Aux Jeux de Pékin, seuls cinq records du monde ont été battus, dont trois par le seul sprinteur Usain Bolt. Faut-il s’attendre à passer l’été olympique de 2012, à Londres, sans atteindre de nouveaux sommets ? Le point sur la question à l’occasion des Mystères de l’UNIL (portes ouvertes) qui seront consacrés à l’avenir de sport
Moins haut, moins vite, moins loin, et surtout moins fort. Depuis quelques années, les athlètes qui participent aux Jeux olympiques ont toutes les peines du monde à justifier la devise du CIO. Ils n’arrivent plus à battre les records établis durant les décennies précédentes. Aucune femme n’approche désormais le chrono extraterrestre de 10’49 secondes sur 100 mètres sprint claqué par l’Américaine Florence Griffith-Joyner en 1988. Plus personne ne s’élève largement au-dessus d’une barre placée à 6 mètres en saut à la perche, comme le faisait Sergueï Bubka (6,14 m) à la grande époque. Et personne ne soulève 472 kilos en deux épreuves, comme l’haltérophile iranien Hossein Reza Zadeh il y a douze ans à Sydney.
Est-ce à dire que le corps humain a atteint ses limites? Que nous devrons nous habituer à des Jeux olympiques sans records? En prévision des Mystères à l’UNIL, qui auront lieu les 2 et 3 juin à Dorigny, et qui seront consacrés au sport et à son avenir, Allez savoir! a tenté de vérifier cette hypothèse avec Grégoire Millet, professeur associé à la Faculté de biologie et de médecine et directeur adjoint à l’Institut des sciences du sport de la Faculté des sciences sociales et politiques de l’UNIL.
Usain Bolt fait mentir les pronostics
Plutôt que de prendre des paris sur le nombre de records qui seront battus cet été lors des JO de Londres, le spécialiste reste prudent. Il est vrai que, par le passé, un institut renommé d’épidémiologie du sport s’était hasardé à fixer une limite en-dessous de laquelle le record du 100 mètres ne pourrait jamais descendre, jusqu’à ce que le phénomène Usain Bolt atomise cette démonstration académique lors des jeux de Pékin, en 2008.
Il est tout aussi vrai aussi que des scientifiques de «très haut calibre» ont prédit dans les meilleures publications spécialisées que les femmes seraient bientôt plus rapides que les hommes sur le marathon… On en est encore loin!
Le dopage peut jouer un rôle
Grégoire Millet s’intéresse beaucoup, en revanche, aux ruptures qui marquent la progression des records. Le chercheur de l’UNIL avance quatre grands groupes de facteurs qui expliquent des stagnations ou des avancées spectaculaires des athlètes dans différents sports.
D’abord, «malheureusement», inutile de nier la présence du dopage et son perfectionnement irrépressible. Grégoire Millet n’en oublie pas l’importance, lui qui a obtenu un diplôme à l’Université de Montpellier sur le thème «Dopage: de l’analyse à la prévention».
On n’arrête pas le progrès
Ensuite, il y a tout le chapitre multiforme des avancées technologiques. Et en la matière, «rien ne dit qu’on ne va pas continuer à progresser», par exemple dans les textiles mis à la disposition des athlètes ou, très concrètement encore, dans la qualité du tartan utilisé pour les pistes dans les stades.
Les illustrations pertinentes ne manquent pas: on connaît les progrès faits dans la fabrication des raquettes de tennis, dont l’importance est soulignée par tous les champions sollicités d’établir des comparaisons entre les époques pour désigner le «meilleur des meilleurs»; ou les combinaisons, en natation, qui ont permis de battre des records en rafales, avant qu’elles ne provoquent une sévère remise en ordre. Et un retour à la situation précédente.
A cela s’ajoutent les inventions plus spécifiquement techniques dans tel ou tel sport, comme le Fosbury flop (rouleau dorsal) qui a permis aux sauteurs en hauteur de progresser. Dans d’autres cas, il a fallu intervenir avant que ces révolutions ne provoquent un drame, ou ne faussent les compétitions.
Grégoire Millet insiste: «Ce sont les fédérations sportives internationales qui doivent prendre leurs responsabilités et régir leur sport», au besoin en modifiant la courbe des records (les limites imposées aux javelots des lanceurs ou aux perches des sauteurs).
Les nouveaux athlètes
Troisième dimension dont l’importance est moins souvent soulignée, mais qui reste d’actualité, c’est l’apparition des «nouveaux athlètes»! Le débarquement impressionnant des grands gabarits dans certains sports peut y faire penser, mais nous sommes loin d’avoir tout vu, tant les réservoirs sont considérables, si on considère que seule une minorité des populations mondiales est concernée par le sport de haut niveau.
Théoriquement, note Grégoire Millet, «il est tout à fait concevable que des dizaines d’Usain Bolt existent et ne seront jamais découverts, ni surtout encadrés jusqu’à la réussite, faute d’un minimum d’organisation sportive dans leur environnement direct».
Dans le sport féminin en particulier, on peut encore penser que la disparition progressive d’interdits culturels ou religieux pourrait favoriser l’émergence de nouvelles athlètes aussi dominantes que leurs homologues masculins dans des spécialités comme les courses de fond; le bassin de «recrutement» est immense et on pense aux émules du Printemps arabe dans le monde musulman.
On n’est pas égaux devant le football ou le ski
Socialement parlant, il y a «énormément d’acteurs potentiels qui ne sont pas sur le terrain et qui n’y seront probablement jamais», poursuit le chercheur de l’UNIL. Pour toutes sortes de raisons, comme la pauvreté, entre autres.
Car tous les sports ne sont pas aussi universels tels que le football, auxquels «une majorité de mômes peuvent avoir un accès direct». Il existe d’autres spécialités dont l’aire de recrutement est nettement plus limitée, question de contingences saisonnières ou de ressources technologiques (le bob ou le saut à ski, entre bien d’autres!). «Concrètement, quels que soient les dons de ces champions hors normes, il y a davantage de chances qu’émerge un jour un petit Drogba qu’un petit Cuche!»
Enfin on ne sous-estimera pas, évidemment, le rôle des techniques d’entraînement. Un des chevaux de bataille de Grégoire Millet, passion qu’il partage avec bien d’autres spécialistes. «La préparation physique d’aujourd’hui n’a rien à voir avec celle d’il y a seulement dix ans!» A l’entendre, un bouleversement d’envergure est en cours: jusqu’ici, pratiquement tout ce qui se faisait dans ce domaine venait du «terrain» (ce n’est par exemple pas un biomécanicien qui a inventé le style en V pour le saut à ski).
Actuellement, les suggestions des scientifiques et des chercheurs sont acceptées et mises en œuvre par les entraîneurs. Et cette collaboration modifie de fond en comble des secteurs aussi cruciaux que la musculation ou la récupération, pour ne citer que ceux-là. Sans insister sur les apports de l’entraînement en altitude ou les enseignements extraordinaires que peuvent fournir les systèmes de mesures de plus en plus performants embarqués sur les sportifs.
A l’exception du dopage, ces multiples ouvertures laissent bien sûr entrevoir de nouveaux gisements de performances sportives. A court et à plus long terme. Une culture multidisciplinaire est en train de prendre corps et de faire exploser les anciennes frontières du sport. A l’ombre des records.
Le sport aux rayons X
Les 2 et 3 juin 2012, près de 400 chercheurs, enseignants et étudiants vous accueilleront à Dorigny, à l’occasion des Mystères de l’UNIL (journée portes ouvertes). Une énigme, une dizaine de laboratoires et une vingtaine d’ateliers vous donneront l’occasion d’exercer votre curiosité scientifique et vos aptitudes sportives. Toutes les animations sont gratuites et destinées à tous les publics.
Le dimanche 3 juin de 13 h à 19 h, les visiteurs pourront assister à la reconstitution d’une cérémonie complète de Jeux olympiques antiques. Au programme, les disciplines classiques du pentathlon, la course, le saut en longueur, le javelot, le disque et la lutte. Sans oublier la culture: chant, flûte et poésie.