La croûte terrestre se remodèle sans cesse, créant et défaisant, au cours des millénaires, de nouveaux continents. Ce phénomène, dû à la tectonique des plaques, est au centre du film «L’âge de glace 4, la dérive des continents», bientôt sur les écrans. L’occasion de faire le point sur l’évolution passée, présente et future de la géographie du globe, avec deux géologues de l’UNIL, Peter Baumgartner et François Bussy.
Scrat a encore fait des siennes. Pendant qu’il cherchait à dissimuler un gland sous la banquise, le fameux écureuil, héros du film L’âge de glace 4, a provoqué une fissure dans la croûte terrestre. Laquelle s’écarte soudain et ouvre une large brèche vers le noyau de notre planète. Lancé dans une course folle après son fruit préféré, le rongeur déclenche des déplacements des continents à la surface du globe. On assiste ainsi à la formation de l’Australie, de l’Afrique et de l’Europe qui peu à peu se détachent du supercontinent originel.
Dans un rythme accéléré à l’extrême, ces images d’animation qui constituent la bande-annonce du film L’âge de glace 4, la dérive des continents (qui sortira en salle le 27 juin), résument avec humour un processus qui a en fait duré plusieurs centaines de millions d’années. Elles n’en reflètent pas moins une certaine réalité, telle qu’elle est expliquée aujourd’hui par les scientifiques.
Un supercontinent, la Pangée
Il y a de cela quelque 250 millions d’années, la morphologie de la planète présentait une forme très différente de celle que l’on connaît aujourd’hui. Il existait alors un supercontinent, la Pangée, qui regroupait en un seul «bloc» l’Amérique, l’Afrique, l’Europe, l’Asie et l’Australie, qui ont ensuite peu à peu «dérivé» et se sont séparés.
On doit ce terme de Pangée à l’astronome et météorologue allemand Alfred Wegener qui a été le premier «à faire l’hypothèse que les continents bougeaient les uns par rapport aux autres», note François Bussy, professeur de géologie à l’UNIL et chercheur à l’Institut de minéralogie et de géochimie.
C’est en 1915 que le scientifique allemand a publié sa théorie dite «de la dérive des continents». Il avait en effet constaté que les côtes est des Amériques et ouest de l’Afrique s’emboîtaient comme les pièces d’un puzzle, preuve selon lui que dans le passé, les deux blocs n’en avaient formé qu’un. Une idée confortée par le fait que l’on trouvait les mêmes espèces animales, végétales et minérales dans certaines zones restreintes situées de part et d’autre de l’Atlantique.
Alfred Wegener n’a pourtant pas réussi à convaincre ses contemporains. Il a eu le tort de vouloir expliquer ses observations en faisant appel aux forces des marées lunaires, et «il est arrivé à des chiffres – des déplacements de 30 mètres par an – qui ont provoqué de vives réactions chez les physiciens. S’il s’était contenté d’en rester aux faits, sa théorie ne serait pas tombée dans l’oubli», ajoute François Bussy. Avant d’être reprise, affinée et globalement confirmée, par ses successeurs.
La tectonique des plaques
Aujourd’hui, il ne fait en effet aucun doute pour les géologues que les continents bougent. A vrai dire, ce ne sont pas seulement les terres émergées qui se déplacent, mais «les plaques, formées chacune par un continent et une partie des océans qui le bordent, précise Peter Baumgartner, professeur de géologie à l’UNIL. La plaque africaine, par exemple, regroupe non seulement le continent africain et Madagascar, mais aussi la moitié de l’Atlantique et une partie de l’océan Indien.» C’est pour cette raison qu’à la théorie de la dérive des continents chère à Alfred Wegener, les géologues ont substitué celle de la «tectonique des plaques».
Ce phénomène s’opère probablement depuis qu’il existe de la matière solide dans les couches superficielles de la Terre, et notamment dans la lithosphère, constituée de la croûte terrestre et de la partie superficielle du manteau. «Il remonte en tout cas à 3 milliards d’années», estime le directeur de l’Institut de géologie et de paléontologie de l’UNIL, lorsque les continents ont commencé à se former.
Il est difficile de savoir comment la face de la planète a évolué lors d’époques si reculées. Mais les géologues savent reconstituer la position que les continents ont occupée au cours des quelque dernières centaines de millions d’années, grâce au paléomagnétisme.
«Les roches enregistrent le vecteur magnétique à la fois dans son orientation dans le plan horizontal et dans son inclinaison dans le plan vertical, explique François Bussy. Ce dernier point est important parce que l’inclinaison magnétique – dont le vecteur serait vertical au pôle Nord et horizontal à l’équateur dans des conditions idéales – permet de reconstituer la latitude des continents.» Une sorte de GPS qui permettrait de remonter le temps, en quelque sorte.
L’Atlantique s’ouvre progressivement
C’est ainsi que les scientifiques ont pu reconstituer l’évolution de la Pangée. Un remodelage très progressif, que l’on peut brièvement résumer en évoquant quelques étapes clés. Comme l’ouverture de l’Atlantique, qui a commencé au Jurassique, il y a environ 180 millions d’années (Ma). L’océan s’est d’abord étendu dans sa partie médiane, puis dans sa zone sud et, plus récemment, dans sa partie nord. «C’est essentiellement durant cette période que les Amériques se sont séparées de l’Europe et de l’Afrique», note François Bussy.
Un autre événement que le géologue qualifie de «phénoménal» a été le déplacement de l’Inde. «Rattachée, il y a encore 70 millions d’années, à l’Afrique au niveau de Madagascar, elle est remontée à toute vitesse – de l’ordre de 16 centimètres par an – pour aller télescoper l’Asie, il y a environ 40 millions d’années.»
Des vitesses de plusieurs centimètres par an
Peu à peu, la carte de la planète s’est mise à ressembler à celle que l’on connaît aujourd’hui. Mais inlassablement, les plaques poursuivent leur ballet. «Nous ne nous en rendons pas compte car nous vivons dans l’instantané, alors qu’à l’échelle géologique, on mesure le temps en millions d’années, constate François Bussy. On ne saisit ce phénomène que lorsqu’il se manifeste par un événement catastrophique, comme un tremblement de terre ou une éruption volcanique» (lire l’article complémentaire).
Pourtant, la croûte terrestre continue à dériver sous nos pieds, à des vitesses de quelques centimètres par an. «L’Amérique du Nord s’écarte de l’Afrique d’environ 2,4 millimètres par an.» Quant à la plaque portant le sud-est du Pacifique, c’est la plus rapide puisqu’elle bouge à raison de 15 centimètres par année. «C’est beaucoup, souligne le géologue, si l’on songe que cela représente 1,5 mètre par décennie.»
Vieux continents, jeunes fonds océaniques
Lorsque les plaques se déchirent, «elles ne peuvent pas s’écarter sur le néant ni, comme dans L’âge de glace, jusqu’au centre de la Terre, note en riant François Bussy. A mesure que les fractions se séparent, on assiste à un processus de cicatrisation produit par la lave qui constitue le fond d’un futur bassin océanique.»
Toutefois, le diamètre de la Terre étant constant, si certains blocs s’écartent, d’autres se rapprochent dans des zones dites «de convergence». La rencontre peut prendre plusieurs formes. Lorsque les plaques sont d’inégales densités, «la plaque la plus dense passe au-dessous de l’autre. C’est ce que l’on nomme la «subduction». Or, les continents émergés sont moins denses que les fonds océaniques. Ce sont donc ces derniers qui coulent et retournent dans le manteau terrestre où ils sont recyclés. C’est ce qui explique que ces fonds océaniques ne sont jamais très vieux: leur âge ne dépasse en général pas 180 millions d’années», même si certains, comme en Méditerranée orientale, peuvent atteindre 250 millions d’années.
Les masses continentales, en revanche, ne disparaissent pas. Les premières d’entre elles se sont formées il y a environ 4 milliards d’années. A ce moment-là, «la Terre s’était suffisamment refroidie pour que les minéraux comme le quartz et les feldspaths cristallisent dans les laves, engendrant des roches légères qui se sont mises à flotter sur le manteau terrestre et à émerger à la surface des océans», précise Peter Baumgartner. Depuis, ces terres se sont sans cesse développées. «Leur histoire est irréversible. En témoignent les plus anciens fossiles terrestres mis au jour qui datent de quelque 3,5 milliards d’années.»
Collisions et glissements
Lorsque deux plaques, généralement continentales, sont de même nature et de même densité, elles entrent en collision. Elles se soudent alors pour n’en former qu’une seule, créant à leur jonction une chaîne montagneuse. C’est ainsi que s’est formé l’Himalaya, à la frontière entre les plaques indiennes et eurasiennes.
Ailleurs, comme aux abords de la faille de San Andreas en Californie ou de la faille nord anatolienne en Turquie, on observe un glissement horizontal de deux plaques, l’une coulissant le long de l’autre.
Reste à comprendre ce qui fait bouger les blocs. Les scientifiques ont d’abord pensé que le moteur de la tectonique des plaques résidait dans la convection. Ce phénomène est celui qui agite l’eau d’une casserole mise sur le feu. Le liquide, plus chaud au fond donc moins dense, remonte, alors qu’à l’inverse, celui qui est proche de la surface, plus froid et plus lourd, descend. Ce même phénomène de convection se manifeste dans le manteau, dont la température est plus grande en profondeur. Les roches subissent «des mouvements ascendants qui forceraient les plaques à s’écarter», explique François Bussy.
Actuellement, les géologues avancent une autre explication. Les plaques océaniques les plus anciennes, plus froides donc plus denses que les autres, tombent dans le manteau, «tirant avec elles l’océan et le continent situés sur la plaque», dit Peter Baumgartner. Nos deux professeurs utilisent d’ailleurs la même image pour expliquer ce processus: «Imaginez une table recouverte d’une nappe qui pend fortement d’un côté. A un moment donné, ce pan de tissu devient très lourd et tombe, entraînant tout dans sa chute.»
«Les deux théories ont leurs partisans», précise Peter Baumgartner, bien que la seconde fasse désormais bien plus d’émules que la première. C’est d’ailleurs en faisant appel à ce modèle que les géologues prévoient que, dans quelques millions d’années, la croûte océanique la plus vieille et la plus dense, qui est située entre l’Afrique de l’Ouest et le sud des Etats-Unis, va se casser au contact de la côte américaine. Elle va commencer à couler et à glisser sous la croûte continentale. «La région orientale des Etats-Unis deviendra sismique et volcanique et des villes comme New York ou Washington n’existeront plus», prédit François Bussy. Par ailleurs, plus près de nous, «on assistera à la disparition complète de la Méditerranée et un supercontinent se formera à nouveau».
Ces propos vont dans le sens d’une étude publiée en février dernier par des géophysiciens américains de l’Université de Yale. Ces chercheurs suggèrent que, dans 100 millions d’années, l’Amérique du Nord et l’Asie fusionneront, formant un nouveau supercontinent, l’Amasie, centré sur le pôle Nord.
Sans tectonique des plaques, pas de vie
Reste à savoir si l’humanité sera encore là pour assister à ces bouleversements. Mais si les plaques ne bougeaient pas sans cesse, elle n’aurait peut-être jamais vu le jour. François Bussy se dit en effet persuadé que, sans ce phénomène, «il n’y aurait pas eu de vie sur terre, dans les formes avancées que nous connaissons». Sans tectonique des plaques, «il n’y a pas de relief ou alors un relief qui n’évolue pas. Notre planète aurait une croûte rigide, comme celle de Vénus. Or, c’est l’érosion et l’altération des sols qui permettent de piéger le CO2 issu des éruptions volcaniques qui, sinon, se serait accumulé dans l’atmosphère. Par effet de serre, les températures auraient considérablement augmenté et la vie aurait été compromise.»
En outre, ajoute Peter Baumgartner, «le manteau contient de grandes quantités d’eau. Une partie de cette eau, conservée en profondeur, ressort en surface par le biais des éruptions volcaniques. C’est donc grâce à la tectonique des plaques que la Terre a pu conserver ses océans.» Et bénéficier d’une atmosphère humide.
Grâce au ballet des plaques, notre planète «possède depuis environ 2 milliards d’années une atmosphère vivable. C’est une chance inouïe pour la Terre», conclut Peter Baumgartner.