Barack Obama est devenu président des Etats-Unis. Et Rafael Nadal a délogé le droitier Roger Federer de sa place de No 1 mondial en tennis. Après avoir été considérés durant des siècles comme des personnages démoniaques, les gauchers battent désormais le haut du pavé. Au-delà des superstitions, ont-ils vraiment un avantage sur les autres? Les réponses d’un spécialiste de l’UNIL.
«Si Nadal jouait de la main droite, Federer aurait remporté tous ses matchs contre lui.» Cette analyse, c’est Andre Agassi qui la fait. Le tennisman américain a arpenté assez longtemps les courts pour savoir de quoi il parle. Droitier lui-même, il ne peut que compatir au sort du Bâlois: sorti de son dernier Wimbledon, en 2006, par le jeune… Rafael Nadal, Agassi a eu la chance d’avoir ce droitier de Pete Sampras pour principal rival durant toute sa carrière.
Reste une question fondamentale: Agassi fait-il une fixation sur Nadal à cause de sa dernière défaite, ou a-t-il raison d’envier cette qualité du champion espagnol? Etre gaucher, est-ce vraiment un avantage compétitif? «Oui, c’est vraiment un atout», confirme François Gaillard, professeur honoraire de l’Université de Lausanne, neuropsychologue spécialiste notamment de la latéralité, et donc des gauchers… et des droitiers.
Au tennis, les gauchers gagnent plus souvent
Premier indice de nature à confirmer l’hypothèse d’Agassi: en tennis, du moins dans le haut du classement, les gauchers sont surreprésentés – et ils l’ont toujours été. Alors que dans la population européenne, on compte un peu moins de 10% de gauchers, au classement de l’ATP (Association of Tennis Professionals), on en trouve souvent un bon tiers. Dans le top 10 du moment, il y en a deux: Rafael Nadal et Fernando Verdasco.
Et les gauchers ont aussi brillé ces dernières années, avec John McEnroe, Jimmy Connors, Guy Forget, Goran Ivanisevic, Petr Korda, Henri Leconte, Ivan Lendl ou Guillermo Vilas… Les dames ne sont pas en reste avec Monica Seles, l’indétrônable Martina Navratilova ou la Suissesse Patty Schnyder, qui font partie de la coterie.
Un avantage psychologique
Les gauchers percent en grand nombre au plus haut niveau – ils sont donc, effectivement, statistiquement, meilleurs. Reste à comprendre pourquoi. «Le premier élément, le plus simple, est psychologique: les droitiers sont surpris, déstabilisés par le jeu des gauchers, qui réussissent très bien à attraper des coups difficiles pour les autres joueurs, mais «faciles» pour eux», analyse François Gaillard. Roger Federer est ainsi connu pour son revers slicé, délicat à renvoyer pour ses adversaires quand il arrive sur leur propre revers.
Pas de chance, l’Espagnol le renvoie par un massif coup droit, ce que les droitiers n’ont que rarement l’occasion de faire. A contrario, le coup droit croisé de Nadal, particulièrement violent, arrive sur le revers de Federer – et l’on n’est jamais assez puissant en revers pour rejouer un coup dangereux dans ce contexte. Bref, tout cela est si déconcertant que le joueur suisse va jusqu’à s’entraîner avec des sparring partners gauchers, avant ses matchs contre «Rafa».
«Oui, c’est important de voir l’effet de la balle du gaucher. Quand je joue contre ce genre de joueurs, il faut de nouveau changer la tactique et décider comment les points se déroulent. C’est pourquoi on essaie au moins de s’entraîner au service des gauchers», expliquait le champion suisse dans une interview online (mai 2008).
Des atouts neuropsychologiques
Outre l’effet de surprise, les gauchers ont dans leur besace deux autres atouts, neuropsychologiques cette fois. Pour les comprendre, petite explication très schématique, et partielle, sur le système nerveux central de l’homme: le cerveau est divisé en deux hémisphères, qui ont des fonctions et des spécialités différentes.
L’hémisphère gauche est le siège de la réflexion, de l’analyse, du langage, du raisonnement construit. Il dirige par ailleurs la moitié droite du corps humain (mains, bras, jambes, etc…). L’hémisphère droit est plutôt le centre des aptitudes et des relations spatiales (la rotation mentale, par exemple, ou la capacité à créer une carte mentale d’un lieu visité), des visions d’ensemble, de la reconnaissance des visages, de l’intuition, de l’abstraction. Il dirige le côté gauche du corps.
Cette répartition physiologique a pour première conséquence que les gauchers sont plus performants pour certaines aptitudes gérées par le cerveau droit: «L’attention spatiale notamment est meilleure chez eux, et ils maîtrisent mieux la position de leur corps dans l’espace, tout ce qui est péri-corporel», détaille François Gaillard.
Un avantage de quelques centièmes de seconde
Ces caractéristiques les avantagent – légèrement, mais cela suffit parfois à faire la différence au plus haut niveau – dans les disciplines où l’évaluation des distances et la construction de formes à trois dimensions sont importantes, comme le tennis.
Toujours à cause de l’asymétrie cérébrale, les gauchers ont un second bénéfice. Ils profitent de la conjonction dans le même hémisphère de deux procédures: l’analyse de l’information visuelle et la commande de la réaction (lever le bras pour frapper la balle) se font chez eux à droite. Alors que chez les droitiers, l’analyse se fait également dans l’hémisphère droit, mais avant d’être mises en action, ses conclusions doivent passer dans l’hémisphère gauche, qui commande la main droite.
Cette bascule d’un hémisphère à l’autre fait perdre quelques centièmes de seconde (entre 1 et 3 selon certaines études). Pas de quoi transformer n’importe quel gaucher en champion, mais, à talent égal, c’est un petit atout qui a son importance. Notamment dans des sports comme le tennis, où la maîtrise de l’espace et des distances est essentielle.
Ils ont l’avantage au tennis de table et en escrime
Cet avantage est encore plus net en tennis de table, peut-être parce que la rapidité de réaction y est encore plus rentable. Dans le classement de l’ITTF (International Table Tennis Federation), il y a cinq gauchers parmi les quinze meilleurs joueurs du monde – soit un tiers, trois fois plus que dans la population générale
Des sports plus inattendus sont également touchés par cette suprématie. C’est le cas de l’escrime. La maîtrise spatiale y est importante, tout comme la rapidité de réaction. Une étude a analysé les statistiques de huit championnats du monde et d’un tournoi olympique d’escrime auxquels ont participé quelque 4000 athlètes. Il est apparu que les demifinalistes étaient à 46,7% gauchers. Une proportion qui atteignait 63,3% pour les vainqueurs.
Mais il existe dans ce sport trois disciplines: le fleuret, l’épée et le sabre, chaque engin obéissant à des règles de combat distinctes et impliquant une façon de tirer particulière. La surreprésentation des gauchers, telle qu’elle apparaît ci-dessus, n’est en fait valable que pour les deux premières.
Pas de bonus au sabre, en natation ou en course à pied
Au sabre, seule arme à la fois d’estoc (coups portés avec la pointe) et de taille (coups portés avec le tranchant de la lame), ils ne sont pas plus nombreux qu’ailleurs. Peut-être parce que ses caractéristiques impliquent une gestuelle très différente, avec des trajectoires moins balistiques.
En natation ou en course à pied, être gaucher ou droitier n’a pas d’incidence. On s’attendrait à ce qu’il en aille ainsi en cyclisme. Eh bien non. Du moins pour le… sprint sur piste. Cette discipline se déroule en intérieur, dans une sorte de stade dont l’anneau (la piste) mesure 250 m. Outre des qualités évidentes de sprinter, ce sport demande des talents de stratège, notamment pour se placer au bon endroit au moment des accélérations et pour ne pas se laisser enfermer dans le peloton. Là aussi, les gauchers ont quelque avantage, toujours pour les mêmes raisons psychologiques et neuropsychologiques.
Cinq des sept derniers présidents américains étaient gaucher
On l’a vu, c’est l’asymétrie des deux hémisphères, leurs caractéristiques différentes, qui permet aux gauchers d’être un peu meilleurs que les droitiers dans certains sports, comme le tennis ou l’escrime, où la rapidité d’action et la maîtrise spatiale sont des éléments clés. Y aurait-il d’autres domaines que l’activité physique dans lesquels ils excelleraient, comme la politique? On peut le penser en étudiant les particularités des présidents américains. Si l’on compte Ronald Reagan, gaucher contrarié durant son enfance, cinq des sept derniers présidents des Etats-Unis d’Amérique étaient gauchers (Barack Obama, Bill Clinton, George Bush père, Reagan et Gerald Ford), contre seulement deux droitiers (Jimmy Carter et George Bush junior).
Cette particularité expliquerait-elle les succès électoraux d’un Barack Obama, qui, comme John McCain, son concurrent direct lors de la dernière élection présidentielle, est un gaucher? «A ma connaissance, cela n’a pas été étudié directement, répond François Gaillard. On parle plus souvent d’une propension à devenir artiste que politicien, à cause de l’importance de l’intuition, de la vision globale et d’une approche du monde moins rationnelle chez les gauchers que chez les droitiers. La seule chose qui me semble significative est la gestuelle – la façon de bouger les mains, de sourire, de tourner la tête ou de la pencher –, qui diffère selon la façon dont on est latéralisé.»
Au Moyen Age, ils étaient diabolisé
De là à envisager un avantage charismatique, il y a un pas qu’on ne saurait franchir. Reste qu’en 1992 déjà, les trois candidats à briguer la présidence des Etats-Unis (Bill Clinton, George Bush père et Ross Perrot) signaient tous leurs documents de la main gauche, ce qui n’a pas manqué de réjouir les amicales des gauchers, qui ont d’ailleurs soutenu… Obama en 2008.
A défaut d’autre chose, cette surreprésentation inexpliquée (encore qu’il faille nuancer: aux USA, la proportion de gauchers est plus élevée, de l’ordre de 30% environ), permet au moins de revaloriser l’image des personnes concernées: «Au Moyen Age, rappelle le neuropsychologue de l’UNIL, on les considérait comme diaboliques: la droite était le côté du propre, du divin, du juste, du bien, alors que la gauche, «sinistre», c’était la part sombre, la part de l’impur, du diable en un mot.»
Nadal n’est pas né gaucher, il l’est devenu en travaillant!
Cette perception médiévale des gauchers pourrait retrouver une certaine actualité en Suisse, si ce diablotin de Nadal continue de battre Federer. Mais ce serait bien injuste, car, dans la vie quotidienne, Rafa est droitier!
C’est ce que révèle un clip réalisé par Nike, l’un des sponsors du joueur espagnol. Son oncle et entraîneur, Toni Nadal, explique que l’enfant Rafael était droitier, mais qu’il jouait au tennis à deux mains, par manque de force. Il le faisait pour les revers, comme cela se voit régulièrement, mais aussi assez systématiquement pour les coups droits.
Jugeant que jouer à une main était bien plus efficace, Toni a choisi la gauche. «Ça m’a fait une sensation très bizarre», admet Rafael Nadal, au moment de raconter comment il a contrarié sa nature. «Le premier tournoi joué de la main gauche s’est révélé assez compliqué», admet son oncle. Qui ne dit pas s’il a choisi cette main parce qu’il savait que cela rendrait son neveu plus efficace
Toni Nadal souligne en revanche que, «pour réussir, le travail est le facteur le plus important». Du travail, le joueur espagnol a dû en avoir, si l’on en juge par sa maladresse, quand il utilise sa précieuse main gauche pour lancer des fléchettes, se brosser les dents ou même signer un autographe*. Malheureusement pour Roger Federer, Rafa joue au tennis de la main gauche. Et, pour l’instant, cela fait une sacrée différence.
Sonia Arna
* On peut voir ces images désopilantes sur le site web du journal 20 Minutos
Slt, je vous écris de l’Afrique de la Côte d’Ivoire. J’aimerais vous dire qu’ici les gauchers sont stigmatisés, désignés comme des diables des fois battus ou chassés de la famille. J’aimerais être en contact avec des ong qui défendent le droit des gauchers, pour y implanter aussi dans mon pays. Moi, j’ai été chassé de la maison et pour le travail quand mon employeur sait que je suis gaucher ils interrompent mon contrat.