Les écrits de ces créateurs singuliers sont souvent méconnus. L’historienne de l’art Lucienne Peiry leur consacre un très beau livre.
Tout amateur d’art brut le sait. Outre des images, ces œuvres nées dans l’urgence des marges et de la maladie incluent souvent des mots et des textes, plus ou moins longs, plus ou moins lisibles. Un peu paresseusement, on a souvent tendance à les considérer sur un plan uniquement formel, voire esthétique, oubliant qu’ils sont porteurs d’un message spécifique et possèdent une vie propre.
Dans un très bel ouvrage publié au Seuil, l’historienne de l’art Lucienne Peiry – qui a dirigé pendant dix ans la Collection de l’Art Brut à Lausanne – a choisi de placer ces Écrits d’art brut au centre de notre attention, proposant des retranscriptions et, si nécessaire, des traductions de ces superbes «lettres d’amour ou de rage, poèmes, messages érotiques et plaidoyers, journaux intimes et récits utopiques». Après une brève introduction, elle passe en revue et analyse avec finesse la production de trente de ces «graphomanes extravagants».
Parallèlement aux travaux déjà souvent commentés d’Armand Schulthess, Adolf Wölfli ou August Walla, on y découvre les extraordinaires créations textiles d’Arthur Bispo do Rosário. Descendant d’esclaves noirs, né en 1911 dans le nord-est du Brésil, cet homme, qui a vécu cinquante ans en hôpital psychiatrique, s’était donné pour tâche d’inventorier les objets du monde urbain et industrialisé pour les présenter au Créateur, quand il paraîtrait devant lui, après sa mort. Son œuvre phare consiste en une ample et magnifique toge appelée «Manteau de présentation» où l’on retrouve, brodés en couleurs et représentés par l’écriture ou par la figure, tous les sujets qui lui sont chers, édifices, navires, jouets, instruments de musique, mais aussi signes, mots et chiffres.
Contrairement à celle d’Arthur Bispo do Rosário, certaines productions ne comportent que du texte. C’est le cas dans la pratique épistolaire de Samuel Daiber qui «travaille les mots au corps et les traite comme de la matière, les modèle et les façonne avec ingéniosité». Autre exemple, les centaines de pages dénuées de toute ponctuation du journal intime de Constance Schwartzlin-Berberat où «les lettres prennent un essor figuratif comme si l’auteure les libérait de leur carcan». Cette Jurassienne internée à l’hôpital psychiatrique de la Waldau, près de Berne, a également laissé vingt-quatre cahiers de cuisine précisément datés où l’on découvre notamment la «Recette de flancs doux tellement changés qu’ils en sont méconnaissables…ils sont moulus fins faits par la papillotte à la creme ou a la rose… ou au coquelicot… ou par une pluie de raisins secs (…) ».