C’est confirmé: un fragment de zircon trouvé en Australie est âgé de 4,4 milliards d’années, ce qui fait de lui le plus vieux minéral terrestre connu. Témoin de la plus tendre enfance de la Planète bleue, il prouve que notre Terre s’est refroidie plus vite qu’on le croyait. Et que les conditions favorables à la vie seraient peut-être plus anciennes que prévues.
Il a beau être microscopique puisqu’il n’est que deux fois plus gros qu’un cheveu, ce fragment de zircon d’origine australienne a fait beaucoup parler de lui. A juste titre. Vieux de 4,4 milliards d’années, comme vient de le confirmer une équipe internationale de chercheurs, il est en effet le plus ancien minéral terrestre connu. Ce qui fait de lui un précieux témoin de notre planète, telle qu’elle se présentait lorsqu’elle n’avait que quelques millions d’années.
Des zircons très âgés
L’histoire débute dans la région de Jack Hills, à l’ouest de l’Australie. C’est dans cette zone, dont le socle géologique est très ancien, que, «dès le début des années 80, l’existence de zircons très âgés a été mentionnée pour la première fois», précise Pierre Vonlanthen, collaborateur scientifique à l’Institut des sciences de la Terre (ISTE) de l’UNIL. Il a toutefois fallu attendre 2001 pour qu’une équipe internationale dirigée par Simon Wilde, géologue à l’Université technologique Curtin, en Australie, puisse dater les fragments de zircon les plus anciens.
Les chercheurs en ont conclu que ce microcristal «violet foncé, mesurant 220 microns sur 160» (un micron est un millième de millimètre), selon la description que Simon Wilde en donne dans Nature, était vieux de 4,4 milliards d’années. Ce résultat, se rappelle Pierre Vonlanthen, «a créé le buzz» chez les scientifiques. Comme c’est toujours le cas en la matière, il a aussi fait débat.
Il vient toutefois d’être confirmé en mars dernier dans Nature Geoscience par une équipe internationale, menée par John Valley, géologue à l’Université du Wisconsin aux Etats-Unis. Aujourd’hui, le doute n’est donc plus permis. «Il y a maintenant un faisceau d’évidences qui montre que l’âge de ce zircon peut difficilement être mis en cause», commente le minéralogiste de l’UNIL.
Datation: la transmutation de l’uranium en plomb
La méthode utilisée pour sa datation est en effet bien rodée. Elle tire parti du fait que le zircon renferme deux isotopes radioactifs de l’uranium, les 238 et 235 (238U et 235U), qui sont instables et qui se désintègrent successivement en divers éléments pour donner finalement naissance à des isotopes de plomb (206Pb et 207Pb). «En mesurant les quantités d’isotope-mère (l’uranium) et d’isotope-fils (le plomb) présentes dans un échantillon, ce géochronomètre permet de déterminer l’âge du minéral», explique le chercheur lausannois. La transmutation de l’uranium étant extrêmement lente, puisqu’il faut 4,468 milliards d’années à l’238U et 0,704 milliards à l’235U pour que la moitié de leurs atomes se transforment en plomb, il est possible de remonter très loin dans le temps et de dater des matériaux très anciens.
Le zircon, un minéral stable et robuste
«Ce cristal de zircon, et c’est là son intérêt, poursuit Pierre Vonlanthen, s’est formé à une époque très proche, à l’échelle géologique, de celle de la naissance de la Terre» qui, elle, a eu lieu il y a 4,54 milliards d’années.
Il n’est d’ailleurs pas surprenant que le plus vieux minéral connu soit du zircon. Ce silicate de zirconium – qu’il ne faut pas confondre avec la zircone, l’oxyde de zirconium très utilisé en bijouterie pour imiter le diamant – est «particulièrement stable et robuste», selon le chercheur de l’ISTE.
Les roches magmatiques dans lesquelles il a pris naissance et s’est cristallisé n’existent plus: elles ont été détruites par l’érosion et la tectonique des plaques. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’existe plus sur Terre de roches plus anciennes que les gneiss d’Acasta, au Canada, qui n’ont «que» 4 milliards d’années.
Mais le zircon, lui, a perduré. «Il résiste très bien aux attaques physico-chimiques liées à l’érosion; il est donc bien armé pour faire face aux aléas du temps.» Lorsque sa roche mère s’est désagrégée, «il a pu être libéré et transporté, puis il s’est accumulé dans des roches détritiques», c’est-à-dire des roches sédimentaires formées par l’accumulation de débris d’autres roches.
En outre, ajoute le minéralogiste lausannois, le zircon a aussi, aux yeux des géologues, l’avantage «d’être présent dans un grand nombre de roches différentes, notamment dans les roches magmatiques telles que le granit». On en retrouve donc des fragments, d’âges moins respectables toutefois, dans de nombreuses régions du globe, y compris en Suisse.
Un témoin de la petite enfance de la Terre
L’affaire est donc entendue. Le fragment de zircon australien provenant de Jack Hills est le doyen des matériaux terrestres jamais datés. Mais ce n’est pas ce record digne du Guinness Book qui intéresse les géologues. Pour ces derniers, ce cristal est avant tout un précieux document d’archives, puisqu’il témoigne d’évènements qui ont marqué la petite enfance de la Terre. Grâce à lui, les scientifiques ont pu confirmer la validité de certaines de leurs théories, en particulier celle dite de la «Terre primitive froide».
Pour comprendre de quoi il s’agit, il faut remonter très loin dans le temps, au moment où notre globe a pris naissance. Notre planète, comme celles qui composent le système solaire, s’est formée à partir de la nébuleuse solaire, un nuage en forme de disque constitué de gaz, de poussières et de roches. Sous l’effet de la gravité notamment, cette matière s’est peu à peu condensée. Les grains se sont alors agrégés en de plus gros blocs qui, en entrant en collision les uns avec les autres, ont créé des corps plus importants, les planétésimaux. Ceux-ci ont grossi à leur tour, donnant finalement naissance à des planètes. En particulier, il y a 4,54 milliards d’années, à celle que nous habitons.
Pendant quelques millions d’années, le chaos régnait sur Terre
«Les premiers millions d’années d’existence de la Terre ont été très tourmentés», précise Pierre Vonlanthen. A cette époque, selon la description que livre John Valley dans le magazine Pour la Science, «notre planète était d’une lueur orangée, telle une étoile refroidie. Des blocs rocheux, certains de la taille d’une petite planète, tournaient autour du jeune Soleil et nombre d’entre eux se fracassaient sur la Terre. En se brisant, voire en se vaporisant, ils contribuaient à créer des océans de roche fondue.»
Autant dire que le plus grand chaos régnait sur cette très jeune Terre qui était, toujours selon John Valley, «cruellement inhospitalière». Elle était en effet recouverte d’un océan de magma, «une véritable fournaise», précise Pierre Vonlanthen, et elle était sans cesse bombardée par des météorites. C’est d’ailleurs l’une d’entre elles, grosse comme la planète Mars, qui est venue heurter la Terre il y a plus de 4,5 milliards d’années, éjectant autour de notre planète la matière qui a donné naissance à la Lune. L’impact a été si violent «qu’il a en partie fait fondre et vaporisé les deux corps célestes», écrit le géologue américain dans la revue Elements.
Ce n’est donc pas un hasard si cette période agitée, qui commence à la naissance de la Terre et se termine à l’apparition des premières formes de vie, a été nommée l’Hadéen, en référence à Hadès, le dieu grec de l’enfer.
Coup de froid sur la planète
Restait une question qui a longtemps préoccupé la communauté scientifiques: combien de temps a duré l’Hadéen? Combien de millions d’années a-t-il fallu pour que la planète se refroidisse suffisamment pour que le chaos laisse place à des conditions plus propices à la vie?
On sait en effet que, durant ces premiers temps géologiques, la température a sérieusement baissé à la surface de la Terre. Au départ, elle «se chiffrait à plusieurs milliers de degrés Celsius, précise le chercheur de l’ISTE. Puis elle est peu à peu descendue à des valeurs de l’ordre de 300°C. Certains scientifiques avancent qu’elle aurait été plus basse encore, puisqu’ils pensent que les océans auraient été gelés à certaines périodes.»
Quoi qu’il en soit, notre globe a bien subi un coup de froid. Il faut dire qu’alors, «le rayonnement du jeune Soleil était 30% plus faible qu’aujourd’hui. En outre, poursuit le chercheur lausannois, pour conserver une température élevée, il aurait fallu que l’atmosphère de la Terre renferme une très importante quantité de gaz à effet de serre, comme le CO2. Or, s’il y avait beaucoup plus de gaz de ce type que maintenant, il n’est pas certain qu’il y en ait eu suffisamment pour garantir, en permanence, un effet de serre très prononcé. Ces considérations ont donc conduit certains scientifiques à penser que la Terre avait pu se refroidir plus rapidement que ce que l’on pensait auparavant.»
Le zircon confirme la théorie de la Terre primitive froide
C’est à ce stade qu’intervient le fragment de zircon, qui vient apporter de l’eau au moulin des partisans de cette hypothèse dite de «la Terre primitive froide». Puisque ce cristal date de 4,4 milliards d’années, cela signifie que dès cette époque, le magma originel avait en partie fait place à des roches et donc qu’»une croûte terrestre primitive était déjà en train de se différencier, explique Pierre Vonlanthen. D’autant, ajoute-t-il, que l’on a retrouvé dans ce zircon des micro-inclusions de quartz prouvant que le magma granitique duquel il était issu avait commencé à cristalliser».
Un autre indice plaide en faveur du refroidissement précoce de la Terre. «L’étude de la signature isotopique du cristal a révélé que le zircon était enrichi en oxygène 18, ce qui est compatible avec la présence d’eau à l’état liquide qui aurait donc coexisté avec le magma.» Cette eau aurait été amenée sur Terre par les différents planétésimaux et autres proto-comètes qui l’ont heurtée. Incorporée dans les roches comme les silicates, «elle a ensuite été vaporisée libérée dans l’atmosphère lors de l’impact géant qui a créé la Lune».
Quand la vie est-elle apparue sur Terre?
Des températures relativement clémentes, une croûte terrestre, de l’eau: les conditions étaient-elles réunies pour que les premières formes de vie puissent avoir fait leur apparition plus tôt que prévu? «C’est possible, répond Pierre Vonlanthen. Mais le zircon ne prouve en rien que cela était le cas.» D’autant qu’à l’époque, «les rayonnements cosmiques étaient beaucoup plus importants qu’aujourd’hui. On ne sait pas si des molécules organiques auraient pu y résister.»
Il ne faut pas non plus oublier, souligne le minéralogiste, que «le zircon n’apporte qu’un indice indirect de la présence d’océans à la surface de la Terre au moment où il s’est formé. Les preuves directes les plus anciennes que l’on possède à ce sujet sont constituées par les laves en coussin (coulées de laves qui se solidifient dans un milieu subaquatique) et les sédiments subaquatiques de la formation d’Isua, au Groenland, qui datent de 3,8 milliards d’années.»
Quant à l’apparition de la vie sur terre, les premières preuves indiscutables remontent à 3,5 milliards d’années. C’est en effet l’âge des plus anciens stromatolithes (structures calcaires stratifiées qui ont été édifiées par des microorganismes) mis au jour. Par ailleurs, «il existe des biosignatures plus anciennes encore, datées à 3,8 milliards d’années. Elles se présentent sous la forme de sédiments contenant du graphite très appauvri en carbone 13, un isotope dont la présence ne peut s’expliquer facilement que par l’existence d’une activité biologique.» Toutefois, note le chercheur, «personne n’a jamais exclu que la vie aurait pu apparaître plus tôt».
Sur ce point, le mystère reste entier et il ne faut pas compter sur le fragment de zircon pour nous éclairer. Ce minuscule cristal a toutefois beaucoup contribué à la connaissance de notre lointain passé puisqu’il a permis de réécrire les premières pages de l’histoire de la Terre.