Si la lignée des Grandson s’est éteinte, faute de soutiens locaux, elle a néanmoins survécu dans l’esprit des Vaudois grâce au gisant d’Othon Ier, installé en belle place dans la cathédrale de Lausanne. Explications.
Pour sa contribution à la noble cause des amoureux, Othon III aurait mérité de finir sa vie dans la cathédrale de Lausanne. Il n’en a rien été, et c’est son aïeul, le croisé Othon Ier, qui a obtenu le droit de devenir un gisant sur les hauts de Lausanne où l’on peut encore l’observer.
Comment? Un ouvrage récent, intitulé «Destins de pierre», raconte cette histoire et beaucoup d’autres encore.
A la base simple travail de recensement des monuments funéraires qui peuplent la cathédrale de Lausanne, cet ouvrage est vite devenu plus ambitieux: étudiants en histoire de l’art, sous la direction du professeur d’histoire de l’art monumental régional Gaëtan Cassina, en histoire médiévale, sous la direction de Bernard Andenmatten, mais aussi archéologues, restaurateurs ou géologues attachés au chantier de la cathédrale se sont finalement associés pour un travail particulièrement riche.
Au final, un ouvrage qui contient à la fois des analyses descriptives et des sujets thématiques, indispensable pour le Vaudois qui souhaite revisiter une fois encore sa cathédrale, mais en sachant cette fois qui y repose.
Voici déjà trois exemples choisis:
Othon Ier, ce gisant si particulier
Personnage le plus célèbre d’une famille de nobles vaudois très influents, Othon Ier de Grandson meurt en 1328. Il laisse dans son testament des consignes précises pour son enterrement. On pense qu’il aurait lui-même commandé et proposé un modèle pour son monument funéraire. Son gisant se trouve toujours à la cathédrale, à son endroit d’origine, soit entre deux colonnes du rond-point du choeur.
«Tout dans cette histoire est particulier», commente Claire Huguenin, historienne et archiviste de la cathédrale, qui a collaboré à un ouvrage recensant tous les monuments funéraires du lieu. Il était en effet très rare qu’un laïc puisse s’y faire ensevelir. Othon Ier doit sans doute cette exception autant à son rang qu’aux dons conséquents faits aux chanoines, notamment pour un autel. «L’emplacement, dans le «saint des saints», tout près du maître-autel, est vraiment très particulier et montre bien le statut tout à fait extraordinaire de cet homme», poursuit Claire Huguenin.
Le monument lui-même est d’une architecture novatrice dans le pays de Vaud: les monuments sous arcades adossées contre un mur se développent dans l’orbite française, mais ici, sa position, qui laisse voir deux faces, témoigne de l’influence anglaise. Othon connaissait bien ce style pour avoir longtemps séjourné à la cour du roi d’Angleterre.
Les matériaux, enfin, sont eux aussi uniques: si la pierre de la région, la molasse, utilisée pour la cathédrale, a été employée pour la partie architecturale, le gisant lui-même, représenté de façon très traditionnelle en habit de chevalier, un bouclier aux armes de sa famille sur le corps, est en marbre. Des analyses récentes permettent même de penser qu’il pourrait s’agir du plus précieux de tous, le marbre de Carrare.
La tombe mystérieuse
L’identité du personnage enseveli sous le plus vieux gisant de la cathédrale, est un mystère, et les rebondissements successifs pour le percer sont, quant à eux, dignes de la série «Les Experts». Placée dans le déambulatoire, les pieds à l’est, la dalle funéraire représente un évêque. Comme ils sont douze à avoir été ensevelis à la cathédrale, reste à savoir lequel.
En 1880, des chercheurs obtiennent l’autorisation de soulever la dalle et d’ouvrir la tombe. Après divers travaux de fouille, ils proposent le nom de Roger de Vico Pisano, mort en 1220. D’autres hypothèses, liées notamment à l’orientation de la dalle, suggèrent que ce pourrait être le fondateur de la cathédrale romane, Henri, mort en 1016.
Mais en 2003, des scientifiques analysent les chaussures épiscopales retrouvées dans cette tombe. Leur conclusion? Si elles ont bien été portées par un cadavre, ce ne saurait être celles de Roger de Vico Pisano ni d’Henri: en effet, des éléments techniques prouvent qu’elles ne peuvent pas dater d’avant la deuxième moitié du XVIIIe siècle. «Selon l’hypothèse la plus vraisemblable, deux corps se sont retrouvés dans la même tombe, mais on ne sait toujours pas qui», sourit Claire Huguenin.
Henriette Canning, épouse d’un ministre du prince régent George d’Angleterre
Au fil des siècles, les interdictions d’ensevelissement à l’intérieur de la cathédrale se sont succédé, notamment pour des raisons d’hygiène. Ces mesures ont été diversement respectées selon les époques, jusqu’à ce qu’une loi, en 1804, mette fin à cette pratique. Cela n’a pas empêché les proches des défunts de contourner les interdictions avec toutes sortes de subterfuges.
Un exemple: le monument d’Henriette Canning, déplacé à de nombreuses reprises, que l’on peut voir aujourd’hui dès la porte d’entrée passée (à droite). C’est un ministre du prince régent George d’Angleterre, Stratford Canning, qui a commandé à Florence ce monument néoclassique pour sa femme Henriette, morte en couches.
Sa notoriété lui a permis de passer outre. L’histoire des monuments funéraires de la cathédrale est faite d’exceptions de ce type…
Sonia Arnal
A lire:
Claire Huguenin, Gaëtan Cassina et Dave Lüthi, Cahiers d’archéologie romande, no 104, Lausanne, 2006.