Homme-orchestre de l’écrit
Bertil Galland, 92 ans cette année! Vaudois de père, Suédois de mère, un homme du monde au sens fort. Un journaliste et écrivain aux sympathies multiples, parfois idéologiquement critiquables; un éditeur aux engagements forcenés à qui la littérature romande doit beaucoup. Et une vie qui donne le tournis! Comment circonscrire par les mots une aventure aussi foisonnante? Jean-Philippe Leresche et Olivier Meuwly s’y sont essayés. Leur livre, comme le sujet de leur recherche, se révèle un brin nomade. Publié dans la collection encyclopédique «Savoir suisse» que Galland a lui-même lancée en 2002, Bertil Galland, vagabond des savoirs commence par passer en revue ses différentes bandes, des compagnons de route «qu’il ne mélange si possible pas» et parmi lesquels on retrouve la plupart des figures aujourd’hui reconnues de la littérature romande, de Jacques Chessex à Nicolas Bouvier en passant par Maurice Chappaz ou Anne-Lise Grobéty.
En 1971, pour défendre et promouvoir ces auteurs, Bertil Galland va créer la maison d’édition qui porte son nom. Il vient de prendre ses distances avec la Ligue Vaudoise de Marcel Regamey dont il fut longtemps proche. Une organisation inspirée par la pensée du Français Charles Maurras, hostile à la démocratie libérale et affichant des positions antisémites auxquelles toutefois Galland n’adhère pas. D’autres parties du livre s’intéressent au chroniqueur et au journaliste, à ses reportages en Amérique, en Asie du Sud-Est ou en Afrique. Y aurait-il donc deux Galland, l’un zélateur du Pays de Vaud et anticommuniste, l’autre plus cosmopolite et libre? s’interrogent alors les auteurs. Ce serait trop simple et il convient plutôt de voir dans cet homme de paradoxes un être «soucieux de se trouver des racines pour aider les autres à s’implanter dans leur propre univers». / Mireille Descombes
Jean Rosset met le feu aux Vaudois
À la suite d’un «accident survenu dans le système de gravitation», la Terre se rapproche du Soleil. La température augmente sans cesse. Puis «toute vie va finir.» Dès le premier chapitre de Présence de la mort, paru en 1922, C. F. Ramuz expose le destin de la planète et de ses habitants, en se concentrant sur ceux du canton de Vaud.
Toutefois, il ne faut pas voir dans ce roman une prophétie liée au réchauffement climatique, comme l’indique dans son introduction Marc Atallah, maître d’enseignement et de recherche en Faculté des lettres. En effet, dans ce «beau texte de science-fiction, au sens noble», C. F. Ramuz s’intéresse essentiellement à la manière dont, progressivement, les Vaudois vivent leurs derniers mois. Passé l’incrédulité, les liens sociaux se délitent sous la chaleur croissante. L’écrivain décrit des scènes hallucinantes, comme une fête sauvage au Rôtillon, des pillages, des émeutes ou l’incendie des banques de Saint-François. / DS
Marie fidèle dans l’infidélité
Selon Sigmund Freud, rien hormis l’antisémitisme n’est applicable dans le «programme» de Hitler. En 1933, il pense que les Allemands ne vont pas tarder à le remarquer et à se distancier des nazis. Il n’en tire pas vraiment espoir mais croit pouvoir rester à Vienne, malgré le danger qui monte en Autriche aussi.
À son amie la princesse Marie Bonaparte, il écrit voir le monde devenir une prison pour les juifs. Elle l’aidera à se réfugier en Angleterre en 1938. Faut-il retenir avant tout cet aspect dans la correspondance intégrale éditée et annotée par le professeur de l’UNIL Rémy Amouroux? Ou privilégier l’humour et la bienveillance du fondateur de la psychanalyse? Et que choisir dans les lettres de Marie, la veine érotique ou la passion scientifique? Les amants, la famille princière, les voyages ? Alors qu’elle n’a plus de nouvelles du «cher père» dont elle diffuse la pensée en France, elle lui écrit encore une lettre en ce 23 septembre 1939, le jour même où il meurt. Ce livre éclaire leur intimité intellectuelle et amicale de manière somptueuse. / Nadine Richon