Le sociologue Jean-François Bert propose une nouvelle édition commentée de la célèbre conférence «Les techniques du corps» de Marcel Mauss. L’occasion de repenser des gestes apparemment banals.
En 1934, l’anthropologue Marcel Mauss (1872-1950) présentait devant la Société française de psychologie une communication intitulée «Les techniques du corps». Longtemps considérée comme secondaire, cette conférence est devenue, dans les années 70, une référence indispensable pour tous ceux qui s’intéressaient à l’histoire sociale du corps. Sociologue et historien des sciences sociales à l’Université de Lausanne, Jean-François Bert nous en propose aujourd’hui une nouvelle édition commentée. Parallèlement, dans un second temps, il retrace l’histoire de la réception et de la diffusion de cette contribution à travers un choix de textes publiés à partir des années 1950 et signés André Leroi-Gourhan, Georges Condominas ou Georges Vigarello.
La conférence de Mauss, rappelle Jean-François Bert, commence par une sorte d’«eurêka», la découverte que la façon de marcher des femmes américaines avait contaminé celle des jeunes filles françaises par le biais du cinéma. À partir de ce mode de transmission particulier – en l’occurrence une imitation délibérée – il va élaborer une nouvelle grille d’analyse des pratiques corporelles valables tant pour les sociétés dites traditionnelles que pour les sociétés modernes.
Insistant sur l’importance de passer du concret à l’abstrait, l’anthropologue se penche alors sur la natation. Il s’intéresse au remplacement de la «nage à brasse et à tête hors de l’eau» par différentes sortes de crawl et ajoute: «De plus, on a perdu l’usage d’avaler de l’eau et de la cracher. Car les nageurs se considéraient, de mon temps, comme des espèces de bateaux à vapeur. C’était stupide, mais enfin je fais encore ce geste: je ne peux pas me débarrasser de ma technique.» Mauss termine sa communication avec l’évocation du yoga, de la réflexothérapie et de la «technique des souffles». Et avec cette affirmation singulière qui témoigne de son intérêt pour l’histoire des religions: «Je pense qu’il y a nécessairement des moyens bio-logiques d’entrer en «communication avec le Dieu».»
Jean-François Bert, pour sa part, nous rappelle que Mauss fut un «ethnologue de cabinet» qui n’a fait aucune véritable recherche sur le terrain. Il a toutefois multiplié les séjours à l’étranger, en Russie comme au Maroc, à Oslo comme à Chicago. Et il a servi d’interprète pour des régiments anglais et australiens durant la Première Guerre mondiale. Cette expérience lui a notamment permis de constater qu’une différence faussement banale empêchait les Anglais et les Français de se servir des mêmes bêches: la présence, ou non, d’une poignée.