A Dorigny comme ailleurs, le pillage de la pensée d’autrui existe, même s’il est rare. Dans un esprit de prévention, l’UNIL vient de se doter de nouveaux outils réglementaires, pédagogiques et techniques afin de lutter plus efficacement contre le plagiat.
Le 1er mars 2011, le populaire ministre allemand de la Défense démissionna. La thèse en droit de Karl-Theodor zu Guttenberg, rebaptisé «Baron zu Googleberg», contenait en effet de nombreux passages copiés ailleurs. Le politicien se fit même retirer son titre de docteur. En avril 2012, ce fut au tour du président hongrois Pál Schmitt de tomber pour la même raison. Et moins d’un an plus tard, c’est la ministre allemande de l’Education et de la Recherche, Annette Schavan, qui quitta ses fonctions suite à un scandale de plagiat concernant son doctorat. Dans un autre registre, Michel Houellebecq se vit reprocher d’avoir retravaillé des extraits de Wikipedia ou de sites internet pour son roman La carte et le territoire.
Ces affaires récentes ont mis en lumière le plagiat, «une vraie question dans le monde universitaire contemporain», estime Jérôme Jacquin, maître assistant en Sections de français et des sciences du langage et de l’information, et président de la Commission de l’enseignement de l’UNIL. Dès 2013, cette dernière a entamé une réflexion et des travaux à ce sujet, en rassemblant des enseignants, des chercheurs et des étudiants de toutes disciplines. Depuis, l’institution s’est dotée d’un nouveau règlement concernant l’enseignement, de moyens pédagogiques de sensibilisation, ainsi que d’un logiciel de détection.
Voler les esclaves
De quoi parle-t-on? «Le plagiat est la reprise – même ponctuelle, partielle ou reformulée – d’un texte d’autrui, en le faisant passer pour sien ou sans en indiquer la source», peut-on lire dans la directive ad hoc. La racine latine du terme, plagiarius, signifie «celui qui vole les esclaves d’autrui ou qui vend comme esclave une personne libre qu’il a kidnappée». Si l’idée de larcin persiste à travers les siècles, «aujourd’hui, ce sont les mots qu’on vole», note Jérôme Jacquin.
Quelle est la réalité du phénomène à l’UNIL? «Chaque année, nous traitons une poignée de cas», constate Danielle Chaperon, vice-rectrice en charge de l’Enseignement et des Affaires étudiantes. A sa suite, toutes les personnes interrogées par Allez savoir! confirment que Dorigny n’est pas «Notre-Dame du copier-coller». Naïveté? Le professeur Marius Brülhart, vice-doyen de la Faculté des HEC, réfute l’objection classique à ce constat rassurant. «Nos étudiants travaillent-ils correctement dans leur immense majorité, ou n’est-on pas capables de repérer les plagiaires? Je suis certain de la première hypothèse.»
Il faut toutefois préciser que, avant l’entrée en vigueur du nouveau cadre législatif en juillet 2014, les enseignants n’osaient pas toujours signaler leurs doutes face à certains textes remis par des étudiants, notamment au niveau du bachelor. Ils craignaient d’activer une machinerie administrative et de faire tomber une sanction trop lourde sur des jeunes en formation. Afin d’éviter cette autocensure sans pour autant verser dans le laxisme, la directive prévoit justement une gradation des infractions (lire ci-dessous).
C’est grave, docteur?
Une question fondamentale se pose d’emblée: copier, est-ce si grave que cela? Dans l’institution, les réponses varient selon les sensibilités et les disciplines. Mais «de manière axiomatique, le monde académique considère le plagiat très négativement. Notre culture a évolué vers le respect de la créativité, du travail et du droit d’auteur», pose Jérôme Jacquin.
Les raisons de cette détestation sont très nombreuses. «Nous cherchons à produire des individus autonomes, capables de construire des postures critiques propres. Le plagiat revient à abjurer cette possibilité de penser par soi-même», note Christian Grosse, professeur et vice-doyen de la Faculté de théologie et de sciences des religions. Etudiant en bachelor et membre de la Commission de l’enseignement, Eric Girodet estime également que «pratiquer le plagiat revient à se maltraiter soi-même. De plus, on court le risque de devenir une fabrique de tautologies.»
Outre un déni de soi, le tricheur ne remplit pas la part du contrat qu’il a passé avec l’Université. «Cette personne prouve seulement qu’elle sait trouver de l’information, parfois habilement, mais en aucun cas qu’elle l’a comprise et intégrée», ajoute Jérôme Jacquin. En effet, certaines étapes du cursus académique imposent la réalisation d’exercices bien particuliers, comme les mémoires de master. A cette occasion, «il ne s’agit pas seulement de faire la preuve que l’on s’est approprié les outils, les modèles et les théories de la discipline étudiée, mais également que l’on maîtrise des compétences, comme la capacité à appliquer son savoir», ajoute Danielle Chaperon.
Christian Grosse est particulièrement allergique au plagiat entre étudiants. «Il est normal que ces derniers s’entraident. Mais l’exploitation du travail des autres grippe la confiance et génère de la méfiance. Celle-ci est déjà bien assez présente dans le milieu de la recherche sans en introduire dans les auditoires.»
Le «copier-coller» pose un problème déontologique, voire moral. «En tant que scientifiques, nous devons accorder une grande importance à l’intégrité intellectuelle», affirme Manuel Pascual, professeur et vice-doyen de la Faculté de biologie et de médecine. De son côté, Marius Brülhart qualifie le plagiat de «vol intellectuel», une pratique pour laquelle il n’exprime pas davantage de compréhension que pour la fraude ou la tricherie aux examens.
Pour l’institution, il est dommageable de décerner des diplômes à des personnes qui ont emprunté leurs talents à d’autres. «Le savoir est collectif par son essence même. Mais il est injuste de ne pas reconnaître quelle est sa propre place dans cet ensemble», remarque Danielle Chaperon.
Enfin, si le règlement prévoit des sanctions parfois sévères, le doyen de la Faculté de biologie et de médecine, Jean-Daniel Tissot, a sa propre idée. «A titre de peine, j’obligerais les coupables à lire Montaigne. Sa manière d’utiliser la pensée d’autrui pour parvenir à développer la sienne touche au génie.»
C’est si simple de citer
Face à cette avalanche de réprobation, la solution paraît simple. Il suffit de citer correctement ses sources, d’attribuer aux auteurs leurs idées et leurs citations. La paraphrase, rédigée correctement, est également acceptée. Tous les étudiants apprennent ces règles très tôt dans leur cursus.
De plus, ils ne doivent pas avoir peur de rendre un texte truffé de guillemets (à l’exemple de cet article). Les enseignants interrogés par Allez savoir! confirment qu’il est tout à fait légitime de ne pas avoir uniquement des pensées à soi. Un mémoire peuplé de citations, de notes et de références, dans lequel les idées d’autres auteurs sont articulées entre elles de manière cohérente, est parfaitement normal. La science s’est toujours construite sur les contributions de prédécesseurs. «Citer, c’est montrer une vaste étendue de lectures. Lire, c’est le premier travail de l’étudiant», synthétise Christian Grosse.
Plagiat involontaire
Toutefois, des nuances s’imposent. Contrairement aux idées reçues, il est possible de plagier sans le faire exprès. C’est le cas classique de l’étudiant qui copie, dans un document provisoire, une phrase intéressante dénichée dans un article scientifique. Il oublie de reporter la référence, ou l’indique seulement dans sa bibliographie. Plus tard, cette citation peut se retrouver incluse – sans guillemets ni note – dans un travail rendu. En l’occurrence, cette situation est davantage un problème de méthode qu’une tentative de tricherie. Grâce à la nouvelle directive, elle pourra être résolue par l’enseignant entre quatre yeux (lire ci-dessous).
La situation devient plus complexe si l’on s’intéresse aux pensées et non aux textes eux-mêmes. «Il peut arriver à tout le monde d’être persuadé d’avoir eu une idée lumineuse, alors qu’elle a été émise par quelqu’un bien avant vous!», constate Eric Girodet. Un enjeu pour des étudiants qui baignent dans les mots d’autrui, un cours après l’autre. «Il est nécessaire de mettre en place un flux de travail rigoureux, qui garantisse une certaine vigilance», conseille Jérôme Jacquin.
De son côté, le professeur Jean-Daniel Tissot confesse une «intolérance raisonnée au plagiat». La pression pour publier toujours davantage, additionnée de l’emploi de la langue anglaise dans son domaine, constituent des dangers. «Si vous êtes Shakespeare, la richesse de votre vocabulaire vous permet de vous en sortir. Dans le cas contraire, avec vos quelques centaines de mots, vous allez rapidement faire tourner vos idées en rond! Il n’est pas possible d’être créatif à l’infini.» Le mélange d’une très grande spécialisation et d’un lexique aussi pointu que limité constituent des sérieuses embûches à l’originalité.
Des copistes
Jérôme Jacquin reconnaît que la répulsion du monde académique pour le plagiat est propre à notre époque et à notre contexte. Elle est difficile à faire comprendre dans un monde où tout est fait pour faciliter la circulation (et donc la copie) des informations et des idées! «Nous sortons d’une période de consécration du droit d’auteur, soutient Christian Grosse. Les liens entre le texte, l’autorité et l’autorialité se recomposent.» Ainsi, la page de titre d’un livre, «monumentalisée, indique que vous entrez dans un texte par une porte marquée du nom d’un auteur. Lorsque vous trouvez des informations sur le Net, vous y accédez directement, sans ce passage», ajoute le professeur.
A la Renaissance, il était largement accepté, et même souhaitable, de couturer un écrit de fragments issus de travaux plus anciens. Cette situation a duré assez longtemps: le professeur cite le cas d’Alexandre César Chavannes (1731-1800), qui fut recteur et bibliothécaire de l’Académie de Lausanne. Dans l’œuvre de sa vie, Anthropologie ou science générale de l’homme, cet auteur respectable ne cite pas souvent ses sources et n’hésite pas à reprendre la pensée d’autrui à son compte!
Les trois réponses de l’UNIL
Le plagiat n’est donc pas une question simple. Comme mentionné plus haut, l’UNIL s’est dotée de trois outils: un règlement, une formation en ligne et un logiciel de détection. Ce trio fonctionne de concert. La directive s’applique à tous les étudiants (du bachelor au doctorat), ainsi qu’à l’enseignement (c’est-à-dire au contenu des cours donnés). La recherche n’est pas concernée par ce document. «Un esprit de prévention gouverne ces mesures, affirme Danielle Chaperon. Il ne s’agit en aucun cas de faire penser que l’Université est pleine de plagiaires en puissance.» Le but consiste à ce que tous les étudiants, au terme de leur cursus, sachent comment éviter le plagiat.
Un module de formation en ligne, développé par une société issue du Imperial College de Londres, va être déployé dans les facultés ces prochains mois. Enrichi de nombreux exemples, d’exercices, d’entretiens en vidéo et d’articles de presse, il propose de plus des quizz de révision. Quelques heures de lecture permettent ainsi d’obtenir une vision claire du problème et de bûcher sur certains aspects «limites», autour de la paraphrase par exemple. Ainsi, personne ne pourra plaider l’ignorance.
On sensibilise déjà
Aujourd’hui déjà, une mauvaise foi en tungstène est nécessaire pour oser soutenir une ignorance totale du sujet. «Des cours de sensibilisation sur le plagiat et la fraude sont donnés au début des cursus de bachelor, indique par exemple Elena Martinez, adjointe au vice-décanat de l’enseignement en Faculté de biologie et de médecine. Nous effectuons de plus des rappels à certains moments-clés, comme par exemple lors de l’introduction au travail de master.» A ce sujet, il est très fréquent de devoir signer un engagement de non-plagiat avant de se lancer dans la rédaction d’un mémoire.
Le logiciel de détection Compilatio vient compléter la palette des mesures prises. Son fonctionnement est simple. Il suffit à l’enseignant de charger les contributions des étudiants dans le système et ce dernier va les comparer avec le web en quelques minutes. Lorsque des similitudes (copies ou paraphrases) avec du contenu existant sont détectées, les sources apparaissent. Mais attention! Cela ne signifie pas qu’un plagiat a été trouvé, loin de là: il peut s’agir de citations effectuées dans les règles de l’art. «Cet outil est destiné à aider l’enseignant dans sa décision», précise Catherine El Bez, ingénieure pédagogique au dicastère Qualité et Ressources humaines. Il ne s’agit donc pas d’une caméra de surveillance.
Souvent présentés comme la panacée par les médias, les programmes de détection sont très peu employés. Les enseignants utilisent plutôt leur propre connaissance de la matière (et leur astuce) pour repérer les faussaires. Ainsi, avec un certain humour, un chercheur avoue «copier-coller les paragraphes dépourvus de fautes d’orthographe dans Google, juste pour voir». Pour Jérôme Jacquin, les ruptures stylistiques ou la présence de notions «tombées du ciel» constituent des indices. Tout comme «l’apparition d’un vocabulaire saugrenu ou de phrases jargonnantes», complète Christian Grosse. Dans le cadre d’analyses de textes, un enseignant en Lettres réagit à l’irruption d’auteurs ou de citations non pertinents.
Bien sûr, certains faussaires revêtent les atours de véritables artistes. Un exemple? La traduction d’un document qui n’existe que sous forme papier en de rares exemplaires, rédigé de plus dans une langue exotique. Mais à ce niveau-là de complexité, n’est-il pas plus simple de réaliser soi-même le travail demandé par l’université? «Les étudiants ne doivent pas tricher. S’ils s’y risquent, je leur conseille d’être inventifs!», sourit Jean-Daniel Tissot.
La créativité trouve toutefois un meilleur champ d’application dans la réalisation d’un mémoire personnel, et plus tard dans une recherche originale et de qualité. A long terme, ce sont également les buts poursuivis par les dispositifs pédagogiques de lutte contre le plagiat mis en place à l’UNIL.
Cet article a été passé au crible du logiciel Compilatio et ne contient aucune trace de plagiat.
Trois nuances de plagiat
La directive adoptée par l’UNIL propose une gradation des fautes. Cette échelle, adaptée du modèle mis en place par le College of William and Mary (Virginie), améliore l’efficacité de la lutte contre la copie. Supprimant la question de l’intentionnalité, souvent impossible à résoudre, elle donne une place centrale aux enseignants, qui décident si une infraction peut être qualifiée de plagiat ou non. Ainsi, on évite de mobiliser des instances lourdes pour des étourderies, sans pour autant sombrer dans le laxisme.
Selon ce cadre, une infraction est une faute légère si elle est unique, et que la source est mentionnée par ailleurs dans le document (par exemple en bibliographie). Les conséquences sont laissées à l’appréciation de l’enseignant, qui peut par exemple rappeler les règles du travail scientifique.
Ensuite, les choses se gâtent. Si l’infraction est unique et que la source n’est mentionnée nulle part dans le document examiné, ou que l’infraction est répétée et la source est mentionnée ailleurs, il s’agit d’un plagiat de faible gravité. Dans ce cas, comme dans le suivant, le décanat de la Faculté est informé.
Enfin, si l’infraction est répétée et que la source n’est pas mentionnée dans le document examiné, ou qu’il s’agit d’un cas de récidive de la part de l’étudiant (dans un autre texte rendu), il s’agit d’un plagiat de forte gravité. Dans les deux dernières situations, une palette de sanctions est prévue. Elle part de l’échec à l’évaluation et va jusqu’à l’exclusion de l’UNIL.