Un nouveau cours en ligne, gratuit, propose un regard critique et averti sur la science forensique. Rencontre avec Christophe Champod, professeur à l’Ecole des sciences criminelles. Complément de l’article paru dans Allez savoir ! 65, janvier 2017.
Parfois, les chercheurs endossent des costumes d’acteurs. Cette image a été prise fin septembre dans la salle des comparateurs d’armes à feu, à l’Ecole des sciences criminelles (ESC). Une équipe de scientifiques participe au tournage d’un cours en ligne gratuit et ouvert à tous, produit par l’UNIL.
Ainsi, Franco Taroni (professeur), Tacha Hicks Champod (chargée de projets), Alex Biedermann (professeur associé) et Christophe Champod (professeur) travaillent avec Catherine El Bez (dicastère Enseignement et Affaires étudiantes de la direction et Formation continue UNIL-EPFL) et le réalisateur David Monti (tout à droite).
Destinée à un large public, sans prérequis exigé, cette formation en ligne gratuite est consacrée à la manière dont les tribunaux reçoivent et utilisent les rapports produits par la Science forensique. « Nous ne contestons pas les contributions que cette dernière apporte à la justice : elles sont indéniables. Mais nous souhaitons rendre les gens attentifs aux limites, voire aux dangers des développements techniques d’aujourd’hui », explique Christophe Champod. Une manière originale d’aborder cette discipline fascinante.
Cas réels
Au-delà des curieux, ce nouveau MOOC (pour Massive online open course) va également intéresser les commentateurs de la preuve scientifique, comme les magistrats, les avocats ou les journalistes, ainsi que les étudiants en droit. « Nous traitons de nombreux cas réels, comme l’affaire Amanda Knox ou l’affaire Shirley McKie. Cette policière écossaise a été licenciée puis arrêtée pour avoir laissé l’empreinte de son pouce sur une scène de crime en 1997 », détaille Christophe Champod. Or, il s’agissait d’une erreur des experts. Dans le MOOC, Ian, le père de Shirley McKie, livre son témoignage en vidéo. Ce dernier expose ce que cela signifie que d’être victime d’une telle erreur judiciaire. Le cas de Brandon Mayfield, un avocat accusé à tort d’être lié aux attentats de Madrid de 2004, est également traité : lui et sa fille Sharia, qui a écrit un livre à ce sujet, sont interviewés par les chercheurs de l’UNIL.
« Bien entendu, les preuves scientifiques doivent être traitées hors du cadre des émotions. Mais il faut se rendre compte que derrière des empreintes se trouvent des personnes réelles, et que des fautes peuvent avoir des conséquences importantes sur leurs vies », ajoute Christophe Champod. En filigrane, c’est la question de l’excès de confiance envers les laboratoires qui est posée. Les auteurs du cours espèrent ainsi développer l’esprit critique de leurs « étudiant-e-s », sans alarmisme ni complaisance envers leur propre discipline de recherche.
Avancées technologiques
La « fabuleuse sensibilité des méthodes », portée par les avancées technologiques, rend l’information du public d’autant plus nécessaire. Ainsi, « quelques dizaines de cellules permettent de définir un profil ADN, expose Christophe Champod. Vous pouvez donc déposer du matériel biologique provenant d’une autre personne dans un lieu où cette dernière ne s’est jamais rendue, et donc potentiellement la mettre en cause. Ce n’est pas farfelu ! »
Si les preuves matérielles constituent l’essentiel du programme, l’utilisation des statistiques au tribunal est également traitée au fil des vidéos. Ainsi, une erreur de ce genre a été commise par le fameux Bertillon dans l’affaire Dreyfus. Plus récemment, en 1999, la Britannique Sally Clark a été accusée d’avoir tué ses enfants, alors qu’ils sont décédés tous les deux de mort subite. « Lors du procès, un expert a avancé comme un fait l’idée qu’une telle coïncidence ne pouvait arriver qu’une fois sur 73 millions. Il s’est avéré que ce chiffre, dépourvu de base scientifique, n’a pas été soumis à la critique par la cour le tribunal. »
En laboratoire
Enrichi de séquences qui présentent des manipulations réelles telles qu’elles se pratiquent en laboratoire, ainsi que de reconstitutions, le MOOC concocté par les chercheurs et spécialistes de l’UNIL est donné en français et en anglais. Le cours se compose de six modules, à suivre sur six semaines, dès le printemps 2017. « Vous n’avez rien à préparer, notre Christophe Champod. Suivez le programme avec vos propres idées sur la science forensique, et nous les bousculerons !»
Les professionnels actifs dans le domaine juridique (policiers, magistrats, avocats ou scientifiques) pourront prolonger leur formation – et leurs réflexions – dans un cours nettement plus détaillé, Statistics and the Evaluation of Forensic Evidence (début en mars 2017).
La Science forensique au tribunal, un témoin digne de foi ? www.coursera.org/unil, dès ce printemps
Statistics and the Evaluation of Forensic Evidence. http://www.formation-continue-unil-epfl.ch/statistics-evaluation-forensic-evidence-cas