Depuis quelques années, les Romands ont pris goût à ces grands rendez-vous populaires. A chaque fois, de nouveaux adeptes se demandent s’il faut s’y (re)mettre, et comment le faire. Deux experts de l’UNIL vous expliquent tout ce qu’il faut savoir pour être au départ, le 25 octobre prochain.
En avril dernier, lors des 20 km de Lausanne, vous étiez sur le trottoir pour admirer les coureurs en plein effort. Ce printemps encore, vous vous sentiez des fourmis dans les jambes, une petite envie de vous glisser dans le gros du peloton et de participer à la course, avec tous les autres. Une utopie? Pas forcément.
Si les distances reines (20 ou 42 km) sont évidemment réservées à des sportifs aguerris, les manifestations populaires, comme le Marathon de Lausanne, le 25 octobre prochain, proposent des distances qui, comme le 1/4 de marathon ou les 10 km, sont accessibles aux coureurs peu habitués.
Mais pour faire ces courses dans de bonnes conditions, il faut les préparer sérieusement: commencer au minimum quatre mois avant l’échéance, ne pas griller les étapes et surtout, persévérer. Les conseils de deux spécialistes de l’UNIL, le Dr Boris Gojanovic, médecin du sport au CHUV, et Davide Malatesta, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne (UNIL).
Au fond, commencer à courir, est-ce vraiment une bonne idée?
La course à pied est l’une des quelques disciplines qui permettent d’entraîner très efficacement le coeur et les muscles à l’endurance, ce qui a pour effet de diminuer les risques de maladies cardiovasculaires, et également de se sentir en meilleure forme: monter les escaliers ou courir derrière le ballon avec votre enfant devient facile.
Commencer aujourd’hui, c’est incontestablement une bonne idée. «Les bénéfices sont notables, même si l’on commence après 50 ans, souligne le Dr Boris Gojanovic, médecin du sport au CHUV. Les personnes sédentaires, qui se disent qu’à leur âge, ça ne vaut plus la peine de changer, ont tort: ça n’est jamais trop tard!»
Evidemment, la natation, l’aviron, le ski de fond ont aussi le mérite d’entraîner l’endurance. Mais la course à pied est la discipline la plus pratique pour les gens qui sont actifs professionnellement et qui ont des enfants. On n’est pas dépendant d’horaires ou de saisons, contrairement à la natation ou au ski de fond. Et l’on peut faire des sorties relativement courtes, contrairement au vélo. En outre, l’équipement à acquérir est minime.
Une réserve néanmoins: si vous êtes en forte surcharge pondérale, il vaut mieux commencer par la marche, ou la natation, disciplines qui soumettront les articulations à moins de contraintes.
Quel est le plus grand danger?
«Ce que nous appelons le drop-out, ou abandon», répond sans hésiter Davide Malatesta. Fort de leur enthousiasme tout neuf, les débutants ont tendance à se fixer des objectifs démesurés, à s’astreindre à des entraînements trop longs, trop intenses ou trop nombreux. Résultat: peu voire pas de plaisir, et une chute drastique de la motivation après trois ou quatre sorties.
Autre conséquence néfaste de ces excès, les blessures: «Contrairement à ce qu’on pense, le système coeur poumon s’adapte très vite à l’effort: après quelques séances seulement, on est prêt à en faire plus sur ce plan, analyse le Dr Gojanovic. On est donc tenté d’accélérer ou de rallonger la durée des sorties. Mais on oublie que les muscles, les ligaments et les tendons s’adaptent beaucoup plus lentement. Même si on se sent bien, il ne faut pas griller les étapes, sans quoi on s’expose aux tendinites, aux déchirures ou aux entorses, les blessures que l’on rencontre le plus fréquemment.»
Et là, on n’a pas gagné: c’est trois à quatre semaines de suspension des entraînements pour se remettre… à condition de ne pas se décourager définitivement et abandonner en se disant: «Le sport, ce n’est pas pour moi et c’est mauvais pour la santé…»
Dernier danger enfin, l’accident cardiaque, très rare, mais très dangereux.
Faut-il aller chez le médecin avant de se lancer?
Pas forcément, estime Davide Malatesta: «Le plus important est d’écouter son corps et de ne jamais forcer, surtout au début d’un programme d’entraînement.» Certes, mais on peut sans le savoir souffrir d’un problème cardiaque. «Aux hommes de 40 ans ou plus et aux femmes dès 50 ans, je conseille donc de faire un check-up chez un cardiologue ou un médecin du sport, avec test d’effort à la clé, surtout s’il s’agit de personnes qui n’ont plus soumis depuis de nombreuses années leur système cardiaque à des situations de stress telles qu’en crée le sport», estime Boris Gojanovic.
L’occasion aussi de s’assurer qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre la course à pied et ses particularités physiques. Boris Gojanovic va encore plus loin: «Aujourd’hui, nous recommandons également aux jeunes sportifs une visite médicosportive annuelle, notamment pour s’assurer de l’absence de problèmes cardiaques ou pulmonaires.»
Quelles baskets acheter?
«Des chaussures de course, et pas de tennis ou de basketball, insiste Davide Malatesta. On voit souvent des débutants qui se disent que pour quelques kilomètres, n’importe quelle chaussure fera l’affaire. Ils recyclent une paire achetée pour une autre activité, mais ce n’est franchement pas une bonne idée! Le risque de se blesser est réel.»
Les magasins spécialisés dans la course à pied ou disposant de vendeurs qui pratiquent la discipline sont conseillés, en tout cas pour la première paire. Les coureurs se répartissent en effet en «pronateurs », «supinateurs» ou «universels», selon la façon dont ils attaquent le bitume et déroulent le pas.
Toutes les grandes marques proposent des chaussures adaptées à ces trois groupes, chaussures qui soutiennent le pied selon les spécificités de chacun. Acheter par manque d’expertise une basket pour supinateur quand on est pronateur peut créer des douleurs, voire des blessures.
«Certaines enseignes spécialisées disposent d’un tapis de course et filment le coureur en action avec diverses chaussures, commente Boris Gojanovic. C’est bien, mais ce n’est pas indispensable: un vendeur qualifié peut conseiller un débutant en le regardant faire quelques mètres dans le magasin ou dehors.» Mais passer à la caisse sans avoir été vu par un professionnel, et en ayant choisi une paire sur son look, est clairement déconseillé.
Quels engins technologiques sont nécessaires?
GPS, cardiofréquencemètre, système combiné Nike + et Apple: les engins disponibles sur le marché sont nombreux, tout comme les logiciels pour exploiter les données recueillies. Sont-ils pour autant nécessaires? «Non, on peut très bien vivre sans, estime Davide Malatesta. Un joggeur amateur n’a pas besoin de connaître sa vitesse mètre par mètre sur son parcours.»
Pouvoir visualiser sur son écran d’ordinateur, grâce à un GPS, la course effectuée, est assez ludique, voire même motivant, mais investir dans un système complexe qui couple GPS et cardiofréquencemètre n’est de loin pas nécessaire – et peut s’avérer onéreux.
Ceux qui possèdent déjà un iPod nano peuvent par contre, pour une cinquantaine de francs, acheter un système émetteur (à placer dans la chaussure) – récepteur (à plugger dans l’iPod). Ils auront ainsi des indications approximatives sur la durée de l’entraînement, la distance parcourue et la vitesse moyenne de la sortie. Mais aucun renseignement quant à la fréquence cardiaque, information pourtant la plus utile pour produire un effort de l’intensité souhaitée.
«On trouve des cardiofréquencemètres, soit une ceinture à fixer autour de la poitrine et une montre qui reçoit les données et affiche le nombre de battements par minute, dès une cinquantaine de francs, précise Boris Gojanovic. C’est un instrument utile, mais pour autant seulement que le coureur sache dans quelle zone il est bon de s’entraîner, et quelle est sa capacité personnelle.»
Comment commencer le premier jour?
Enfiler ses baskets neuves et partir à fond de train dans le but de tenir le plus longtemps possible à la vitesse la plus élevée possible, serait commettre la pire erreur.
Les personnes très sédentaires qui n’ont plus fait de sport depuis la fin de l’école obligatoire doivent commencer par une séance d’une trentaine de minutes de marche rapide.
Celles qui font un peu de sport ou ont un minimum d’activité physique commenceront par marcher 5 minutes, puis alterneront durant 20 minutes les phases de course (60 secondes) et les phases de marche (même durée), pour finir à nouveau par 5 minutes de marche.
Les phases de course doivent s’effectuer à petits pas; il ne faut jamais se trouver à bout de souffle. Le test pour savoir si l’on va trop vite: essayer de mener une conversation. Cela ne devrait poser aucun problème.
On peut aussi bien courir matin, midi ou soir, cela n’a pas tellement d’importance, mais il vaut mieux éviter de s’y mettre juste après un repas (attendre une heure au minimum) ou dans les heures les plus chaudes.
Faire du sport alors qu’on est mort de faim n’est, évidemment, pas recommandé non plus. «Sans abuser, il faut aussi penser à boire régulièrement dans les deuxtrois heures qui précèdent, souligne Davide Malatesta. Mais le plus important, c’est vraiment de s’en tenir à ces objectifs et de ne pas griller les étapes – sinon, c’est trop dur et trop frustrant, et après trois séances douloureuses, c’est l’abandon.»
Comment s’entraîner?
Une fois le cap du premier entraînement passé, que faire?
Persévérer! En s’entraînant deux à trois fois par semaine, d’abord 30 minutes, puis, après quelques semaines, en augmentant progressivement, par petites touches, jusqu’à 45 minutes deux fois par semaine, l’une des séances pouvant s’étendre à terme (mais pas avant un ou deux mois) à 60 minutes, pour ceux qui ont le 1/4 de marathon ou les dix kilomètres de Lausanne pour objectif.
Toujours très progressivement, il faut dans le même temps moduler l’alternance des phases de marche et des phases de course, dans le but de rallonger cellesci. Après quelques séances, on passera donc à deux minutes de course – une de marche. Puis à trois de course – une de marche – trois de course, etc. Jusqu’à être capable, mais c’est là un objectif qui ne doit pas se réaliser avant plusieurs semaines, de courir trois fois 15 minutes, puis enfin 45 minutes sans phase de marche.
A quelle vitesse? C’est là qu’intervient le cardiofréquencemètre. Chacun a une limite maximale de fréquence cardiaque. Elle correspond le plus souvent à 220 pulsations par minute moins l’âge du coureur. Une personne de 40 ans aura ainsi une fréquence cardiaque maximale de 180 (220-40), alors que son père de 70 ans ne pourra pas dépasser les 150.
Pour s’entraîner correctement à l’endurance, il faut courir à 70% environ de sa limite maximale. Soit, pour notre individu de 40 ans, à une fréquence de 126, et pour celui de 70, à 105.
Reste que, comme le souligne Boris Gojanovic, «ces valeurs sont statistiques – de nombreux paramètres peuvent intervenir, et avoir pour conséquence qu’un individu a une limite de 10 ou 20 pulsations plus haute ou plus basse que son âge ne le laisserait supposer. Courir avec un cardiofréquencemètre ne garantit pas que l’on s’entraîne dans la bonne zone.»
Pour connaître avec certitude sa fréquence maximale, rien ne vaut donc un test effort (voir encadré «courir sur ordonnance»). Davide Malatesta partage ce point de vue, précisant que des éléments comme l’hydratation, l’état de fatigue, la température, l’altitude ou le stress, peuvent considérablement altérer la fréquence cardiaque.
Courir 12 minutes, c’est la bonne durée?
Des générations entières d’écoliers vaudois ont été marquées par les fameuses 12 minutes, auxquelles il fallait s’entraîner et qu’il fallait ensuite courir au stade. Est-ce à dire que cette durée est la bonne pour s’entraîner? «Non, pas du tout: il s’agit d’un test, le test de Cooper, conçu à l’époque pour estimer la forme physique notamment des militaires, explique Boris Gojanovic. Mais pour s’entraîner à l’endurance, c’est trop court: il faut fournir un effort de 30 minutes au moins.»
Quels sont les autres bienfaits de la course?
Outre les bénéfices cardiovasculaires bien connus (le risque de maladies cardiovasculaires baisse considérablement pour les personnes qui pratiquent régulièrement un sport d’endurance), la course à pied regorge de conséquences positives.
C’est évidemment bon pour conserver la ligne, pour diminuer les risques de cholestérol, d’hypertension, ou encore de diabète, et donc le cortège de maladies cardiovasculaires associées, mais aussi pour prévenir des maux moins attendus.
Les femmes, par exemple, peuvent lutter par ce biais contre l’ostéoporose: pour renforcer les os, il faut soumettre le squelette à de petits impacts réguliers, tels qu’en provoque la course à pied.
Courir régulièrement diminue aussi le risque de développer une dépression, ou une maladie dégénérative de type Alzheimer – les personnes qui pratiquent régulièrement une activité physique conservent plus longtemps leurs fonctions cognitives.
Bref, courir, c’est bon pour la tête – mais un tout petit peu moins pour les pieds: la voûte plantaire a en effet tendance à s’affaisser avec les années – le footing renforce ce mouvement, et il n’est pas rare, après quelques mois de pratique constante, de réaliser que l’on a gagné une pointure…
Sonia Arnal