Paru en 1992, le premier film signé Quentin Tarantino marque l’arrivée d’un monument du cinéma parmi les réalisateurs les plus connus du septième art.
Déjà trente ans que le réalisateur américain Quentin Tarantino marque de son empreinte le cinéma. Avec des films entrés dans la légende. À commencer par le classique Pulp Fiction. Ou Reservoir Dogs, premier long-métrage du cinéaste sorti en 1992. L’occasion de s’intéresser à son œuvre, avec Alain Boillat, professeur à la Section d’histoire et esthétique du cinéma.
Le budget initial de Reservoir Dogs était d’environ 50 000 dollars.
VRAI MAIS > Premier film réalisé par Quentin Tarantino, Reservoir Dogs avait pour budget le salaire reçu pour le scénario de True Romance, que le cinéaste a été contraint de céder à un autre réalisateur. Une somme qui s’est ensuite élevée à près de 1 500 000 dollars avec l’arrivée de Harvey Keitel au casting, également coproducteur du film. «Le film qui aurait coûté si peu n’a jamais existé. Il se serait agi d’un film amateur au format 16mm. La mention de ce petit budget participe du mythe Tarantino», nuance Alain Boillat.
Les deux premiers longs-métrages de Tarantino sont considérés comme des œuvres majeures du cinéma indépendant.
VRAI MAIS > Peu après Reservoir Dogs, Tarantino signe son grand classique : Pulp Fiction. Ces deux premiers longs-métrages auraient braqué les projecteurs sur le cinéma dit «indépendant», par opposition aux films dits «hollywoodiens». «On peut en effet parler de films indépendants, mais américains, répond Alain Boillat. Mais en termes de structure de production, on est très loin de films d’auteurs ou de films indépendants européens. Même s’il s’agit de petits budgets, la promotion et la distribution sont quant à elles extrêmement importantes. En revanche, il y a une réelle volonté d’afficher un ton de cinéma indépendant, une liberté dans la conduite d’un récit plus discontinu que celui du cinéma dominant, et une transgression perpétuelle des règles.»
Quentin Tarantino a révolutionné la notion de bande originale.
VRAI > Bien qu’on trouve des morceaux écrits par de grands compositeurs tels qu’Ennio Morricone dans la filmographie de Quentin Tarantino, la plupart des chansons utilisées dans ses œuvres sont issues de la musique contemporaine, notamment des années 60 et 70. Une logique rare dans le monde du cinéma en dehors des films musicaux. «Dire qu’il s’agit d’une révolution est peut-être excessif, parce que d’autres réalisateurs utilisaient aussi de la musique contemporaine, comme Martin Scorsese. Mais ces bandes originales n’ont pas rencontré le même succès et ne sont pas présentées de la même manière. Il y a une adéquation entre la compilation de musiques et l’utilisation généralisée chez Tarantino de citations, dans une logique de fragment, de recyclage.» À noter aussi dans les bandes originales des films de Tarantino les pistes uniquement à base de dialogues. «Le fait d’avoir un bout de la piste-son du film sur le disque participe à la mythification du film et a un lien fort avec le statut de la parole (fanfaronnade et vacuité) dans le cinéma de Quentin Tarantino», souligne Alain Boillat.
Quentin Tarantino est un fervent amateur de cinéma.
VRAI MAIS > Par-delà sa casquette de réalisateur, Quentin Tarantino serait avant tout un amateur de cinéma. Une passion qui lui viendrait de ses années en tant qu’employé de vidéoclub, qu’il transcrirait dans la plupart de ses œuvres. En rendant hommage particulièrement aux films de kung-fu, aux western spaghetti et à la blaxploitation. Un amour qui atteint son apogée avec son dernier film en date, Once Upon a Time… in Hollywood. «Tarantino montre effectivement une passion pour le cinéma. Mais un cinéma particulier, celui dit de ̎ série B ̎. Il renvoie souvent au contexte de réception d’une cinéphilie non classique, tournée vers le cinéma de genre. On peut par exemple rappeler qu’au début de Kill Bill apparaît le logo de la Shaw Brothers (société hongkongaise active jusqu’en 2011 dans la production et distribution de films, ndlr). Il fait largement référence aux films de sabres chinois et japonais. Beaucoup d’œuvres des années 60-70 ont été découvertes par un large public parce que Tarantino a dit qu’il les aimait. Il popularise une culture qui est populaire, mais pas aux États-Unis. Quentin Tarantino médiatise beaucoup le fait d’être amateur de cinéma et cela contribue à la redécouverte de certains sous-genres.»
Les films de Quentin Tarantino sont réputés pour leur violence gratuite.
VRAI > Critique récurrente au sujet de la filmographie de Quentin Tarantino, celle-ci ferait la part particulièrement belle à la violence «gratuite». «Je ne vois pas comment on pourrait le voir autrement, admet Alain Boillat. C’est la base de son esthétique. Ses films reposent sur des scènes qui ont une forme de perversité poussée à l’extrême. On sait que l’issue de ces scènes, qui durent, va être violente, l’explosion provoquant une rupture de ton. Il fait durer une séquence, en général en des moments où les personnages parlent beaucoup. Cela fait partie de l’horizon d’attente d’un film de Tarantino. On se dit qu’il y aura explosion d’une violence vers laquelle on glisse à partir d’une discussion anecdotique. Un déchaînement de violence qui prend par ailleurs pour victimes particulièrement les femmes.»
Le huis clos est la forme fétiche de Quentin Tarantino.
VRAI > Dès son premier film, Tarantino a mis à l’honneur le huis clos, les scènes se déroulant en espace fermé, mettant en avant le jeu d’acteur et les longs dialogues. «L’omniprésence du huis clos s’explique par le principe de dilatation des scènes. Pour que les scènes durent, avec des gens qui parlent, au point d’avoir l’impression de ne pas avancer jusqu’au surgissement de la violence, il faut souvent se trouver dans un seul et même lieu. Cela montre une maîtrise sur les acteurs puisque la mise en scène les fige. Mais en même temps, le huis clos permet de jouer avec eux, de les pousser assez loin, parce qu’ils sont toujours dans le cadre.» Un huis clos parfois spécial, dans la mesure où l’espace se déploie souvent avec l’intrigue. Exemples ? «La scène d’ouverture d’Inglorious Bastard, lorsqu’on découvre des Juifs cachés sous le plancher d’une maison française au cours d’un long dialogue mené par un gradé nazi venu faire une perquisition ; idem plus tard dans le même film dans une cave qui réunit une partie de l’équipée menée par Brad Pitt, où sort abruptement de l’ombre un nouveau soldat nazi après une longue séquence qui ne laissait pas envisager la présence d’un tiers dans un espace exigu.» Ou encore l’empoisonnement du café qui surprend tout le monde dans Les Huit Salopards, alors que le film se déroule presque exclusivement dans une cabane, avec les mêmes protagonistes du début à la fin.
Once Upon a Time… in Hollywood était le dernier film de Quentin Tarantino.
??? > Dans de nombreuses interviews, le réalisateur a annoncé que sa filmographie ne compterait que dix longs-métrages. Faisant de Once Upon a Time… in Hollywood son ultime et dernier film. «Cela m’étonnerait qu’il n’en fasse pas plus. Il arriverait à trouver une parade s’il décidait d’en faire encore. Il peut par exemple toujours dire que Kill Bill sont deux volets d’un même film.» Ce qu’a précisément fait Quentin Tarantino, le générique des Huit Salopards indiquant qu’il s’agissait de son huitième film, et non du neuvième.