Le déferlement d’images extrêmes accessibles sur le web impose de profonds changements à l’école comme à la maison. Quelques pistes entre action préventive et relais pour parents largués.
D’abord, envoyer aux parents des images épouvantables à la figure. Donner une petite idée des horreurs qui pullulent sur Internet en montrant des scènes de décapitations, des suicides au pistolet, des pendaisons, des scènes de zoophilie, des scènes de torture et bien sûr, des images pornographiques de toutes sortes. Puis, à l’aide d’une série de diapos, révéler, expliquer, discuter.
Enfin, espérer que les consciences prennent la mesure du problème.
Voilà deux ans qu’Olivier Guéniat, docteur en criminologie de l’UNIL et chef de la Police de sûreté de Neuchâtel, collabore avec le réseau pédagogique du canton pour éduquer parents et enseignants de la région. Ensemble, les deux instances organisent des soirées d’information sur Internet et ses dangers.
Affranchir les parents
On y explique ce qu’est un réseau d’échange «peer-to-peer», on y montre le fonctionnement des chats. On rappelle aussi la loi, qui interdit de confronter les enfants de moins de 16 ans à des images pornos, proscrit aussi tout téléchargement d’images illicites sous peine d’amendes ou d’emprisonnement.
On essaie surtout de rendre conscient que le web, aussi formidable soit l’outil, est comme un énorme boulevard perpétuellement traversé de véhicules dangereux et de personnes malintentionnées. Autrement dit, un parent responsable ne devrait pas y lâcher ses enfants sans accompagnement.
«Montrez de la désapprobation»
Neuchâtel a donc bien compris que les adultes, dépassés par l’évolution technologique et sociétale, résident au cœur des dérives adolescentes. Il faut impérativement s’occuper d’eux. «On ne peut pas éduquer correctement son enfant si on ne connaît pas sa réalité», dit Olivier Guéniat.
Foisonnantes d’informations, ces séances de prévention suggèrent aussi des manières d’agir: «Nous ne conseillons pas de formuler des interdictions. Interdire ne suffit pas à éduquer. Nous préférons donner des conseils de restriction. On peut, par exemple, limiter le temps de navigation sur Internet, définir le nombre de sites accessibles, placer l’ordinateur dans la maison de façon à pouvoir surveiller son utilisation. Nous engageons aussi les parents à montrer leur désapprobation face à certaines images. Le regard désapprobateur des adultes a beaucoup plus d’influence sur les enfants qu’on ne le croit.»
22% des familles boudent ces informations
Evaluer l’efficacité de ce travail de longue haleine est encore délicat. Le groupe neuchâtelois comptabilise déjà 87 séances organisées dans tout le canton. Invités par courrier postal, les parents d’élèves s’y rendent nombreux. Est-ce lié au fait que Neuchâtel n’a encore connu aucun cas de viol entre adolescents?
Les statistiques des soirées neuchâteloises montrent tout de même que 22% des familles invitées ne s’intéressent pas à ce type d’information. Difficile de savoir si ces efforts touchent la minorité de parents dont les carences éducatives sont les plus dommageables. Peut-être sont-ils sensibilisés par les émissions préventives diffusées en boucle sur Canal Alpha, la télévision régionale dont l’audience atteint régulièrement 60% des habitants du canton.
«La famille n’est plus adaptée»
Quoi qu’il en soit, cette action s’inscrit dans une vague de réflexions qui cherchent à amortir les ravages du net sur l’esprit des jeunes. Ancien fondateur d’Action Innocence, une association pionnière en matière de lutte contre la pornographie infantile, Philip Jaffé propose une idée radicale: «Nous sommes en train de vivre un véritable changement de paradigme. Il faut aujourd’hui admettre que la famille n’est plus adaptée pour apporter des repères et des principes moraux aux enfants. Ce n’est pas que les parents soient devenus médiocres. Le mode de vie contemporain ne leur permet simplement pas de fournir le cadre structurant nécessaire.»
En conséquence, une autre instance sociale doit prendre le relais. Ce ne peut être que l’institution scolaire: «L’école n’a pas encore su endosser le rôle que commande la situation, dit Philip Jaffé. La seule solution consiste à créer une situation de coparentalité entre l’école et les parents.»
Repenser l’éducation sexuelle
Dans un registre moins global, le psychologue suggère aussi de repenser les cours d’éducation sexuelle dispensés dans les écoles: «Beaucoup de programmes sont vaillants et intelligents. Mais la plupart sont élaborés par rapport à ce qu’a vécu la génération des enseignants. Les cours intègrent mal les phénomènes qui émergent.»
Faut-il donc étudier la pornographie à l’école? Pas si simple: «On ne peut pas être trop explicite. Chaque enfant apprend à connaître la sexualité selon un rythme différent. Montrer des images trop directes peut engendrer une curiosité qui n’existait pas chez certains».
En revanche, Philip Jaffé verrait bien l’introduction d’une charte de bonne conduite enseignée selon un rituel précis. Exemple: chaque garçon promettrait, devant sa classe, de ne jamais toucher une fille si elle n’est pas clairement d’accord. «Bien sûr, il faut trouver la formule juste. Le but principal est d’inculquer des règles et de créer un devoir de respect dans les relations entre garçons et filles.»
«Ne surprotégez pas les enfants»
De son côté, Tania Zittoun propose aux parents de se préparer au trouble que déclenchent les images pornographiques chez leurs enfants. Et de se tenir prêts dès le plus jeune âge. «La solution ne consiste pas à surprotéger l’enfant, ni à le bombarder d’informations», dit la psychologue.
Lorsqu’il est confronté à des scènes de type pornographique, le petit enfant imagine parfois que ses parents agissent de la même manière dans la chambre à coucher. Il peut alors penser que sa conception est issue d’une relation similaire et se sentir coupable. La bonne attitude consiste à «reconnaître l’émotion que l’enfant ressent devant les images», à souligner leur caractère irréel, puis à le déculpabiliser de les avoir regardées.
«Si les parents se montrent dégoûtés par les images, l’enfant concevra du dégoût pour ses propres sentiments. Mieux vaut dédramatiser. S’il voit que la situation n’est pas si problématique pour les adultes, il en parlera plus facilement.»
Dire que ce modèle du porno est irréel
Pour les plus grands, la stratégie change. Une fois passé l’âge de 7 ans, un enfant ne projette plus les images sur ses parents, mais sur lui-même. Il peut alors s’identifier aux scènes pornographiques et les prendre comme modèles de comportement. Il s’agit donc avant tout de lui donner des outils pour prendre de la distance avec les images. Par exemple en soulignant leur caractère artificiel.
«Les rencontres semblent toujours très simples dans les films pornos. Les personnages masculins sont toujours des hommes forts, conquérants et performants», relève Tania Zittoun. Accompagner un adolescent consiste donc à souligner que ce modèle est irréel, que les rencontres amoureuses n’ont rien de facile, qu’on peut aussi se parler longuement avant d’engager un rapport sexuel, et que pour aimer et être aimé, aucun besoin d’être Superman. Même au contraire.
Pierre-Louis Chantre