L’art de déjouer le témoignage par la fiction
Verre Cassé d’Alain Mabanckou
Claudine Gaetzi
Postface de Christine Le Quellec Cottier, 2014.
En affirmant que « la préoccupation de l’auteur africain n’est pas son rapport avec le continent noir », mais qu’elle est « avant tout littéraire, comme pour tout écrivain », Alain Mabanckou partage la position des écrivains de la Migritude et rompt avec les choix des générations précédentes. Désormais, il ne s’agit plus de faire connaître les particularités d’une culture, ni de dénoncer les violences subies, mais de trouver comment exister, en tant qu’écrivain, dans un
« entre-deux » instable et délié du territoire géographique, où l’imaginaire est confronté à une permanente circulation des références culturelles. Situation complexe, dont l’ambivalence est redoublée par celle du système littéraire francophone, puisque la reconnaissance des écrivains émigrés reste attachée, très souvent, à des marqueurs signalant leur altérité ou leur situation périphérique.
Cet essai entend saisir de quelle manière Alain Mabanckou parvient à gérer ces attentes en plaçant, au cœur de sa pratique scripturale, la volonté de s’en libérer. L’étude de ses romans, et notamment de Verre Cassé, montre comment l’écrivain construit des intrigues qui, tout en semblant rendre compte de réalités africaines, mettent à mal les codes de représentation réaliste, par leurs scénographies ou par des narrateurs à la parole peu fiable. Alors que certains personnages affirment la nécessité du témoignage – topos de la littérature africaine impliquant engagement et vérité –, le récit déjoue simultanément cette décision. Il se veut, avant tout, une fiction – une feintise.
C. G.
116 p.