Pionniers de l’Internet, les adolescents en découvrent aussi les nouveaux pièges

Pionniers de l’Internet, les adolescents en découvrent aussi les nouveaux pièges

Les parents ont entendu parler de certains dangers du Web (dépendance, pédophiles), mais ils sont loin d’avoir fait le tour du problème. Tout comme leurs enfants, d’ailleurs. Quelles sont ces menaces en constante évolution, et comment s’en protéger? Deux experts de l’UNIL répondent.

Si l’on écoute les parents, la question est réglée. «Le risque de dépendance à Internet ou aux jeux vidéo? C’est bon, on en a assez entendu parler!» «La menace que font planer les cyberpédophiles sur nos enfants? On est aussi au courant! » Affaire classée? Nous pourrions donc laisser sans souci 91% des jeunes Suisses de 14-19 ans (chiffre de l’Office fédéral de la statistique) se connecter tous les jours au Web? «Non», répondent les experts de l’UNIL qui pointent du doigt la rapidité de l’évolution des habitudes sur la Toile. Une vitesse telle que les parents ne sont plus les seuls à se sentir largués.

Ils ont 20 ans, et ils sont dépassés par leur petite soeur

«J’ai discuté avec des étudiants âgés d’une vingtaine d’années. Ils m’ont avoué qu’ils avaient déjà de la peine à comprendre quels types de réseaux sociaux fréquente leur petit frère ou leur petite soeur, ainsi que la manière dont ils échangent l’information», raconte Olivier Glassey, sociologue, responsable de l’unité «Etudes sociales des sciences et des techniques » au sein de l’Observatoire Science, politique et société, de la Faculté des sciences sociales et politiques de l’UNIL.

En effet, les différentes générations n’utilisent pas les outils de communication de la même manière. Pendant qu’un parent téléphone avec son portable, l’ado, lui, envoie des SMS tout en prenant des photos qu’il charge instantanément sur sa page perso. «Les adolescents d’aujourd’hui ont un avantage sur leurs aînés: ils sont nés avec les nouvelles technologies. Par ailleurs, ils sont sensibles à la nouveauté. Ce qui en fait les pionniers de l’expérimentation. Ce sont eux qui ont le temps et l’énergie pour explorer toutes les possibilités qu’offrent ces technologies», souligne Olivier Glassey.

140 signes pour dire qu’on existe

Et ce monde virtuel ne cesse de changer. Les parents peinent encore à différencier un «chat» d’un «blog», sans parler de s’inscrire sur un site communautaire comme Facebook, alors que leurs enfants se donnent déjà rendezvous sur Twitter, au top de la tendance au moment où nous écrivons ces lignes.

Actuellement, «c’est le micro-blogging qui se développe, soit des messages de plus en plus courts, commente l’expert de l’UNIL. Il s’agit d’être réactif. Ces messages ne sont pas là pour expliquer les choses, mais pour donner des indications. Dire où on est, ce qu’on fait, ce qu’on voit. 140 signes pour dire qu’on existe.» Le tout sur un ton souvent très léger. Une légèreté de ton qui constitue, justement, l’un des principaux dangers actuels liés à la communication sur le Web. Explications.

«Sur Internet, j’insulte qui je veux»

La presse de ces derniers mois a relaté plusieurs affaires de ce genre. A Zurich, des élèves humiliaient sur le Net plusieurs profs d’un gymnase. A La Tourde- Peilz (VD) et à Favagny, dans le canton de Fribourg, des étudiants créaient des groupes sur le site communautaire Facebook. Au menu: propos diffamatoires et insultants à l’égard de plusieurs membres du corps enseignant. Tout d’abord, quelques jeunes étaient inscrits à ce groupe. Puis rapidement une centaine. Avant d’être découverts, sermonnés puis interdits d’accès à Facebook depuis les ordinateurs de l’école.

Ce comportement, les experts l’appellent le cyberharcèlement ou cyberintimidation. Il est bien plus répandu qu’on ne le pense. Selon une étude menée par Microsoft, 52 % des 14-18 ans auraient été victimes de cyberintimidation. Une frappe d’autant plus violente qu’elle survient dans un âge où le jeune est en pleine construction de son identité sociale.

Ces attaques virtuelles sont menées de manière consciente mais les cyberharceleurs sont souvent inconscients quant aux conséquences de leurs actes. Pour leurs victimes comme pour eux-mêmes. Protégés derrière leur écran, bien confinés, seuls dans leur chambre, les auteurs de ces insultes ne se sont pas rendu compte que leurs propos pouvaient être lus par un proche du maître, voire même par l’enseignant lui-même. «Ils pensent que le cyberespace est un endroit où ils sont entre eux», explique Olivier Glassey.

Comme ils sont habitués à se retrouver sur des réseaux que les adultes ne fréquentent pas, ils continuent les conversations commencées dans la cour de l’école. Sur le même ton et sur les mêmes sujets. Que ce soit l’exigence d’un certain enseignant, ou le look ringard d’un autre. Sans réaliser, alors que personne n’est là pour les écouter dans la cour d’école, que ce n’est plus le cas sur Internet. «Enormément de faits divers se sont construits par cette mauvaise compréhension de ce qui appartient à la sphère privée et de ce qui appartient à l’espace public», poursuit le spécialiste de l’UNIL. Qui plaide pour que l’on fasse comprendre aux utilisateurs d’Internet qu’ils n’y sont pas à l’abri des règles existant dans le monde réel. «On n’a pas plus le droit d’insulter quelqu’un dans la rue que sur la Toile.»

«Sur Internet, je parle comme je veux»

Souvent dirigé contre les adultes, et notamment contre les maîtres, le cyberharcèlement n’épargne pas les adolescents. Un terme a d’ailleurs été trouvé pour parler de cette forme spécifique de cyberharcèlement qui a lieu entre adolescents: le cyberbullying. Pas besoin de passer des heures sur le Net pour voir apparaître sur son écran une kyrielle d’insultes plus ou moins gratinées. Des «connard», «enculé» et autre «salope» que les jeunes s’écrivent, mais qu’ils n’oseraient certainement pas se dire en face.

Ce phénomène est surtout connu dans le monde des blogs. «Tous les ados qui ont un site personnel seront confrontés, un jour ou l’autre, à des personnes qui réagissent à leurs propos en laissant des commentaires bourrés d’insultes», relève Anne-Sophie Peron Verloove, assistante du Master en Droit, criminalité et sécurité des nouvelles technologies, et auteure d’un ouvrage «Internet 10 ans après: que faut-il savoir?»

Confrontés à leurs écrits, les harceleurs se justifient à coup de «je ne le pensais pas» ou «c’était pas pour de vrai». Ils n’ont, on l’imagine, pas pensé à l’impact que de tels propos peuvent avoir sur le psychisme d’une personne.

«Certains jeunes acceptent de tels termes, parce que c’est comme cela que ça se passe sur la Toile. Mais il y en a d’autres qui subissent. Même quelqu’un de très bien dans sa peau finira par être détruit, après avoir lu 10, 15, 20 fois des insultes en commentaires sur son blog», avertit la chercheuse de l’UNIL. A terme, cette personne pourrait même ne plus avoir de plaisir à aller sur le Net. Une conséquence grave, du point de vue d’Olivier Glassey qui participe actuellement à une étude européenne sur le cyberbullying, «car la Toile est peut-être l’un des lieux primordiaux de la sociabilité de demain».

Sans oublier que des insultes laissées sur Internet peuvent déboucher sur des règlements de comptes dans le monde réel. Ça a été le cas il y a quelques années dans un collège de La Chaux-de-Fonds. Sept jeunes se sont mis à tabasser deux garçons qui avaient insulté leur nouvelle camarade de classe. Au final: deux ambulances, des policiers et un blessé.

«Sur Internet, je montre ce que je veux»

Le poids des mots n’est pas le seul problème que l’on rencontre sur le Net. Les photos y choquent tout autant. Et la menace est croissante, liée à l’augmentation notable du nombre d’images, de plus en plus personnelles, qui circulent sur les réseaux. Surtout de la part des filles.

Avant, ces clichés n’étaient montrés que dans un cercle restreint d’amies proches et de confiance. Avec l’arrivée du Web, certaines ont commencé à exposer des photos de leur visage. Puis d’elles en pied. Ensuite en maillot de bain. Les copines ont suivi. Leurs amies n’ont connu aucun problème avec cette nouvelle forme de transparence, alors pourquoi s’interdiraient-elles de le faire?

Quand il s’agit de se la jouer comme leurs stars préférées, les jeunes n’y vont également pas de main morte. Les jours qui ont suivi le langoureux baiser sur la bouche échangé entre Britney Spears et Madonna, certaines filles n’ont pas hésité à reproduire la scène devant la caméra et à envoyer leur «hot» vidéo sur You-Tube.

Là encore, bon nombre de ces avances seraient envoyées sur le ton de la plaisanterie, et ne trahiraient pas une volonté de passage à l’acte. Sauf que la nuance est difficile à saisir sur la Toile. Comment savoir si le «j’ai envie de toi», qui vient commenter une photo en bikini, a été écrit pour rire ou non?

Dans ce cas, le dialogue entre les parents et les enfants est primordial pour éviter toute mauvaise surprise. Mais attention aux termes utilisés. «Dire à un jeune «on ne parle pas à des inconnus», ça va le gonfler, souligne Anne-Sophie Peron Verloove. Il vaut mieux lui expliquer ce qu’il peut arriver, lui demander ce qu’il ferait s’il se retrouvait dans telle ou telle situation. Sans oublier de lui rappeler qu’on n’allume pas sa webcam si on ne connaît pas personnellement son interlocuteur et qu’on n’accepte pas un rendez-vous dans la vraie vie sans prévenir auparavant quelqu’un de son entourage.»

«Sur Internet, je paparazze qui je veux»

Les photos qui font mal sur Internet ne sont pas seulement celles que l’on a choisi, inconsciemment mais librement, d’y exposer. Aujourd’hui, on voit circuler à très grande échelle de nombreux clichés qui ont été pris à l’insu des personnes concernées. Plus besoin de s’appeler Britney Spears pour se faire paparazzer. Il suffit d’être le mouton noir de la classe ou d’être en face d’une personne mal intentionnée qui dispose d’un téléphone mobile avec une caméra.

Une écolière vaudoise de 14 ans a raconté son calvaire dans «Le Matin Dimanche », en février 2009. Un peu ronde, elle a été prise en photo sur la pelouse d’une piscine publique, et elle a découvert que ces images circulaient sur Internet, où ses camarades de classe la raillaient.

Même stoppées, ce genre de moqueries liées à des images volées sont toujours susceptibles de réapparaître un jour. «Il faut avoir en tête qu’une fois qu’une photo est lâchée sur Internet, il est impossible de savoir ce qu’elle va devenir. Même si elle a soi-disant été détruite, quelqu’un a pu en faire une copie-écran», précise Anne-Sophie Peron Verloove.

«C’est un des gros problèmes d’Internet, ajoute Olivier Glassey. L’acte d’humiliation peut se poursuivre dans le temps. Si la photo est montrée dans la cour de récré, peut-être que les camarades en rigoleraient un jour ou deux. Mais, dans un tel cas, les traces restent et l’acte d’humiliation est susceptible de se répéter, rouvrant ainsi la blessure psychologique.»

Pourtant, – et c’est une erreur -, l’impact psychique de telles situations est souvent relativisé. «Le harcèlement psychologique ne laisse pas de trace physique. L’enfant ne va pas rentrer de l’école avec un oeil au beurre noir. Le résultat n’est pas si visible. De plus, une blessure peut mettre du temps à apparaître, commente Olivier Glassey. Et il n’y a pas que les parents qui ont de la peine à voir que leur enfant souffre. L’enfant lui-même cherchera à se cacher le plus longtemps possible sa blessure»

«Sur Internet, je dis ce que je veux sur qui je veux»

Une telle surexposition est récente, et la jeune génération qui s’expose ainsi sur Internet sera la première à en subir pleinement les conséquences. Par exemple, quand un potentiel futur employeur tapera le nom et le prénom d’un candidat sur un moteur de recherche pour obtenir un maximum d’informations. Et qu’il découvrira par exemple des images de beuveries à 3 h du matin. Ou qu’il tombera sur des épisodes de sa vie privée que le postulant aurait préféré garder pour lui, ou en tout cas juste pour ses amis très proches… Sauf que tout le monde est proche sur Internet.

Sans tomber dans la paranoïa, Olivier Glassey conseille quand même aux amateurs d’Internet de bien évaluer si telle photo ou telle info ne risque pas de devenir problématique, des années plus tard, dans des circonstances complètement différentes, avant de les mettre en ligne. En insistant: «Il n’y a pas de droit à l’oubli sur Internet»

Mélanie Blanc
Journaliste à L’Illustré

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