Dans la lignée des Carnets de Paul Valéry, La petite philosophie buissonnière d’Arnaud Tripet convie à une promenade de réflexions intimes entre littérature, philosophie et spiritualité.
Des professeurs de Lettres, on a toujours une image un peu impressionnante. Erudit sur un piédestal imposant une distance respectueuse. Alors quand l’un d’entre eux publie un recueil de pensées dans un style plus personnel, cela ne peut qu’attirer l’attention. Enseignant de Littérature française à l’Université de Lausanne jusqu’en 1998 et désormais à la retraite, Arnaud Tripet dit s’être inspiré des Carnets de Paul Valéry pour écrire sa Petite philosophie buissonnière. Après plusieurs ouvrages critiques parmi lesquels Ecrivez-moi de Rome. Le mythe romain au fil du temps (Prix Mottart de l’Académie française) et des recueils de nouvelles, l’auteur propose cette fois une sorte de journal intime de ses réflexions sur des sujets variés où il souhaite «conjuguer narcissisme (dans un sens pas trop péjoratif) et sagesse (dans un sens pas trop prétentieux)».
Nul besoin d’être un connaisseur de Valéry ni même de philosophie pour se plonger dans l’ouvrage d’Arnaud Tripet. Quand nous le rencontrons d’ailleurs dans un café genevois où il a ses habitudes, c’est d’un match de foot qu’il commence par parler. Puis, sautant du coq à l’âne, il évoque la notion de sublime, le conflit israélo-palestinien, sa thèse de doctorat consacrée à Pétrarque et la connaissance de soi («On m’a reproché d’y avoir davantage parlé de moi»), ses années passées à enseigner à Chicago («Je n’ai pas aimé la vie américaine»), une histoire d’amour ou encore sa mère! Des thèmes pour la plupart évoqués dans sa Petite philosophie buissonnière, un peu à la manière «A sauts et à gambades» de Montaigne. Connaissances diverses qui ne font que refléter son intérêt pour les relations humaines en général. Même lorsque Arnaud Tripet mentionne des professeurs qu’il a côtoyés, c’est toujours par le prisme des liens noués ou non avec eux, semblant attacher une égale importance aussi bien à la somme de leurs savoirs qu’à leur personnalité.
Et c’est probablement ce qui rend sa Petite philosophie buissonnière intéressante. L’auteur se réfère aux figures de la littérature, de la musique, de la philosophie qui l’ont marqué et laisse aller ses pensées certes «zigzagantes à la manière de la littérature du mélange comme on aimait la pratiquer à la Renaissance». De l’érudition, indéniable, mais jamais dogmatique. Car Arnaud Tripet y met de sa personne, des instants de sa vie. Même s’ils ne sont évoqués que de manière fugace, ils suffisent à rendre l’ensemble plus abordable et plus touchant qu’un simple recueil de pensées. En bref, il y met du sentiment. Ainsi: «Dans la demi-heure qui termine Salomé, Strauss n’a rien à envier au plus grand Wagner (Tristan, Parsifal). Quand elle dit au décapité: “Tu ne m’as pas regardée, si tu m’avais regardée, tu m’aurais aimée”, je pense à la phrase quasi identique que je t’ai dite, te parlant de moi pour la première fois dans le hall de l’hôtel de Varsovie.»
A d’autres moments, l’auteur partage même d’anciennes tentatives poétiques auxquelles il s’était adonné pendant ses années à Chicago. Ou, sur une note plus légère, une série d’aphorismes et de citations plaisantes. Le parcours inclut également plusieurs pages consacrées à Rousseau, plutôt d’un point de vue sentimental.
Les lecteurs avertis trouveront sans doute dans cette Petite philosophie buissonnière «sérieuse ma non troppo» matière à débat, et les moins avertis y piocheront à leur gré des considérations pouvant servir de point de départ à leur propre cheminement personnel ou intellectuel.