Le nouveau Code pénal des mineurs, qui doit entrer en vigueur en 2007, va changer la manière de traiter ces cas. Baptiste Viredaz, assistant en droit à l’Université de Lausanne (UNIL) et auteur de plusieurs articles sur ce thème, y voit «un vrai progrès».
Plusieurs faits divers donnent l’impression que la violence juvénile grandit en Suisse. Le 1er juin 2003, quatre jeunes – dont deux mineurs – s’acharnaient à Yverdon sur un autre adolescent, et le tuaient à coups de couteau. C’est l’affaire Michael. La même semaine, un autre ado décédait, poignardé dans une rixe à Vauderens (FR). Le 11 mai 2003 à Berne, sept jeunes (dont trois mineurs) s’en prenaient sans raison à un professeur de gestion de 40 ans. L’enseignant, sorti du coma depuis lors, garde des séquelles à vie de cette agression. Et les cas d’agressions gratuites se multiplient et portent même un nom: le «happy slapping» (battre dans la joie).
Malgré cela, on constate un écart important entre les condamnations des criminels adultes et celles des mineurs, parfois à peine plus jeunes. Jugés début juillet 2005, trois des adultes impliqués dans l’agression de Berne ont écopé de onze ans, neuf ans et six ans de détention. Les mineurs de la bande, eux, sont pour ainsi dire déjà libres.
Scénario analogue dans l’affaire Michael. Les deux adultes (20 ans et 22 ans au moment des faits) ont été condamnés en juin à dix-neuf et vingt ans de prison. Alors que les deux mineurs (17 ans en 2003) ont écopé d’un et deux ans de maison de correction. La nouvelle loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs entrera en vigueur début 2007. Que va-t-elle changer à cette situation déséquilibrée?
Interview de Baptiste Viredaz, assistant en droit à l’Université de Lausanne
Comment expliquer l’écart des peines entre les jeunes adultes et celles réservées aux mineurs?
Au-delà de 18 ans, le cas d’un jeune criminel relève d’un tribunal pour adulte, qui peut sanctionner très sévèrement. En deçà de 18 ans, le cas concerne le Code pénal (CP) des mineurs. Le juge con-fronté à un délinquant mineur doit choisir entre deux types de sanctions: soit une mesure soit une peine. La peine inclut notamment la réprimande, l’amende ou la privation de liberté qui, à ce jour, ne peut pas durer plus d’un an. Les mesures, elles, renvoient à un traitement ambulatoire, à une assistance éducative ou au placement en maison d’éducation dont la durée maximale est en général de deux ans (art. 91 al. 2 CP). Ce qui distingue ces deux voies, c’est l’objectif. La peine vise à punir, à neutraliser, à faire l’exemple aussi. La mesure a un objectif avant tout thérapeutique et éducatif.
Comment le juge fait-il son choix?
Il prononce une mesure éducative quand il considère que le mineur souffre d’une carence de développement, d’éducation et qu’il est «récupérable», si l’on veut. Si au contraire, il considère que l’acte a été commis de sang-froid, il prononce une peine. Le problème de la loi actuelle, c’est qu’elle se limite à un an. Alors que la durée de la mesure éducative peut être prolongée jusqu’au 25e anniversaire. Dans l’affaire Michael, le juge des mineurs a préféré prononcer une mesure, parce qu’ainsi, ces jeunes resteront plus longtemps sous contrôle de la justice. Mais ce faisant, il détourne la mesure de son but initial. C’est pour cela que la loi va changer.
Qu’est-ce qui va changer?
Dans le nouveau code, le juge pourra combiner les peines et les mesures. Les mesures les plus lourdes sont des placements en institutions spécialisées, certes assortis d’un traitement, mais qui ressemblent beaucoup à une privation de liberté. Pendant l’exécution du placement, la peine est suspendue. Si la mesure a été un échec, alors la peine pourra encore être appliquée. Pour les mineurs de plus de 16 ans, la peine privative de liberté a été fixée à une durée maximale de quatre ans.
Un assassin de 17 ans et demi sera donc libéré au plus tard à 22 ans…
Oui. Cela peut paraître léger, mais passer quatre ans en prison c’est déjà très dur. Selon moi, le plus important est de changer l’esprit de la sanction autant que la façon d’appréhender le criminel. Il faut un travail là-dessus. Réintroduire par exemple la victime dans le processus, permettre ce rapprochement avec le délinquant. Je suis convaincu que cette dé-marche peut porter ses fruits. L’enfermement pur et simple des mineurs n’est pas la bonne solution.
A l’étranger, comment juge-t-on les mineurs?
Aux Etats-Unis, par exemple, 36 Etats sur 51 n’ont pas de limites d’âge. En théorie, on peut condamner un enfant de 4 ans à la perpétuité pour des actes très graves (car la peine de mort ne s’applique pas aux moins de 16 ans). Cela ne s’est jamais produit à l’usage, mais dans bien des Etats, des jeunes de 16 voire 15 ans passent devant la justice ordinaire, indépendamment de la gravité de l’acte. Dans d’autres pays, notamment anglo-saxons, certains mouvements songent à abandonner la notion de droit du mineur, notamment parce que toujours plus de droits procéduraux lui sont accordés et que, à ce titre, il n’y aurait plus de raison de traiter le mineur différemment de l’adulte.
Qu’en est-il pour les «jeunes adultes»?
Pour les 18-25 ans, le Code pénal prend en considération les difficultés du passage de l’adolescence à la vie active. Ces jeunes-là sont souvent des cas lourds et complexes. En ce sens, la sanction prononcée à leur encontre dans l’affaire Michael me semble disproportionnée. Ce jugement se contente de neutraliser les individus, mais il est peu constructif. Bien sûr, il y a l’idée de rendre justice à la famille de la victime. Cependant, même si les coupables ont commis un acte odieux, il y a toujours quelque chose qui explique que des gens si jeunes se comportent ainsi. Ce travail de compréhension et de prise de conscience de la part des criminels me semble indispensable pour les réinsérer un jour. Mais vingt ans de prison, cela donne peu envie de faire des efforts.
Face au juge, en juin dernier, les jeunes adultes ne semblaient pas rongés par le remords en effet…
Précisément. Les mineurs de la bande ont été très vite pris en charge dans un établissement d’éducation adaptée. Les jeunes adultes, eux, ont comparu deux ans plus tard, en faisant les malins à l’audience. En détention préventive, ils n’ont visiblement reçu aucun accompagnement. Or eux aussi souffrent de lacunes visibles dans le développement de leur personnalité. Un tel travail d’accompagnement se fait notamment aux Etats-Unis, en incluant la collaboration des familles des victimes si elles le souhaitent. Ce travail débouche parfois sur des résultats remarquables. Car l’idée d’obtenir justice, en soi, est bien courte et illusoire.
La sanction se voulait exemplaire et dissuasive?
C’est évident! Mais je ne crois pas que cette dissuasion ait beaucoup d’effet sur les gens dont nous parlons. Les études et statistiques le montrent. Les pays les plus sévères n’obtiennent pas de meilleurs résultats. Aux Etats-Unis par exemple, les Etats qui appliquent la peine de mort n’ont pas de meilleurs résultats dans la prévention de la criminalité que ceux qui y ont renoncé ou ceux qui ne l’ont jamais appliquée. Car avec un jugement sévère on s’attaque aux conséquences, jamais aux causes. Les vrais problèmes, ce sont la pauvreté, l’éducation, les personnes livrées à elles-mêmes, c’est là-dessus qu’il faut agir.
Les crimes et délits de mineurs augmentent-ils en Suisse?
Oui, mais ce n’est pas l’explosion que l’on prétend. Ce sont surtout les délits violents qui augmentent, ainsi que les incivilités, mais on constate une diminution sensible des vols. Quant aux homicides, il faut le souligner, ils sont très rares chez les mineurs en général en Occident.
Les statistiques de la criminalité des mineurs sont-elles fiables?
Elles sont de trois types. La première est la statistique de la police. En volume, elle donne l’impression d’une augmentation, car elle se contente d’enregistrer les cas. Or l’on sait que ce sont souvent les mêmes qui récidivent, une infime partie des mineurs. Il y a aussi la statistique des condamnations individuelles, qui atteste de l’augmentation des mineurs condamnés pour des actes plus violents. Enfin, il y a les sondages. D’une part les questionnaires de victimisation (avez-vous été victime d’une agression? de quel type? Etc.). Et les sondages de délinquances «autorévélés», par lesquels on demande aux mineurs de dire sous anonymat les crimes ou délits qu’ils ont pu commettre. L’ensemble donne une vision assez précise de la situation.
Entre crime et délit, quelle est la différence?
Le droit pénal suisse classifie la gravité en fonction de la sanction attribuée à chaque infraction. Ainsi, les actes punis par les arrêts (un jour à trois mois) sont des contraventions; ceux qui sont sanctionnés par l’emprisonnement (trois jours à trois ans) sont des délits; enfin, les infractions passibles de la réclusion (un à vingt ans) sont des crimes.
Le vol est-il est un crime ou un délit?
Cela dépend, justement. Pour un vol de moins 300 francs, la loi prévoit une peine privative de liberté maximale de trois mois. C’est donc une contravention. Au-delà de 300 francs, cela devient un crime, car cette infraction est passible de cinq ans de réclusion selon la loi.
Dans le Code pénal révisé, la minorité pénale passera de 7 à 10 ans. Qu’est-ce que cela signifie?
Que nous vivions dans un pays un peu primitif. Il n’y a guère que des pays comme la Turquie qui aient dernièrement connu un seuil aussi bas en Europe. Jusqu’à aujourd’hui, le Code pénal estime que dès 7 ans, un jeune peut être pénalement responsable de ses actes. La limite d’âge va remonter heureusement. Un premier projet prévoyait même de relever la limite à 12 ans. Puis on est redescendu à 10 sur l’argument que la criminalité des jeunes commence toujours plus tôt…
On entend souvent dire que si on laisse faire les incivilités, certains individus que personne n’arrête versent un jour dans la grande criminalité…
C’est la théorie du tremplin, mais je n’y crois pas. Bien sûr, ceux qui ont eu de véritables carrières criminelles n’ont pas commencé par un homicide. Mais si beaucoup d’ados commettent de petites déviances – école buissonnière, cannabis, alcool, fugues, agressions verbales, tags – la plupart savent s’arrêter. D’où l’importance d’un travail de prévention sur les comportements déviants propres aux adolescents, une police de proximité, un encadrement.
Dix ans de «tolérance zéro» à New York ont pourtant fait chuter la criminalité, non?
C’est un leurre. Dans les années 1990, la police et les gangs de New York s’affrontaient sur fond de scène du krak. Depuis, le krak a été remplacé par l’héroïne et la cocaïne, bien moins liées à cette violence, et c’est cela qui explique en grande partie la chute de la criminalité. D’autres Etats américains, d’ailleurs, n’ont pas appliqué la tolérance zéro et ont eux aussi enregistré cette chute. Enfin, les mesures à court terme ne sont pas toujours souhaitables. On lâche les cow-boys et on met tout le monde en prison. Mais éjecter les plus démunis de leurs quartiers ne fait que déplacer le problème.
Pourquoi la violence des mineurs augmente-t-elle?
Il y a deux théories. La première affirme que ça a toujours été comme ça. Comme le Grec Hésiode qui disait en 700 avant J.-C. que si l’enfant d’aujourd’hui prenait le pouvoir dans la société de demain, le pire était à prédire. Mais on ne peut pas se contenter de dire que la société a toujours trouvé que les enfants se comportent mal. Pour ma part, je suis pragmatique. Même si la violence existe depuis toujours, les problèmes se sont aussi résorbés provisoirement parce que les sociétés des différentes époques ont réagi. De nos jours, on cherche à comprendre les causes du problème, ses origines. Et parmi ces causes, l’on retrouve souvent les conditions sociales de la famille, le lieu de vie, les prestations offertes aux personnes d’origines étrangères, leur degré d’intégration dans la société, etc…
Michael portait une arme blanche qui s’est retournée contre lui. La loi est-elle trop laxiste sur le port d’arme illicite?
On croit savoir que ce n’est pas le couteau qui a tué Michael, mais cette arme a pu, en effet, déchaîner les agresseurs. Les moyens de prévention et de répression dans ce domaine, dès lors que vous ne portez pas directement atteinte à la sécurité publique, sont limités. On ne peut pas condamner un jeune à la prison parce qu’il porte un couteau. En cas de contrôle, la police peut tout au plus le confisquer et peut-être poursuivre le jeune. La loi prévoit une sanction, mais il faut bien le dire, limitée elle aussi.
Résumons: un jeune qui vole pour plus de 300 francs risque en théorie jusqu’à cinq ans de prison. Mais s’il porte une arme qui fait de lui un tueur en puissance, il risque tout au plus une amende…
C’est ainsi. Il faut avoir commis une infraction. En ce cas, le port d’une arme, même si elle n’a pas été utilisée, est un facteur aggravant. Le crime est alors qualifié et la peine peut être alourdie.
Quel est le défaut de la nouvelle loi?
La mise sur pied des infrastructures nécessaires aux nouvelles sanctions risque de coûter très cher. La nouvelle loi introduit beaucoup de nouvelles sanctions alternatives à la prison. Notamment la médiation chez les mineurs et la prestation personnelle, ce qui implique du personnel qualifié. Le coût sera très élevé et de ce fait, la loi risque de n’être pas toujours appliquée. Néanmoins, ce nouveau droit représente certainement un progrès dans l’appréhension de la délinquance juvénile.
Michel Beuret
A lire:
Baptiste Viredaz, «Droit pénal des mineurs: vers une américanisation de la prise en charge du jeune délinquant?» in Nathalie Dongois/Martin Killias (éds), et «L’américanisation du droit suisse et continental», Schulthess, 2005 (à paraître).
Baptiste Viredaz, «Le sentiment d’insécurité: devons-nous avoir peur?» édition de l’Hèbe, 2005.