Stendhal, Flaubert et Jean Genet ont donné des lettres de noblesse à des faits divers de leur époque en les transformant en chefs-d’oeuvre.
Certains auteurs affirment, en plaisantant à demi, qu’ils s’inspirent des faits divers parce que la vie a bien plus d’imagination qu’eux. Besoin d’une intrigue? Le premier tabloïd venu en fournira trois. Plus sérieusement, les écrivains sont fascinés, comme tous les lecteurs, par le secret qui entoure toujours ces histoires. Pourquoi le meurtrier a-t-il tiré sur sa femme, ses enfants, ses parents? Comme l’explique Franck Evrard, le fait divers, «ouvert à toutes les significations», invite l’auteur à remplir «ses interstices, ses silences et ses blancs». Une invitation à laquelle de nombreux écrivains ont répondu. Voici quelques exemples:
Stendhal, «Le Rouge et le Noir»
On se souvient de Julien Sorel, jeune homme pauvre mais aux qualités intellectuelles certaines, que son curé remarque. Il l’envoie au séminaire pour le former. Julien en revient instruit, ambitieux, et plus conscient que jamais du handicap que constitue sa naissance pour l’ascension sociale dont il rêve. Il entre comme précepteur chez les de Rênal, séduit la jeune mère de famille, est dénoncé, se fait remercier, trouve du travail comme secrétaire particulier d’un marquis à Paris, séduit sa fille, la met enceinte. Il est sur le point de réussir en l’épousant quand sa première maîtresse dénonce l’opportunisme de Julien au marquis.
Afin de se venger, le jeune homme prépare méticuleusement l’assassinat de Mme de Rênal, coupable de sa chute. En pleine église, il lui tire dessus à bout portant. Il sera condamné à mort.
Un roman digne d’un fait divers? En effet: Stendhal n’a rien inventé. La trame de son roman reprend exactement les faits mis en évidence dans le procès d’Antoine Berthet, relaté par «La Gazette des tribunaux» en 1827. Absolument tout y est déjà, sauf la préparation du meurtre, pour laquelle l’auteur s’est inspiré de… l’affaire Lafargue, un second fait divers de son temps.
Flaubert, «Madame Bovary»
Flaubert non plus n’a rien inventé. Il a d’ailleurs toujours précisé que l’important était non pas ce qu’il raconte, mais comment il le raconte : «Toute l’invention consiste à faire quelque chose de rien.» Rien, en l’occurrence, c’est l’affaire Delamare, du nom d’un élève en médecine de son père.
L’étudiant a épousé en secondes noces une jeune fille élevée dans un pensionnat de Rouen. Installée avec son mari et leur fille à la campagne, elle se laisse séduire par un Casanova local, entretient un clerc, ruine son mari et s’empoisonne. Ne survivant pas à la perte de son aimée, Eugène Delamare s’empoisonne à son tour.
L’intention de Flaubert était de fustiger la bêtise de la bourgeoisie plus que d’expliquer les raisons de ce drame conjugal: le fait divers n’est pour lui qu’un prétexte. Qui manifestement a bien rempli son rôle.
Genet, «Les Bonnes»
En 1933, Léa et Christine Papin, servantes, massacrent littéralement leur patronne et sa fille. Lacan, Simone de Beauvoir et Sartre ont notamment commenté ce fait divers, qui a frappé les esprits, surtout à cause du contraste total entre ce qu’étaient les deux sœurs (obéissantes, élevées au couvent, bref des saintes) et ce qu’elles ont fait (préparer leurs deux victimes exactement comme les manuels de cuisine de l’époque conseillaient de préparer le lapin: yeux arrachés, membres attachés, etc.).
Chabrol en a tiré un film, mais avant lui, Jean Genet s’est inspiré du crime pour sa pièce «Les Bonnes».
Sonia Arnal