On sait depuis quelque temps que les évènements importants qui interviennent durant l’existence des humains s’inscrivent dans leurs gènes et se transmettent aux enfants. Cette nouvelle manière d’analyser l’ADN s’appelle l’épigénétique. Les éclaircissements des experts de l’UNIL.
Les parents ne transmettent pas que leurs gènes à leurs enfants. Ils leur lèguent aussi, inscrite dans leur patrimoine génétique, la trace d’événements importants qu’ils ont vécus au cours de leur existence. C’est l’une des révélations de l’épigénétique, une discipline qui s’intéresse non pas à la structure des gènes, mais à la manière dont ces derniers s’expriment dans l’organisme.
Winship Herr, professeur d’épigénétique au Centre intégratif de génomique de l’UNIL, et Ivan Stamenkovic, professeur à la Faculté de biologie et de médecine et directeur de l’Institut de pathologie du CHUV, décryptent cet étonnant phénomène.
La génétique progresse grâce à une famine en Suède
A Överkalix, un petit village isolé du nord de la Suède, les responsables de la paroisse ont de tout temps eu le sens des registres bien tenus. Depuis la fin du XIXe siècle, et jusqu’à la fin du XXe, ils ont consigné avec soin les saisons de bonnes et de mauvaises récoltes. Une mine d’informations pour le spécialiste suédois de médecine préventive Lars Olov Bygren et le généticien britannique Marcus Pembrey, qui ont pu reconstituer les périodes de disette et celles marquées par l’abondance.
Etudiant aussi l’état de santé de quelques familles du village sur trois générations, ils ont fait une découverte étonnante. Ils ont constaté que, quand un grand-père avait connu, durant sa préadolescence, un des rares hivers d’abondance et qu’il avait beaucoup mangé, cela influençait l’espérance de vie de son fils et de son petit-fils! Ces derniers vivaient sensiblement moins longtemps que les descendants des hommes qui, au même âge, avaient connu la famine car ils développent quatre fois plus un diabète de type 2. Les mêmes effets se retrouvaient d’ailleurs dans les lignées féminines…
Les parents transmettent autre chose que leurs gènes aux enfants
Cette observation avait de quoi ébranler les esprits et bousculer quelques idées admises en génétique classique. Elle apportait en effet une confirmation à ce que certains suspectaient déjà: les parents peuvent transmettre autre chose que leurs gènes à leurs enfants. Le patrimoine qu’ils leur lèguent porte aussi la trace de certains événements importants qu’ils ont vécus.
En termes scientifiques, ce phénomène porte désormais un nom: l’épigénétique. «En grec «epi» signifie «sur» ou «dessus», explique Winship Herr qui enseigne cette nouvelle discipline au Centre Intégratif de Génomique (CIG) de l’UNIL. L’épigénétique est donc ce qui se trouve au-dessus de la génétique.» En d’autres termes, précise-t-il, cela recouvre la «façon dont chaque individu va employer les gènes qu’il a hérités de ses parents».
«La génétique est à l’épigénétique ce que l’écriture d’un livre est à sa lecture.» On doit cette image, devenue célèbre, à Thomas Jenuwein, le directeur du Max- Planck Institut of Immunologie, en Allemagne. Une fois que le livre est écrit, explique le biologiste allemand, le texte (les gènes et l’information stockée sous forme d’ADN) sera le même dans tous les exemplaires publiés. Mais cela n’empêchera pas chaque lecteur de l’interpréter à sa façon et de ressentir des émotions ou d’entamer des réflexions qui lui seront propres.
L’ADN, c’est comme un livre de recettes de cuisine
«Je cite souvent cette image dans mes cours», ajoute Winship Herr. Poursuivant dans la même veine livresque, il compare d’ailleurs volontiers l’ADN «à un livre de cuisine». Chacun consulte les recettes qui lui sont utiles pour confectionner son repas et laisse les autres de côté. Il en va de même avec les différentes cellules de l’organisme. Elles renferment toutes, au sein de leur noyau, un même exemplaire d’ADN. Toutefois, chacune ne lit que les pages (les gènes) dont elle, a besoin pour confectionner les plats (les protéines) utiles à son fonctionnement.
Cela signifie que, si tous les gènes sont présents au sein de la cellule, certains sont activés, ils «s’expriment» comme disent les généticiens, alors que d’autres sont rendus partiellement ou totalement silencieux, une machinerie cellulaire complexe servant d’interrupteur pour les mettre en position «on» ou «off». Scientifiquement parlant, rappelle le professeur au CIG, l’épigénétique est donc l’étude de «la régulation de l’expression des gènes».
Une spécialité à la mode dans les laboratoires
Si le terme «épigénétique» est actuellement à la mode – «c’est plus chic de dire les choses comme cela», dit en riant le professeur de l’UNIL qui l’a choisi pour intituler son cours – cela fait quelques décennies que les généticiens s’intéressent à l’expression des gènes et à tout ce qui permet de la contrôler.
Car ce phénomène intervient dès le début de la division cellulaire. «La vie commence avec une seule cellule qui va se diviser et proliférer, jusqu’à donner un organisme entier, multicellulaire.» Mais, alors qu’au départ les cellules étaient pluripotentes, c’est-à-dire susceptibles de donner naissance à tous les types de cellules que compte un organisme, au cours du développement embryonnaire, elles vont se différencier, donc se spécialiser en cellules du foie, du coeur ou de la peau. C’est à ce stade qu’interviennent les différents mécanismes chargés d’activer ou d’inactiver les gènes.
L’ADN de toutes nos cellules mis bout à bout permettrait d’aller cent fois de la Terre au Soleil
L’un de ces mécanismes utilise une simple réaction chimique, la méthylation. Elle consiste à accrocher sur l’ADN de nouveaux groupes méthyles, formés d’un atome de carbone lié à trois atomes d’hydrogène. L’ADN est fait d’un enchaînement de quatre lettres, ACGT, et, normalement, «seule la base T est méthylée», explique Winship Herr.
Mais, dans certaines circonstances, un groupe méthyle «vient s’attacher au C des paires CG». Cela «ne change pas la séquence de l’ADN», donc ne touche pas à la génétique, mais cela modifie l’épigénétique. «Dans la plupart des cas, indique le spécialiste, si un gène est méthylé, son expression est réprimée.» Autrement dit, le gène ne remplit plus – ou mal – la fonction qui lui est dévolue.
Un autre mécanisme fait intervenir le nucléosome, un ensemble de protéines (les histones) autour desquelles les brins d’ADN sont enroulés. Il faut en effet savoir que, «si elle était dépliée, la molécule d’ADN présente dans chacune de nos cellules aurait une longueur de deux mètres, précise le professeur d’épigénétique. Mis bout à bout, les ADN de toutes les cellules de notre organisme couvriraient ainsi une distance équivalente à plus de cent fois celle de la Terre au Soleil! Pour qu’il puisse entrer dans le noyau cellulaire, «l’ADN doit donc être compacté, et c’est le nucléosome qui s’en charge». L’ensemble ADN-histones se présente en fait sous une forme sphérique, lui donnant l’apparence d’un collier de perles appelé chromatine.
Comment réduire les gènes au silence
«La chromatine peut être compacte ou au contraire lâche, précise Ivan Stamenkovic, professeur à l’UNIL et directeur de l’Institut de pathologie du CHUV. Selon son état, elle permettra aux protéines qui régulent la transcription des gènes d’interagir avec l’ADN ou pas.» En d’autres termes, si des enzymes viennent modifier la chromatine de manière à la rendre plus compacte – s’ils resserrent en quelque sorte les mailles du filet – les gènes ne seront plus accessibles à la machinerie cellulaire chargée de transcrire leurs informations pour fabriquerdes protéines. Une fois encore, les gènes eux-mêmes ne seront pas modifiés, mais ils auront été réduits au silence.
Une autre manière de faire taire les gènes consiste à exercer la censure non pas directement sur eux, mais par le biais des microARN chargés de transférer leurs instructions vers les usines de fabrication des protéines. La méthode est différente, mais le résultat est le même: «Cela conduit en quelque sorte à déstabiliser ces gènes et à diminuer ou à inhiber complètement leur expression», explique le pathologiste qui est aussi le vice-doyen de la recherche de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL.
De nouvelles pistes de traitements contre le cancer
Il s’agit là des mécanismes d’épigénétique les mieux connus, mais «il en existe d’autres», précise Winship Herr. Tous, cependant, affectent profondément le fonctionnement de l’ADN et sont désormais scrutés à la loupe par les chercheurs. Après avoir obtenu la carte du génome humain, les biologistes s’attachent donc maintenant à dresser celle de l’épigénome, qui recensera «toutes les modifications du nucléosome et leur emplacement». Le professeur d’épigénétique de l’UNIL et son équipe y travaillent déjà, dans le cadre de SystemsX, un important programme de recherche lancé par la Confédération pour promouvoir la biologie systémique.
L’enjeu est d’importance dans la mesure où les modifications de l’expression des gènes sont à l’origine de dérèglements qui peuvent conduire au développement de toute une série de maladies. «L’épigénétique permet d’expliquer un certain nombre de phénomènes que l’on ne comprenait pas, notamment dans le domaine du cancer», constate Ivan Stamenkovic. La connaissance des mécanismes qui activent ou inhibent l’expression des gènes permet d’ailleurs déjà «d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques potentielles» et d’envisager de nouvelles pistes de traitements.
L’alimentation et le stress influenceraient nos gènes
Au-delà de ses implications dans le domaine médical, l’épigénétique montre aussi que nos modes de vie peuvent avoir des répercussions non seulement sur notre propre santé, mais aussi sur celle de nos descendants. A commencer par l’alimentation qui, comme l’ont montré Lars Olov Bygren et Marcus Pembrey, joue un grand rôle dans l’affaire. «C’est certain», commente Ivan Stamenkovic, qui précise toutefois «qu’il s’agit de phénomènes assez subtils que l’on ne sait pas encore très bien mesurer». Un niveau élevé de stress «pourrait aussi avoir un effet sur l’expression de différentes catégories de gènes et altérer par exemple la réponse immune, qui a un effet inhibiteur sur le cancer, souligne le pathologiste. La question est en suspens, mais il serait intéressant de l’étudier.»
Pourquoi de vrais jumeaux développent des maladies différentes
L’épigénétique permet ainsi d’aider à expliquer certains mystères que la génétique ne permettait pas de comprendre. Par exemple pourquoi de vrais jumeaux, vivant dans un même environnement et ayant hérité des mêmes gènes, peuvent développer au cours de leur vie des maladies très différentes. Elle s’invite ainsi dans le fameux débat sur les rôles respectifs de l’inné et de l’acquis, où elle brouille quelque peu la question en montrant que le second – peut – aussi être hérité.
En révélant qu’il existe un monde au-delà de la génétique, elle porte aussi un coup à la théorie de «l’ADN tout-puissant». Pour autant, on ne saurait surestimer son rôle. «L’épigénétique peut embellir une deux-chevaux, mais elle ne la transformera jamais en Rolls-Royce, dit en riant Winship Herr. Elle ne changera pas non plus une souris en un être humain.»
Quoi qu’il en soit, cette nouvelle discipline «est en pleine ébullition», constate Ivan Stamenkovic. Un avis partagé par Winship Herr qui constate que dans les projets présentés par les étudiants de la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL, «le mot-clé «régulation de l’expression des gènes» est le plus coché». Nul n’en doute, l’épigénétique est promise à un brillant avenir.
Elisabeth Gordon
Tout ce que l’on ingère a une influence dans notre corps : nourriture, médicaments, oxygène, pollution…. L’hérédité ? pas sure ! Le mode de vie certainement.
ATTENTION LES FILLES LES PILLULES CONTRACEPTIVES SONT DANGEREUSES POUR LA SANTE, LES ALCOOLS, LES CIGARETTES, LES REPAS PRECUISINES ETC… ET LE STRESS.
Bonjour,
Pour tenir compte de votre remarque, nous avons légèrement foncé le texte.
Avec nos meilleures salutations
Vos textes en gris (clair !) sur fond blanc sont illisibles pour tous ceux dont les yeux ne sont pas jeunes et en excellent état.