Les Alpes, en particulier les glaciers, fascinent les photographes. Claude Reichler leur consacre un beau livre qui confronte les images des pionniers aux travaux des plasticiens contemporains.
Au fil des ans, un long, patient et fructueux dialogue s’est tissé entre la montagne et la photographie. Une conversation courtoise dans laquelle les glaciers occupent une place à part, tout à la fois privilégiée et tragique puisqu’il est notamment question d’alerter sur leur disparition. Chercheur et écrivain, professeur honoraire à l’UNIL, Claude Reichler leur consacre un livre en forme de miroir à deux faces. L’une commente et donne à voir les plus anciennes photos de glaciers, celles des années 1849 à 1866. La seconde réunit des images de plasticiens datant des vingt premières années du XXIe siècle, dont celles des Suisses Jacques Pugin, Matthieu Gafsou, Douglas Mandry et Laurence Bonvin.
Daguerréotype et dessin
En matière de paysage alpestre, la toute jeune photographie s’inspire étroitement du dessin. Une complicité particulièrement spectaculaire chez l’Anglais John Ruskin qui utilisa parallèlement les deux médiums lors d’un séjour à Chamonix en été 1849. Après avoir dessiné la Mer de glace depuis la fenêtre de sa chambre d’hôtel, il aurait ainsi réalisé dans la foulée – avec l’aide de son valet et factotum John Hobbs – un daguerréotype pris du même lieu et montrant le même paysage. Les deux images sont réunies côte à côte dans le livre. Fascinant!
La photographie se met ensuite au service de la science et s’inscrit dans le sillage des investigations menées par les naturalistes. Et il faut attendre les frères Bisson pour disposer d’un regard réellement moderne «conférant aux glaciers une splendeur jamais vue, différente des catégories esthétiques forgées par les Lumières (…)». La fonte continue des glaciers, observable dès les années 1860, va toutefois marquer le déclin de cette phase particulièrement créative, cédant le terrain à une pratique avant tout touristique.
La deuxième partie du livre célèbre le retour de l’art dans la photographie de paysage et l’avènement d’une pratique qui revendique réflexivité et subjectivité. Les superbes travaux de l’Italien Walter Niedermayr en sont la parfaite illustration. Ce n’est pas tant le réel mais sa perception que le plasticien nous donne à voir dans ses panoramas alpins véritablement redessinés, voire sculptés, par l’occupation et la présence humaine. D’autres s’intéressent à la dimension héroïque et architecturale des glaciers, d’autres encore en soulignent l’étrangeté quasi abstraite. Et tous, d’une manière ou d’une autre, incluent dans leur propos la menace qui plane sur ces territoires autrefois presque vierges.