquement les femmes, mais bien l’institution, qui doit endosser cette charge comme toute autre situation RH.
C’est ce que défend également Nicky Le Feuvre, Professeure de sociologie au travail et Doyenne en SSP. Sa faculté a d’ailleurs mis en place un entretien préparatoire avant chaque congé maternité, qui réunit direction d’institut, membre du Décanat et femme enceinte, afin de décharger cette dernière de toutes ses tâches d’encadrement. Au-delà des problématiques individuelles, il s’agit ici de donner des signaux forts en faveur de l’égalité et de la parentalité. Installation d’espaces d’accueil pour les enfants au sein du bâtiment de la faculté, incitation à parler ouvertement des questions de harcèlement et de sexisme ordinaire, réalisation d’études de débouchés professionnels pour leurs diplômées, tournage de vidéos sur les biais de recrutement : nombre d’actions de terrain sont déjà effectives et servent de marqueurs clairs. Cependant, déplore-t-elle, même une mise en œuvre d’une multitudes de bonnes pratiques ne parvient pas encore à améliorer suffisamment le taux de professeures engagées au sein de sa faculté. Comme partout, celui-ci stagne autour de 35%. Cette apparente uniformisation du plafond de verre dans les carrières universitaires féminines répond à des mécanismes propres aux fonctionnements institutionnels. Un constat malheureux ! Changer cette culture académique pose beaucoup de questions concrètes qui montrent que s’attaquer à la notion de carrière féminine, c’est s’attaquer à la notion de carrière tout court. La Doyenne estime que cela nécessite une refonte complète du moule existant et par une remise à plat du système universitaire dans son intégralité, notamment à travers une réflexion sur les notions de performance et de compétitivité, y compris les temporalités imposées par les fenêtres d’éligibilité des sources de financement. Pour ma part, je pense qu’il est aussi crucial d’inverser notre manière de penser : les notions de qualité et de potentiel d’impact doivent impérativement prévaloir sur celle de quantité. En ce sens, les femmes engagées à l’UNIL font preuve d’une réelle compétitivité sur le plan national et international en dépit d’enjeux temporels qui pourraient leur sembler d’abord défavorables (maternité, horaires de travail).
Toutefois, comme le souligne Nicky Le Feuvre, une vraie politique d’égalité doit absolument intégrer les notions de diversité et d’intersectionnalité et leur allouer les ressources financières nécessaires, sans pour autant négliger l’objectif d’égalité femme-homme, qui est loin d’être atteint. Patrick Bodemann, médecin chef du Département Vulnérabilités et médecine sociale (DVMS) à Unisanté, responsable du Centre des populations vulnérables (CPV), titulaire de la Chaire de médecine des populations vulnérables et Vice-Doyen Enseignement et Recherche à la FBM, incarne justement une perspective de médecine interne générale et ambulatoire confrontée précisément à l’ensemble des personnes précarisées (migrant·e·s, travailleuses et travailleurs du sexe, individus incarcérés ou victimes de la traite d’êtres humains, SDF). De son point de vue, les soins qu’il prodigue doivent être équitables avant d’être égalitaires, c’est-à-dire accordés aux besoins spécifiques et aux profils socio-économiques des patient·e·s. Or, la pandémie n’a fait que creuser les vulnérabilités et les inégalités sociales préexistantes. Il reste donc beaucoup à faire dans le système suisse, pourtant considéré comme performant. Ainsi souhaiterait-il parvenir à mettre sur pied une collaboration entre toutes les facultés de l’Université de Lausanne autour de la question de l’équité qui favorise l’inclusion de chacun·e.
J’aurais bien entendu pu prendre d’autres témoignages de personnes qui réfléchissent et agissent pour l’égalité au sein de l’UNIL. Et même si la route est encore longue, je souhaite terminer ce post sur une note positive en me disant que nous avons une expertise interne riche à l’UNIL, des initiatives personnelles et collectives, des programmes d’activités culturelles autour des questions d’égalité, une Direction qui en fait une ligne stratégique prioritaire et des facultés dont les Doyennes et Doyens travaillent sur des plans d’action concrets. La perception des femmes en position de leadership a d’ailleurs beaucoup évolué ces dernières années. Selon Liliane Michalik, ce qui était autrefois une exception un peu étrange est aujourd’hui davantage accepté, notamment grâce aux pionnières telles qu’Erna Hamburger ou Nouria Hernandez, qui ont écrit l’histoire de l’UNIL. Autant d’occasions de se réjouir malgré les défis qui nous attendent encore, et de garder l’espoir de nous voir progresser !
Pour prolonger ces réflexions
Je vous invite à vous intéresser à la soirée « Sexisme en archéologie : des vestiges du passé aux enjeux actuels » organisée par le Bureau de l’égalité à l’occasion de cette journée des droits des femmes du 8 mars, qui prendra la forme d’une conférence et table ronde, accompagnées d’une allocution de Cesla Amarelle.
L’UNIL propose également une semaine d’actions contre le racisme du 21 au 25 mars.