Vive l’été, ses pique-niques et barbecues en plein air! Si elles pouvaient parler, certaines bactéries entonneraient, elles aussi, ce refrain. Campylobacter, salmonelles, shigelles ou Escherichia coli profitent de la chaleur pour se multiplier dans nos sandwiches et nos grillades mal cuites, provoquant des gastro-entérites. Les explications et les conseils de deux chercheurs de l’UNIL pour s’en prémunir.
Invariablement, chaque été apporte son lot de gastro-entérites d’origine alimentaire. Les courbes saisonnières des infections dues au campylobacter et aux salmonelles, dressées par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), en témoignent: elles se caractérisent par des pics importants en juillet et en août. On pourrait en dire autant des troubles intestinaux provoqués par les shigelles et les Escherichia coli.
Aucun doute n’est possible. Ces bactéries et quelques autres profitent de la saison chaude pour s’insinuer en nombre dans notre système digestif, provoquant des diarrhées qui peuvent s’accompagner d’autres symptômes. Des troubles toujours déplaisants et qui, parfois, peuvent se révéler plus graves.
Chaîne du froid rompue
Mais pourquoi l’été? Question de climat, tout simplement. Lorsque la température atteint et dépasse 30 °C, ces micro-organismes s’épanouissent et prolifèrent rapidement. Pour eux, «c’est la situation idéale, constate Thierry Calandra, chef du Service des maladies infectieuses du CHUV et professeur à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. La température ambiante est alors proche de celle (37 °C) que l’on utilise dans nos laboratoires pour faire pousser ces germes.»
Nos habitudes estivales font le reste pour favoriser les contaminations. Ces micro-organismes sont véhiculés par les animaux domestiques – volailles et bovins notamment – et par l’eau. Ils se retrouvent ensuite dans la viande et les oeufs crus ou insuffisamment cuits, ainsi que dans le lait non pasteurisé. Autant dire que si l’on rompt la chaîne du froid – ce qui est fréquent en été lorsque les sandwichs restent dans les sacs avant d’être consommés au terme d’une longue balade – ils ont tout le loisir de se multiplier.
Steak peu cuit, eau non bouillie…
Les déjeuners sur l’herbe ne sont toutefois pas les seuls en cause. Les barbecues sont, eux aussi, propices à l’apparition des infections alimentaires. Le feu qui tarde à prendre, les invités qui s’impatientent et crient leur faim: il n’en faut pas plus pour que l’assemblée se précipite sur des steaks ou des morceaux de poulet peu cuits et qui, de ce fait, peuvent être vecteurs d’infections.
Si, de surcroît, les convives veulent profiter de l’eau d’une rivière pour préparer leurs boissons, ils risquent gros. En août 2003, rapporte l’OFSP, neufs jeunes recrues ont été victimes d’une entérite à campylobacter après avoir bu du thé infusé dans de l’eau de ruisseau non bouillie.
Sans compter que la saison chaude est par excellence celle de la convivialité. Lors des fêtes et manifestations, de nombreuses personnes se trouvent réunies autour d’une même table. En plein air de surcroît, où il n’est pas toujours facile de se laver les mains. Promiscuité, manque d’hygiène: les facteurs sont réunis pour favoriser la transmission des infections de toutes sortes, d’origine alimentaire notamment.
Tout est affaire de quantité
En fait, ces bactéries, en soi, ne sont pas toutes pathogènes. «On mange des salmonelles tous les jours, souligne Jacques Bille, directeur de l’Institut de microbiologie médicale rattaché au CHUV et professeur de microbiologie à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL. Si l’on en consomme peu et que nos défenses immunitaires sont intactes, on ne risque rien.» Les problèmes viennent de l’importance de l’inoculum, c’est-à-dire de la quantité de micro-organismes ingérée. Pour être infecté par des salmonelles, il faut en avaler plusieurs millions; pour ce qui est des shigelles, quelques dizaines suffisent.
Lorsque les germes arrivent en nombre dans l’estomac, les sucs gastriques sont débordés et ne peuvent plus détruire les intrus. «Les salmonelles passent alors dans l’intestin grêle. Là, elles peuvent suivre deux chemins différents, selon leur type. Celles qui causent des gastro-entérites restent localisées dans la muqueuse intestinale. En revanche, les «S. typhi», qui sont des agents de la typhoïde, pénètrent dans les cellules intestinales; elles résistent au système immunitaire et passent dans la circulation sanguine, puis disséminent dans les différents organes (foie, rate, etc.)», précise Thierry Calandra. Fort heureusement, les cas de typhoïdes restent rares en Suisse; la quasitotalité est acquise dans les pays en développement.
Bactérie du hamburger
«Le tableau clinique est assez peu spécifique», souligne pour sa part le microbiologiste du CHUV. Les salmonelles et les shigelles provoquent des diarrhées – dans lesquelles peuvent apparaître du sang ou des glaires – et parfois de la fièvre. Les campylobacter, qui sont responsables, en Suisse, du plus grand nombre d’infections alimentaires, causent d’ailleurs les mêmes symptômes, mais ceux-ci sont «plus marqués».
Quant à certains sérotypes d’Escherichia coli, ils induisent la fameuse turista du voyageur. Mais d’autres, comme les colibacilles entérohémorragiques, sécrètent des toxines qui peuvent avoir des conséquences beaucoup plus graves. De tels cas sont très rares en Suisse. En revanche, «ces bactéries du hamburger» ont provoqué, aux Etats-Unis, plusieurs poussées épidémiques chez des consommateurs de viande hachée mal cuite, alors qu’au Japon, c’est après avoir avalé des radis contaminés que de nombreuses personnes sont tombées malades.
Listeria: redoutables pathogènes
Un autre microorganisme mérite d’être mentionné: la Listéria. Certes, celle-ci ne peut pas être considérée comme une «bactérie de l’été», dans la mesure où elle provoque des infections en toutes saisons. Les cas de listérioses restent d’ailleurs «peu fréquents en Suisse», précise le spécialiste Thierry Calandra. C’est heureux car, lorsqu’ils se manifestent, ces germes se révèlent être de «redoutables pathogènes alimentaires», comme le dit son collègue microbiologiste. On se souvient des cas de listérioses qui avaient été provoqués, il y a une quinzaine d’années, par la consommation de vacherins.
Les fromages à pâtes molles figurent en effet parmi les principaux vecteurs de ces bactéries, mais on les trouve aussi dans les produits carnés, les salades et les poissons – notamment fumés. Ubiquitaires, les Listeria résistent de surcroît aux températures fraîches des réfrigérateurs, aux fortes concentrations de sel et même aux milieux acides. Elles provoquent des gastro-entérites assez sérieuses, qui peuvent s’accompagner de septicémies et de méningites chez les personnes les plus fragiles.
Intoxications alimentaires
Comme si cela ne suffisait pas, il faut encore ajouter au tableau quelques bactéries responsables d’intoxications alimentaires, autrement dit de gastro-entérites affectant le tractus digestif supérieur et provoquant nausées et vomissements.
Tel est le cas notamment du staphylocoque doré et du Bacillus cereus, qui – tout comme la Listeria – peuvent survenir tout au long de l’année et que l’on retrouve dans des aliments comme le riz frit et les desserts trop longtemps conservés hors du réfrigérateur.
Tout rentre dans l’ordre
Les intoxications alimentaires durent de 24 à 48 heures. Quant aux gastroentérites provoquées par les bactéries de l’été, elles durent un peu plus longtemps mais, en général, «tout rentre dans l’ordre au bout de quelques jours», comme le souligne Thierry Calandra.
Les personnes qui ont le plus grand risque d’être infectées sont, comme c’est souvent le cas, les plus fragiles – gens âgés, jeunes enfants et tous ceux qui sont immunodéprimés. Mais aussi, précise le médecin, «les personnes ayant une acidité gastrique diminuée», car il est alors plus facile aux bactéries de résister à l’attaque des sucs gastriques.
La cuisson, c’est l’arme fatale
Pour ces populations à risque, mais aussi pour tout un chacun, un certain nombre de précautions élémentaires s’impose pour prévenir les infections.
Nos deux spécialistes recommandent d’abord de «maintenir la nourriture au réfrigérateur le plus longtemps possible et d’éviter de rompre la chaîne du froid», en transportant par exemple le piquenique dans une glacière. Mais aussi de «respecter les dates de péremption indiquées sur les aliments». Et surtout, de bien cuire les viandes, oeufs et autres produits susceptibles d’être contaminés: «La cuisson est l’arme fatale contre les bactéries, car celles-ci ne résistent pas aux températures dépassant 60 °C», précise Jacques Bille.
Contamination croisée
Il faut aussi éviter une autre source importante d’infections, la contamination croisée. Il suffit en effet de déballer et de couper un poulet cru contaminé, puis d’utiliser le même couteau pour préparer la laitue, pour retrouver des bactéries sur les feuilles de salade. «Il est donc très important de laver les couteaux et autres ustensiles de cuisine avant de les réemployer», souligne le microbiologiste.
Si, en outre, on veille à l’hygiène et que l’on se lave régulièrement les mains, on pourra profiter pleinement des joies des pique-niques, barbecues et autres plaisirs de l’été, sans risquer la gastroentérite.
Elisabeth Gordon