Les Lumières croyaient aux fées

Prenant pour argent comptant les théories de Grimm et de Diderot, on imagine volontiers que le théâtre des Lumières bannirait le merveilleux féerique avec la plus extrême rigueur. Erreur! Les auteurs du XVIIIe siècle en ont fait un généreux usage, créant des pièces qui constituent aujourd’hui un objet d’intérêt majeur pour l’étude du théâtre dramatique et lyrique de la seconde moitié du XVIIIe siècle. «Loin d’avoir chassé les fées de la scène, la dénonciation du théâtre merveilleux par les penseurs des Lumières semble, d’une manière paradoxale, avoir favorisé son renouvellement», révèle Angélique Chevalley dans la préface de son livre Le théâtre des fées. En clair, il ne s’agit pas de transmettre une éducation morale ou des préceptes sous le voile du merveilleux – autrement dit d’instruire en plaisant – mais plutôt de solliciter de façon spécifique la sensibilité du spectateur pour agir sur lui. 

Adhésion émotionnelle

Afin d’illustrer son propos, l’auteure, assistante diplômée en Faculté des lettres, a constitué un corpus d’une dizaine d’œuvres significatives encadrées d’un côté par la représentation de Cendrillon d’Anseaume en 1762, et de l’autre par la comédie lyrique Raoul Barbe bleue de Sedaine et de Grétry jouée en 1789. Parmi les nouvelles techniques scéniques qui apparaissent à l’époque, elle mentionne l’utilisation d’un rideau de gaze permettant de créer des effets proches des spectacles d’ombres chinoises alors en vogue. Les éclairs, les chars volants ou les changements de décors à vue contribuent également au fonctionnement du spectaculaire dans un contexte théâtral marqué par de nouvelles exigences morales et par une esthétique «fondée sur l’adhésion émotionnelle du spectateur à la fiction». / MD

Le Théâtre des fées. Les scènes du merveilleux féerique de la Comédie-Italienne aux boulevards (1762-1789). Par Angélique Chevalley. Postface de Lise Michel. Archipel Essais, vol. 34 (2024), 146 p.

Notice sur le site Labelettres (Faculté des lettres)


Dieu, un homme de son temps  

Ce n’est un secret pour personne! Le Dieu de la Bible hébraïque – ou Ancien Testament – n’a pas bonne presse chez les chrétiens. Primitif, colérique, jaloux, arbitraire, voire machiste, ils sont innombrables les défauts qu’on lui prête. À tort? À raison? Et si le problème n’était pas aussi simple? Dans un livre brillant et didactique paru en 1996 et dont Labor et Fides publie une quatrième édition, le théologien Thomas Römer a choisi d’enquêter sur les «aspects inquiétants, opaques ou scandaleux» de ce Dieu obscur. Après une brève «biographie» de l’intéressé, il dénonce les lectures psychologisantes, voire fantaisistes des grands textes religieux et insiste sur la nécessité de prendre en compte le contexte historique et culturel dont sont issus les témoignages vétérotestamentaires. Le grand défi – et l’aspect le plus intéressant – consiste ensuite à «comprendre pourquoi à telle ou telle époque et dans telles ou telles circonstances on a parlé de telle ou telle manière de Dieu». / MD

Dieu obscur. Sexe, cruauté et violence dans la Bible hébraïque. Par Thomas Römer. Labor et Fides (2024), 196 p.

Goûter les Alpes

Dans le sillage d’Alain Corbin, l’histoire des sens a aujourd’hui le vent en poupe. Un intérêt qu’illustre Paysages sensibles, un petit ouvrage collectif placé sous la direction de Nelly Valsangiacomo et Jon Mathieu. Les cinq sens sont ici sollicités, avec un accent mis sur le toucher. Claude Reichler aborde ainsi «le paysage par la peau» et la curieuse pratique des cures atmosphériques inventées par le Suisse Arnold Rikli dans les années 1850. Isabelle Raboud Schüle se demande, elle, «quel serait le goût des Alpes», évoquant aussi bien la note acide du pain de seigle que cette petite saveur d’herbe, plus précisément de foin, que l’on retrouve aujourd’hui dans la cuisine des grands chefs. Les sons – en particulier celui les cloches – et la vue – à travers le cadrage des jumelles notamment – sont aussi interrogés. Quant à l’odorat, il permet de rappeler l’existence, à partir de 2900 mètres d’altitude, de la très rare algue des neiges à l’odeur délicate de pastèque. / MD

Paysages sensibles. Toucher, goûter, entendre, sentir, voir les Alpes. Sous la direction de Nelly Valsangiacomo et Jon Mathieu. Antipodes (2024), 124 p.

Notice sur le site Labelettres (Faculté des lettres)

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